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La fin du contrat de travail pour force majeure médicale ne peut être invoquée dès lors que l’employeur a manqué à ses obligations dans le cadre du trajet de réintégration

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 7 novembre 2024, R.G. 24/2.590/A

Mis en ligne le mercredi 18 juin 2025


Trib. trav. Liège (div. Liège), 7 novembre 2024, R.G. 24/2.590/A

Résumé introductif

En vertu de l’article 34 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, l’incapacité de travail ne peut mettre fin au contrat de travail pour cause de force majeure qu’après que la procédure de réintégration a été suivie.

Dès lors que l’employeur ne réserve aucune suite aux propositions du conseiller en prévention–médecin du travail et n’établit pas le rapport motivé expliquant pourquoi il était techniquement ou objectivement impossible d’établir un plan pour un travail adapté ou un autre travail ou encore pourquoi ceci ne peut être exigé pour des motifs dûment justifiés, il commet une faute. De même encore s’il n’a pas sérieusement étudié les possibilités de réintégration suggérées par le conseiller en prévention-médecin du travail. Il ne peut en conséquence invoquer la force majeure médicale.

Le cumul est autorisé entre l’indemnité compensatoire de préavis, l’indemnité prévue à l’article 16 de la loi du 19 mars 1991 et celle de l’article 17, § 6, de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, celles-ci réparant chacune un dommage distinct.

Dispositions légales

  • Loi portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d’entreprise et aux comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel - article 16
  • Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination - article 17, § 6
  • Loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail - article 34

Analyse

Faits de la cause

Une employée d’une compagnie aérienne s’est trouvée en incapacité de travail à partir du 9 décembre 2019, souffrant de problèmes liés au travail (stress et fatigue).

L’employeur a entamé un projet de réintégration en avril 2021 (article I.4–79 CBE).

Le conseiller en prévention–médecin du travail a conclu à la possibilité de reprendre ultérieurement le travail convenu, étant également possible dans l’immédiat une reprise dans un travail adapté (temps partiel médical, maximum quatre heures de prestations par jour, horaire régulier, en semaine). La période a été fixée à six mois.

Cette conclusion été transmise à la société, qui n’a pas donné de suite mais a engagé, quelques mois plus tard, un second trajet de réintégration, persistant à ignorer les conclusions du premier.

Dans le cadre de cette deuxième procédure, le conseiller en prévention–médecin du travail (qui n’était pas le même) a abouti aux mêmes conclusions.

Ce document a été transmis à la société, qui n’a pas davantage fait des propositions concrètes, alors que l’intéressée entendait reprendre le travail.

Vu la situation ainsi créée, la travailleuse a introduit une procédure pour force majeure médicale, demandant que son inaptitude définitive soit constatée, ce qui est intervenu en juillet 2023, un (3e) conseiller en prévention–médecin du travail relevant que n’étaient pas demandées des possibilités de travail adapté (ceci ayant déjà été fait vainement par le passé).

L’employée a alors été convoquée aux fins de signer un document actant la rupture pour force majeure médicale, document accompagné d’un courrier dans lequel elle admettait que la responsabilité de la société était dégagée.

L’intéressée ayant refusé de signer, un courrier a été envoyé, mettant fin au contrat de travail pour force majeure médicale, sans préavis ni indemnités.

Les termes de ce courrier ont été vivement contestés.

La société a alors envoyé un nouveau courrier constatant, avec effet au jour de cet envoi, la fin du contrat de travail pour force majeure.

Le document C4 mentionne comme motif précis du chômage une force majeure médicale.

Des échanges entre parties n’ayant pas abouti, l’employée a déposé une requête au greffe du tribunal du travail le 7 juillet 2024.

La position de la demanderesse

La demande porte sur l’octroi de l’indemnité spéciale prévue à l’article 16 de la loi du 19 mars 1991, étant en l’occurrence deux ans de rémunération, à majorer d’une indemnité compensatoire de préavis, ainsi que de l’indemnité prévue à l’article 17, § 6, de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.

Le jugement du tribunal

Le jugement commenté relève qu’à l’audience d’introduction, qui était également une audience d’information aux modes alternatifs de règlement des conflits, la société ne s’est pas présentée. Elle a d’ailleurs fait défaut ultérieurement également.

Sur le fond, le tribunal reprend le mode de rupture spécifique visé à l’article 34 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, étant l’hypothèse de l’incapacité de travail qui empêche définitivement le travailleur d’effectuer le travail convenu. Celui-ci dispose expressément que cette incapacité ne peut mettre fin au contrat de travail pour cause de force majeure qu’après que la procédure de réintégration a été suivie.

La disposition précise longuement les règles et conditions de cette procédure, avec renvoi régulier au Code du bien-être au travail.

Pour le tribunal, si la force majeure médicale a finalement été proposée par le conseiller en prévention-médecin du travail, ceci est consécutif à une faute de la société quant à la lettre et l’esprit du trajet de réintégration.

Celle-ci a en effet fait preuve d’une inertie coupable en ne réservant aucune suite aux propositions du conseiller en prévention–médecin du travail et en n’ayant pas établi le rapport motivé expliquant pourquoi il était techniquement ou objectivement impossible d’établir un plan pour un travail adapté ou un autre travail ou encore pourquoi ceci ne pouvait être exigé pour des motifs dûment justifiés.

Le tribunal renvoie à la doctrine de J. VAN DROOGHENBROECK (J. VAN DROOGHENBROCK, Le droit de la santé et du bien-être au travail, Limal, Anthémis, 2022, page 443), pour qui, si l’employeur n’a pas sérieusement étudié les possibilités de réintégration suggérées par le médecin du travail, il ne peut invoquer la force majeure médicale en ce que l’impossibilité lui est imputable.

La rupture est dès lors la conséquence d’une faute de l’employeur et la force majeure ne peut être invoquée.

Le tribunal en vient aux chefs de demande.

Il fait d’abord droit à la demande d’indemnité compensatoire de préavis.

Pour ce qui est de l’indemnité de protection au sens de la loi du 19 mars 1991, il relève que l’intéressée a été candidate (non élue) aux élections sociales de 2022 pour le CPPT et qu’elle n’a pas demandé sa réintégration. L’indemnité légale est dès lors due.

Enfin, il en vient à la question de la discrimination, renvoyant à l’article 18 de la loi du 10 mai 2007. Il ne peut que conclure que la fin du contrat a pour cause l’état de santé de la demanderesse et que celle-ci apporte la preuve des faits accréditant la thèse qu’il y a discrimination.

La preuve contraire n’étant pas rapportée, il fait droit à la demande de paiement de l’indemnité de six mois.

Enfin, il admet le cumul des trois indemnités, celles-ci réparant chacune un dommage distinct.

L’employée perçoit dès lors 2 ans de rémunération sur pied de l’article 16 de la loi du 19 mars 1991, une indemnité compensatoire de préavis de 21 semaines ainsi que 6 mois sur pied de l’article 17, § 6, de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.

La société est condamnée aux entiers dépens.


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