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Que faut-il entendre par perte de capacité de 50 % exigée en cas de demande d’autorisation de reprendre partiellement le travail ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 13 novembre 2024, R.G. 2023/AL/422

Mis en ligne le mercredi 18 juin 2025


C. trav. Liège (div. Liège), 13 novembre 2024, R.G. 2023/AL/422

Résumé introductif

L’article 100 de la loi AMI vise en son § 1er une capacité de gain et en son § 2 un critère purement médical.

Dès lors qu’il y a eu reconnaissance de l’incapacité de travail précédemment, cette condition n’est plus à être examinée lorsqu’il s’agit de reprendre un travail autorisé au sens de l’article 100, § 2.

En cas de demande d’autorisation de reprise du travail, seul doit être pris en compte le critère médical et non celui de la perte de plus de deux tiers de la capacité de gain.

L’état médical de l’assuré social déroge à la condition de capacité de gain au sens du § 1er, et ce au profit du travailleur qui a été reconnu incapable de travailler conformément à cette disposition mais qui reprend ultérieurement un travail.

Dispositions légales

  • Loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994 - article 100, § §1er, et 2,
  • Arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités -article 230, § 2

Analyse

Faits et rétroactes

Une assurée sociale avait reçu l’autorisation du médecin-conseil de son organisme assureur AMI d’exercer une activité à concurrence de cinq heures par semaine, et ce à partir du 1er novembre 2021.

Il s’agissait d’une activité pour laquelle elle s’est inscrite comme indépendante à titre complémentaire, qu’elle exerçait en tant que voyante et guide spirituelle (tirage de cartes par visioconférence, vente de produits ésotériques,…), activité à laquelle elle mettra un terme ultérieurement, en date du 31 mars 2023.

Le 8 février 2022, l’organisme assureur lui notifia la fin de la reconnaissance de son incapacité de travail, et ce après un examen médical, incapacité qui avait été reconnue depuis septembre 2016 pour polypathologies (séquelles au poignet droit, douleurs diverses et problèmes d’ordre psychologique).

Les conclusions de celui-ci l’amenèrent en effet à décider que les troubles et les lésions fonctionnelles qu’elles présentaient n’entraînaient plus une réduction de sa capacité d’au moins 50 % sur le plan médical (tel qu’exigé en cas de reprise d’une activité avec l’autorisation du médecin-conseil par l’article 100, § 2, de la loi du 14 juillet 1994).

L’intéressée introduisit une procédure, par requête datée du 6 avril 2022, déposant un rapport médical de son psychologue, qui atteste de l’incapacité de travail, le médecin traitant confirmant l’incapacité de travail au sens de l’article 100, § 2, de la loi.

La décision du tribunal

Le tribunal a procédé à la désignation d’un expert neuropsychiatre, avec une mission portant sur l’article 100, § 2, de la loi.

Dans son rapport, dont les conclusions ont été déposées le 3 janvier 2023, il conclut que l’intéressée ne présente plus le degré d’incapacité requis par cette disposition.

Le tribunal a entériné ces conclusions par jugement du 11 septembre 2023.

Suite à l’appel interjeté par l’assurée sociale, la cour du travail a été saisie. Elle a rendu deux arrêts.

Les arrêts de la cour

L’arrêt du 26 juin 2024

Cet arrêt reprend les grandes lignes du rapport de l’expert judiciaire ainsi que les dispositions applicables.

Il s’agit essentiellement de l’article 100, §§1er, et 2, de la loi coordonnée ainsi que l’article 230, § 2, de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.

L’article 100, § 1er, de la loi concerne les conditions de reconnaissance de l’incapacité de travail au sens de celle-ci et son § 2 vise les conditions dans lesquelles le travailleur peut reprendre un travail autorisé.

Quant à l’arrêté royal, il reprend les modalités de déclaration et d’exercice d’une activité ainsi que les modalités d’introduction de la demande en cours d’incapacité de travail.

La cour souligne que cette disposition impose que la reprise du travail soit compatible avec l’affection en cause et qu’il ne peut y avoir une telle reprise que si sur le plan médical le travailleur conserve une réduction sa capacité d’au moins 50 %.

Reprenant la doctrine de Mme A. MORTIER (A. MORTIER, « Vers une (ré)activation des personnes en incapacité de travail ? » in Actualités et innovations en droit social, CUP, Anthémis, Liège, 2018, p. 140 ; D. DUMONT et al., « La sélectivité des prestations : les mécanismes de cumul des allocations avec d’autres ressources financières ou une activité », in Questions transversales en matière de sécurité sociale 2, Bruxelles, Larcier, 2021, pp. 245 à 247), elle conclut que le médecin-conseil a trois possibilités, étant (i) d’autoriser la reprise d’activité, (ii) de ne pas l’autoriser et (iii) de mettre fin à l’incapacité de travail dès lors que le travailleur ne présente plus 50 % d’incapacité sur le plan médical.

La cour constate en l’espèce que l’expert semble – alors que la mission lui confiée portait sur l’article 100, § 2, – avoir apprécié la capacité de gain au sens de l’article 100, § 1er, et qu’au terme de ses conclusions, l’appelante fait également référence à cette disposition tout en renvoyant en outre à l’article 100, § 2.

Elle rappelle que l’articulation des deux paragraphe est controversée – de même que la définition de la notion de capacité prévue à l’article 100, § 2.

Elle pose dès lors la question de savoir – étant acquis qu’il y a reconnaissance préalable de l’incapacité de travail au sens de l’article 100, § 1er - si (i) les deux paragraphes posent des conditions cumulatives, (ii) si, dans la négative, les deux paragraphes visent le même type de réduction de capacité (le § 1er, visant la capacité de gain et le § 2, une incapacité purement médicale) et (iii) si le paragraphe 2 déroge à la condition de capacité de gain du paragraphe 1er, au profit du travailleur devenu incapable au sens de celui-ci mais qui reprend ultérieurement le travail conformément au paragraphe 2. Pour la cour cette dernière interprétation est conforme à la ratio legis, qui tend à favoriser la reprise volontaire de travail (la cour renvoyant, pour ce, à C. trav. Liège (div. Liège), 15 mars 2023, R.G. 2022/AL/265).

En l’espèce, l’appelante n’a pu bénéficier du chômage (perception d’allocations à titre provisoire en application de l’article 62, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage) mais a émargé au C.P.A.S.

D’autres questions se posent encore, étant notamment les conséquences sur le plan de la prise en charge par l’organisme assureur de l’ablation du matériel de synthèse, l’existence d’une allergie (nickel) pouvant être à l’origine de la fibromyalgie constatée chez l’intéressée ainsi que d’autres déficiences.

La réouverture des débats est dès lors ordonnée aux fins de clarifier l’ensemble de ces points.

L’arrêt du 13 novembre 2024

Après un long rappel des rétroactes de la procédure ainsi que de l’objet de la réouverture des débats, la cour reprend la discussion.

Elle constate que les parties ont circonscrit le cadre juridique de la demande à l’article 100, § 2, et qu’elles considèrent toutes deux que la notion de réduction de capacité d’au moins 50 % contenue au § 2, est médicale par dérogation à la condition de capacité de gain fixée au § 1er.

L’intéressée ayant à la date du 31 mars 2023 mis un terme à son activité complémentaire, la cour constate qu’à cette date c’est l’article 100, § 1er, qui trouve à s’appliquer mais que cette question est en dehors de sa saisine.

La période examinée est celle du 23 février 2022 au 31 mars 2004 et l’examen doit se faire dans le cadre de l’article 100, § 2.

La cour note également au passage que l’hypothèse de conditions cumulatives posées aux deux paragraphes ne doit pas être retenue.

Dès lors, à partir du moment où l’intéressée a été reconnue en incapacité de travail précédemment, cette condition n’est plus à être examinée lorsqu’il s’agit de reprendre un travail autorisé au sens de l’article 100, § 2.
Elle s’appuie également sur la doctrine (J.-Cl. GERMAIN, « Le maintien de l’incapacité de travail en cas de reprise du travail », Revue de la Faculté de droit de Liège, 1993-4, p. 700 et (à propos des dispositions similaires précédemment applicables) P. LEROY, « Note sous C.T. Mons, 25 nov. 1977 », J.T.T., 1978, p. 240) pour conforter cette conclusion.

Considérer que le paragraphe 2 pose une condition supplémentaire n’a pas été voulu par le législateur, ceci ayant également été rappelé plus récemment par P. PALSTERMAN (P. PALSTERMAN, « L’incapacité de travail des travailleurs salariés », Le maintien au travail des travailleurs devenus partiellement inaptes, Anthemis, 2013, p. 24-25).

La cour conclut que l’état médical visé au § 2, déroge dès lors à la condition de capacité de gain au sens du § 1er, et ce au profit du travailleur qui a été reconnu incapable de travailler conformément à cette disposition mais qui reprend ultérieurement un travail.

C’est l’interprétation conforme à la ratio legis de la disposition, étant de favoriser la reprise volontaire du travail.

La cour s’écarte des conclusions de l’expert, qui avait examiné le marché général du travail de l’intéressée et conclu qu’elle avait encore accès à des métiers légers non qualifiés (téléphoniste, agent d’accueil, gardienne de musée,…).

Pour la cour, ce qu’il faut vérifier au sens du § 2, c’est « en référence à des critères plus souples de reconnaissance de son incapacité de travail, si (l’appelante) présente certaines aptitudes physiques pour être à même de reprendre le travail (en l’espèce, celui autorisé jusqu’alors par le médecin-conseil de (l’organisme assureur) et qui a été de facto exercé) tout en retenant que ses aptitudes normales restent encore sérieusement altérées ».

Elle conclut dès lors que les conditions de l’article 100, § 2, de la loi sont remplies.


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