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Intégration des personnes handicapées : conditions d’intervention dans les produits d’assistance en Région wallonne

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 19 novembre 2024, R.G. 2022/AN/137

Mis en ligne le mercredi 18 juin 2025


C. trav. Liège (div. Namur), 19 novembre 2024, R.G. 2022/AN/137

Résumé introductif

L’article 796/6 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé prévoit des adaptations individuelles qui ne sont pas reprises à l’Annexe 82 du même code : si cette Annexe exige que les produits d’assistance aient une homologation/certification ISO, cette condition ne figure pas à l’article 796/6, qui autorise précisément vu son caractère subsidiaire des produits d’assistance ne remplissant pas cette condition.

Dispositions légales

  • Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé – articles 784 et 796/6 et Annexe 82

Analyse

Rétroactes

La cour a rendu un premier arrêt le 19 mars 2024 (précédemment commenté). Nous renvoyons à celui-ci pour un exposé plus détaillé des faits, ceux-ci étant succinctement repris ci-après.

Bref rappel des faits

Une personne atteinte d’agénésie congénitale du bras droit a introduit un recours contre une décision de l’AVIQ refusant d’intervenir dans une adaptation de vélo.

Elle avait précédemment bénéficié d’une intervention financière pour adapter un vélo. Celui-ci lui ayant été volé en 2011, elle a acheté un nouveau sans solliciter d’aide financière complémentaire.

Elle introduit une nouvelle demande en 2020, ses besoins personnels ayant changé.

Cette demande portait initialement sur l’achat d’une voiture automatique et l’adaptation d’un vélo, vu qu’elle vivait à la campagne depuis quelques mois.

En cours de procédure, elle renonça au projet d’acheter une voiture, et ce pour raisons financières. La demande d’intervention pour le vélo fut refusée.

La décision du tribunal

Le Tribunal du travail de Liège, division Namur, a considéré par jugement du 7 juillet 2022 que les adaptations au vélo acheté par l’intéressée (nouveau vélo) répondaient à la définition de « produits d’assistance » visés à l’article 784 du Code réglementaire wallon. Il s’agit en effet d’un équipement ou d’un système technique adapté spécialement conçu pour améliorer le fonctionnement de la personne handicapée et de frais qui, en raison du handicap, sont nécessaires à celle-ci (au niveau de son activité et/ou de sa participation à la vie en société). Elles constituent des dépenses supplémentaires à celles que devrait engager une personne valide dans des circonstances identiques.

Le tribunal a également retenu qu’il ne s’agissait pas du remplacement de précédentes adaptations.

L’arrêt de la cour du travail du 19 mars 2024

La cour a admis que la demande ne constitue pas une demande de renouvellement.

Elle a ordonné la réouverture des débats aux fins de permettre à l’AVIQ de préciser sa position, après avoir rappelé les conclusions de M. l’Avocat général Hugo MORMONT avant l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2023 (S.22.0011.F), selon lequel il ne s’agit pas de savoir si une prestation demandée sur la base de l’article 796/6 est prévue par le Code réglementaire mais si elle n’est pas expressément exclue par celui-ci : la disposition a en effet pour objet d’accorder des interventions hors du cadre de l’Annexe 82 du Code réglementaire wallon, visant ainsi à compléter la liste des prestations d’aide individuelle pour prendre en compte des besoins spécifiques que celle-ci n’a pas rencontrés ou n’a pas rencontrés suffisamment. Il a précisé que selon lui pouvaient être admis des produits non homologués et non repris dans la classification ISO.

La cour a cependant déjà statué sur la nature des frais exposés et pour lesquels une intervention est demandée, retenant qu’il s’agit de frais supplémentaires à ce qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques et que la demande n’apparait ni déraisonnable ni abusive.

Un deuxième point a été renvoyé aux débats ultérieurs, étant que l’AVIQ est tenue de s’expliquer sur les montants susceptibles de revenir concrètement à l’intéressée, vu qu’elle n’intervient que dans les limites des crédits budgétaires.

Position de l’AVIQ après l’arrêt du 19 mars 2024

L’Agence maintient son objection relative à l’exigence d’une classification ISO, considérant que l’avis de M. l’Avocat général ne peut être suivi, l’exigence d’une certification/homologation étant incontournable.

Pour ce qui est du montant, l’AVIQ expose qu’il s’agit d’une aide non prévue par la réglementation et qu’il n’y a de ce fait pas de montant plafond ni d’ailleurs d’étude de marché fixant un maximum, les demandes d’adaptation étant peu nombreuses et très différentes les unes des autres. En conséquence, si – par impossible selon l’Agence – elle était amenée à intervenir, le devis serait pris en charge dans sa totalité.

L’AVIQ se positionne encore sur d’autres points, étant notamment une demande de dommages et intérêts d’ordre moral, introduite par l’intéressée vu la longueur de la procédure et la position de l’Agence. Cette demande est, pour cette dernière, irrecevable ayant été formulée après la clôture des débats et n’étant pas en lien avec les faits invoqués dans l’acte introductif. Elle considère également qu’elle est non fondée, la défense qu’elle a opposée à l’intimée étant exclusivement juridique et liée aux spécificités de la matière.

La décision de la cour dans l’arrêt du 19 novembre 2024

La cour annonce d’emblée qu’elle suit les conclusions de M. l’Avocat général, dont elle reprend un très large extrait. Celui-ci avait analysé les conditions de l’article 796/6 du Code réglementaire wallon, qui prévoit la possibilité de soumettre une demande d’aide individuelle à l’intégration, non reprise dans l’Annexe 82 et n’en remplissant pas les conditions. Sa conclusion - étant que l’article 796/6 n’exige pas la certification ISO (contrairement à l’Annexe 82) -, s’appuyait, outre sur l’argument de texte, sur le caractère subsidiaire de cette disposition, qui vise à compléter la liste des prestations individuelles pour prendre en compte des besoins spécifiques. Il concluait en conséquence que la cour du travail, dans l’arrêt était soumis à la censure de la Cour de cassation, avait légalement pu considérer que l’AVIQ ne pouvait refuser l’aide individuelle à l’intégration au motif que le produit n’était pas homologué et repris dans la classification ISO.

La cour du travail reprend la ratio legis des dispositions et conclut que l’interprétation de l’AVIQ ne peut être suivie, puisqu’elle aboutirait à ce que toute prestation, même si elle ne figure pas dans l’Annexe 82 - devrait toujours être homologuée et qu’il ne pourrait jamais être fait exception à cette exigence.

Par rapport à la légitimité de l’objectif poursuivi, étant de s’assurer de la sécurité du matériel utilisé par des personnes présentant un handicap, elle considère que l’absence de suivi d’une procédure de certification d’homologation n’implique pas qu’il y ait nécessairement un risque. Elle renvoie à des avis figurant au dossier, dans lesquels des spécialistes ont confirmé le caractère adéquat de l’adaptation en cause.

La cour prend ensuite acte de ce que l’intervention de l’AVIQ se ferait à concurrence de la totalité du devis.

Elle rejette la demande de dommages et intérêts, l’AVIQ n’ayant pas commis de faute en interjetant appel du jugement du 7 juillet 2022, le droit d’appel appartenant à tout justiciable et l’intéressée restant en défaut d’établir l’existence et l’étendue du dommage qu’elle vante.

La cour rejette dès lors l’appel pour ce qui est de l’adaptation refusée par l’AVIQ, condamnant cette dernière à prendre en charge les devis déposés, déboutant par ailleurs l’intimée de sa demande de dommages-intérêts.

Note

L’article 796/6 du Code réglementaire prévoit que sous réserve de l’application des articles 795 et 796 et des exclusions expressément mentionnées dans l’Annexe 82, si la victime constate qu’une demande de prise en charge d’une aide individuelle à l’intégration répond aux conditions prescrites par la section deux mais que, soit cette aide ne figure pas dans l’Annexe 82, soit elle y figure mais que sa prise en charge ne répond pas à certaines conditions d’octroi reprises à cette annexe, cette demande est soumise à l’avis du Conseil pour l’aide individuelle à l’intégration puis au Comité de gestion pour décision.


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