Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 novembre 2024, insérer RG 2023/AB/402
Mis en ligne le mercredi 18 juin 2025
C. trav. Bruxelles, 25 novembre 2024, insérer RG 2023/AB/402
Résumé introductif
La cotisation d’affiliation d’office en cas de défaut d’assurance est une sanction. Celle-ci a été prévue dans l’intérêt du financement de la sécurité sociale et n’est pas une sanction pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’arrêté royal du 10 décembre 1987 d’exécution de l’arrêté royal n° 530 n’ayant pas été soumis à l’avis de la Section de législation du Conseil d’État, au motif de l’urgence, son illégalité a été constatée en jurisprudence et le texte a été rétabli avec effet rétroactif par un arrêté royal du 13 novembre 2022.
Se pose la question du fondement légal d’une décision de Fedris qui s’appuie sur le texte antérieur, eu égard à ce nouvel arrêté royal intervenu par la suite.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une société relevant du secteur Horeca était restée en défaut de payer les primes d’assurance accident du travail, ce qui amena son assureur à lui annoncer la résiliation du contrat à défaut de paiement pour une date déterminée.
Il informa l’entreprise qu’en vertu de la loi, à défaut d’assurance pour le personnel occupé – même s’il s’agit d’un seul jour – Fedris procède à une affiliation d’office, qui n’est pas considérée comme une prime d’assurance mais comme une sanction. En cas de survenance d’un accident pendant la période non assurée, Fedris récupère auprès de la société les montants déboursés correspondant à l’indemnisation du travailleur.
Vu l’inertie de la société, la résiliation intervint effectivement, et ce en date du 5 juillet 2018.
Fedris prit contact avec elle en mars 2019, lui demandant de communiquer d’urgence les références de son nouvel assureur. Le même jour, la société versa à la compagnie d’assurances le montant qui avait été réclamé plusieurs mois auparavant.
La société conclut ensuite un nouveau contrat, prenant cours en avril 2019.
En juin 2019, Fedris notifia une décision par laquelle il était procédé à l’affiliation d’office sur pied de l’article 50 de la loi du 10 avril 1971 vu l’occupation de personnel et l’absence de couverture d’assurance, la période allant du 7 juillet 2018 au 16 avril 2019. S’agissant de 11 travailleurs occupés et d’une durée totale d’absence de couverture de 74 mois, c’est un montant de 11 193,39 € qui était réclamé.
Fedris précisait être légalement contrainte de procéder à l’affiliation d’office vu l’occupation de ce personnel, étant reprécisé encore que cette affiliation d’office n’équivaut pas au paiement d’une prime d’assurance et que sa fixation est fonction de la durée de l’omission et du nombre de personnes occupées, se calculant par personne et par mois.
La société ayant ultérieurement fait une demande en vue d’obtenir la réduction sur pied de l’arrêté royal du 27 mai 2014, Fedris rejeta la demande, celle-ci ayant été introduite tardivement (soit plus de trois mois après la notification de la décision).
Le Tribunal du travail a alors été saisi à l’initiative de la société.
La demande de celle-ci a été rejetée par un jugement du 1er mars 2023, jugement dont elle interjette appel. La condamnation à la somme réclamée est en effet confirmée, à majorer de 10 % ainsi que des intérêts de retard.
La décision de la cour
La cour expose les règles applicables, vu l’obligation faite aux employeurs par la loi du 10 avril 1971 (article 49, alinéa 1er) de souscrire une assurance contre les accidents du travail auprès d’une entreprise d’assurance agréée. L’article 50 prévoit l’affiliation d’office de l’employeur qui n’a pas contracté une assurance conformément aux dispositions légales.
Elle rappelle ensuite les missions de Fedris (article 58, § 1er, 3°, et 59, 4°, de la loi), missions d’ordre public.
Des dispositions spécifiques sont en outre prévues par le Code pénal social en cas de défaut d’assurance, étant une sanction de niveau 3 (article 184, alinéa 1er) et, depuis sa modification récente (loi du 15 mai 2024), l’alinéa 2 de la même disposition prévoit une sanction de niveau 4 lorsque l’infraction a été commise sciemment et volontairement.
Malgré qu’elle soit visée par le Code pénal social, cette sanction a été prévue dans l’intérêt du financement de la sécurité sociale et n’est pas une sanction pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. La cour renvoie ici à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 octobre 2015 (n° 146/2015 - considérant 8.3).
L’arrêt en vient aux règles de calcul et de recouvrement, reprenant ici l’article 59quater de la loi, ainsi que l’arrêté royal du 21 décembre 1971 portant exécution de certaines dispositions de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail (article 59).
Dans ce cadre général, un point spécifique est ensuite abordé, étant la question de la légalité de cet article 59. Celui-ci avait en effet été remplacé par l’article 36 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 portant exécution de certaines dispositions de l’arrêté royal n° 530 (arrêté royal du 31 mars 1987 modifiant la législation sur les accidents du travail).
La cour rappelle la genèse de cet arrêté royal n° 530, qui a modifié considérablement la législation sur certains points, dont les articles 59 et 59quater de la loi.
Or, son arrêté royal d’exécution du 10 décembre 1987 n’a pas été soumis à l’avis de la Section de législation du Conseil d’État, au motif de l’urgence.
A ce sujet, un arrêt a été rendu par la même cour du travail le 15 novembre 2021 (C. trav. Bruxelles, 15 novembre 2021, R.G.2019/AB/509), qui a jugé que l’absence de consultation du Conseil d’État - formalité substantielle - sans que soit justifiée l’urgence invoquée entraîne l’illégalité de celui-ci. La cour du travail a conclu à son écartement, une modification ultérieure (intervenue en 2000 pour ce qui est de la cotisation d’affiliation d’office) ne permettant pas de couvrir l’illégalité.
En conséquence, dans cet arrêt du 15 novembre 2021, la cour a admis le droit pour la société d’obtenir le remboursement des sommes qu’elle avait déjà versées à Fedris en exécution de sa décision.
Suite à cette jurisprudence, la cour du travail précise dans l’arrêt du 25 novembre 2024 qu’un arrêté royal a été pris en date du 13 novembre 2022 (arrêté royal portant exécution de certaines dispositions de l’arrêté royal n° 530 du 31 mars 1987 modifiant la législation sur les accidents du travail). Celui-ci reproduit l’article 59 tel qu’il avait été remplacé par l’arrêté royal du 10 décembre 1987 et entre en vigueur avec effet rétroactif au… 1er janvier 1988. Il y a eu cette fois consultation du Conseil d’État, le but de la mesure actuelle étant, pour la Section de législation, de rétablir avec effet rétroactif des dispositions analogues.
En l’espèce, la cour constate que ce débat n’a pas été porté devant le tribunal et qu’elle ne peut suivre « en l’état » la solution retenue par celui-ci, qui est de condamner la société au paiement de la cotisation, dans la mesure où la décision administrative semble également fondée sur la disposition litigieuse.
Si la légalité du texte a été mise en cause dans la décision de la Cour du travail de Bruxelles citée, celle-ci considère actuellement qu’il y a un élément nouveau, étant cet arrêté royal du 13 novembre 2022.
Les parties n’ayant pas débattu de la question, non plus que de la légalité de la décision de Fedris, elle ordonne une réouverture des débats. Elle pose dans son dispositif deux questions à cet égard, auxquelles les parties sont tenues de répondre.
Intérêt de la décision
La cour ne vide pas sa saisine. L’arrêt du 25 novembre 2024 commenté contient, pour ce qui est de la réouverture des débats, un calendrier judiciaire, dont il ressort que l’affaire sera plaidée… le 19 janvier 2026. En conséquence, la solution du litige ne sera pas connue avant une bonne année au plus tôt.
Vu l’intérêt de la question juridique, il nous a semblé utile de la soulever d’ores et déjà.