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Sort des travailleurs non repris en cas de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 22 novembre 2024, R.G. 2023/AL/432

Mis en ligne le jeudi 12 juin 2025


Cour du travail de Liège (division Liège), 22 novembre 2024, R.G. 2023/AL/432

Terra Laboris

Résumé introductif

Les dispositions internes régissant les droits des travailleurs non repris en cas de changement d’employeur du fait d’une réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice ne sont pas conformes à la Directive européenne 2001/23/CE du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur.

Si le choix du repreneur doit être dicté par des raisons techniques, économiques ou organisationnelles et doit s’effectuer sans différenciation interdite, la sanction en cas de manquement n’est pas le transfert de plein droit des travailleurs non repris.

Dispositions légales

  • Convention collective de travail n° 102 du 5 octobre 2011 concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d’employeur du fait d’une réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice – articles 9 et 12
  • Loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise – article 35
  • Code de droit économique – article XX.86
  • Directive européenne 2001/23/CE du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur - articles 3 à 5.

Analyse

Faits de la cause

Un chef de partie (Horeca) prestait pour une société du secteur depuis 2012.

Celle-ci a obtenu par jugement du 15 juillet 2019 prononcé par le Tribunal de l’entreprise de Liège (division Liège) le bénéfice une procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice.

Ce transfert a été autorisé par un second jugement à une SRL, qui a repris 58 travailleurs sur 74.

Le travailleur en cause ne fait pas partie du personnel repris. Il s’est alors vu notifier le 30 septembre 2019 (soit la veille de la date du transfert d’activités) la rupture du contrat de travail moyennant annonce du paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Après ce transfert, l’intéressé a travaillé le mois suivant à raison de trois jours par la SRL et ensuite (le mois suivant) il a été engagé comme commis de cuisine. Il s’agit d’un contrat à durée déterminée et à temps partiel (25 heures semaine) pour cinq mois. Peu après l’engagement, un avenant a été signé le changeant de catégorie. Le contrat de travail s’est terminé à l’échéance prévue.

Peu après la reprise du travail auprès de cette société, son employeur initial a fait faillite.

Un formulaire F1 a été rentré au Fonds de fermeture, en vue d’obtenir une indemnité compensatoire de préavis et des écochèques.

Le Fonds a refusé, au motif de la reprise du travailleur par la SRL.

La procédure

Suite au dépôt d’une requête contre le Fonds et contre la société repreneuse, aux fins d’obtenir ces montants en justice, le tribunal du travail a décidé par jugement du 21 septembre 2023 de condamner le Fonds de fermeture aux montants réclamés ainsi qu’aux frais de la procédure.

L’employeur, mis à la cause à titre subsidiaire, n’a pas fait l’objet de condamnation, le tribunal relevant que la demande était devenue sans objet à son égard.

Position des parties devant la cour

Le Fonds de fermeture, appelant, demande à la cour de réformer le jugement, au motif que le tribunal aurait adopté un raisonnement inverse à la logique et méconnu les principes applicables.

Le travailleur sollicite la confirmation de ce jugement et, à titre subsidiaire, en cas de transfert du contrat de travail au sens de la Convention collective de travail n° 102 du 5 octobre 2011 concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d’employeur du fait d’une réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice, il postule la condamnation de la société employeur, développant encore une thèse à titre infiniment subsidiaire, étant que, si la dette est restée à charge de la cédante conformément à la CCT n° 102, c’est le Fonds de fermeture qui doit être condamné.

Quant à la société, elle demande la confirmation pure et simple du jugement et réclame des indemnités de procédure à charge du travailleur.

La décision de la cour

Les règles applicables figurent à la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise, dont la cour rappelle l’article 35, §§ 1er et 2, ainsi qu’à l’article XX.86 du Code de droit économique, qui règle la question du sort des travailleurs en cas de transfert d’entreprise sous autorité de justice et enfin aux articles 9 et 12 de la CCT n° 102.

Cet article 12 prévoit que le choix des travailleurs repris par le (candidat–) repreneur incombe à ce dernier, ce choix devant être dicté par des raisons techniques, économiques ou organisationnelles et il doit s’effectuer sans différenciation interdite.

Des divergences existent en doctrine quant à cette question et la cour relève que si pour certains la règle consisterait dans le transfert de tous les membres du personnel affectés à l’activité cédée, il y a lieu de privilégier une autre manière de voir, étant que le repreneur choisit les salariés qu’il reprend à son service, comme en cas de reprise après faillite.

Le salarié ne s’est donc pas vu reconnaître le droit de reprocher au cessionnaire le refus de poursuivre l’exécution du contrat de travail conclu avec le cédant.

La cour note que ces deux dernières dispositions ne sont pas conformes à la Directive européenne 2001/23/CE du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur en ses articles 3 à 5.

S’appuyant sur la doctrine de Madame KEFER (F. KEFER, « Le sort des travailleurs non repris en cas de transfert de leur entreprise », in Le droit du travail au XXIe siècle, Larcier 2015, page 483 et suivantes), elle retient que le seul recours des travailleurs est de mettre en cause la responsabilité de l’État vu l’absence de transposition conforme.

Par ailleurs, si le repreneur doit motiver son choix, la sanction en cas de manquement à la disposition n’est pas le transfert de plein droit des travailleurs non repris. La même doctrine a relevé que ceux-ci sont en effet « assez démunis », ceux qui ne sont pas transférés conservant pour débiteur le cédant, dont la situation s’est fragilisée vu la cession d’actifs et qui est peut-être en difficulté financière.

En l’espèce, la cour note que, pour le Fonds de fermeture, il appartient à la société de rapporter la preuve que son choix de ne pas reprendre l’intéressé est justifié par des raisons techniques, économiques ou organisationnelles et que – à défaut – elle est tenue de prendre en charge l’indemnité compensatoire de préavis.

Elle ne partage pas cette position, l’objet de la procédure étant uniquement de déterminer si le travailleur a ou non été transféré dans le cadre du transfert sous autorité de justice de la société faillie. Elle limite dès lors son examen à cette question.

Elle relève notamment que l’intéressé ne figurait pas sur la liste des travailleurs à transférer et qu’il a travaillé pendant trois jours au cours du premier mois après le transfert mais qu’il n’y a pas eu contrat de travail, celui-ci n’ayant été conclu qu’à partir du premier du mois suivant. Il s’agit par ailleurs d’un contrat à temps partiel et à durée déterminée alors qu’il était occupé à temps plein auparavant, la cour retenant également le changement de catégorie (la catégorie VI étant applicable au départ, lorsqu’il était chef de partie alors que le nouveau contrat visait la catégorie II).

D’autres éléments sont encore retenus, dont notamment l’absence de volonté de réengager l’intéressé au moment où la société repreneuse reprit les activités de la précédente.

En conclusion, la cour considère que la société prouve ne pas avoir repris l’intéressé dans le cadre du transfert d’entreprise sous autorité de justice mais qu’elle l’a engagé ultérieurement pour une période limitée et à des fonctions d’une catégorie inférieure et moins bien rémunérée.

Elle rejette encore d’autres éléments avancés par le Fonds de fermeture à propos du réengagement intervenu et le déboute de son appel.


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