Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 novembre 2024, R.G. 2024/AB/169
Mis en ligne le mercredi 18 juin 2025
C. trav. Bruxelles, 7 novembre 2024, R.G. 2024/AB/169
Résumé introductif
Le refus d’aménagement raisonnable est une des formes de discrimination prohibée, dès lors que le travailleur présente un handicap.
Les mesures appropriées à prendre par l’employeur consistent en toutes mesures efficaces et pratiques, prenant en compte chaque situation individuelle, pour permettre à toute personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser.
Doivent être pris en compte (i) les contraintes matérielles et financières en rapport avec le contexte économique, (ii) les conflits avec les droits et intérêts fondamentaux d’autrui et (iii) l’impact sur le fonctionnement de l’entreprise, étant les difficultés organisationnelles.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une aide-soignante prestant depuis 2003 pour une maison de repos dépendant d’un C.P.A.S. a été en incapacité de travail prolongée de fin 2005 à la mi-février 2008.
La reprise du travail est intervenue dans le cadre d’un mi-temps médical avec l’accord du médecin conseil de la mutualité et du C.P.A.S.
La situation est demeurée inchangée jusqu’au 6 décembre 2022.
Ce mi-temps était organisé depuis la reprise par demi-journées de prestations (matin, après-midi et week-end) sans prestations de nuit.
Une demande a été faite par l’intéressée en janvier 2022 en vue d’adapter l’horaire permettant d’éviter les prestations en matinée. Cette modification est intervenue.
Une question d’horaire a resurgi en octobre, celle-ci devant alors obtenir du médecin conseil de sa mutuelle le renouvellement de l’autorisation de reprise à mi-temps.
Il fut confirmé à l’époque par le médecin traitant qu’elle n’était pas capable de travailler le matin pour raisons médicales.
Le conseiller en prévention–médecin du travail a, dans son avis, repris les recommandations médicales de ce médecin traitant.
Le C.P.A.S. a alors décidé de refuser la poursuite des prestations réduites.
L’aide-soignante est retombée en incapacité de travail.
Les parties restant sur leur position, une requête a été introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles le 17 juillet 2023.
La demande devant le tribunal
La demanderesse sollicitait, dans une action en cessation, que soit constatée la discrimination (étant le refus d’un aménagement raisonnable) et que soit fait injonction à l’employeur d’accorder celui-ci, à savoir de fournir un horaire de travail à mi-temps ne prévoyant pas de prestations en matinée.
L’intéressée demandait également la condamnation de l’employeur à l’indemnité forfaitaire de l’article 18, § 2, 2°, de la loi du 10 mai 2007.
Elle fut déboutée de son action par ordonnance du 18 janvier 2024, le tribunal considérant qu’il n’y avait pas de discrimination, la demande d’adaptation sollicitée présentant une charge disproportionnée pour l’employeur (au sens de l’article 4, 12° de la loi du 10 mai 2007).
La demanderesse interjette appel.
Position des parties devant la cour
L’appelante persiste dans sa demande originaire, étant que la discrimination soit constatée et que sa cessation soit ordonnée, demande constituant actuellement son titre principal.
À titre subsidiaire elle sollicite la condamnation à l’indemnité légale.
La décision de la cour
Un premier point de l’arrêt est consacré à la législation applicable. Il s’agit d’une relation de travail entre un pouvoir local bruxellois et une agente contractuelle. Se pose dès lors la question de savoir si doit être appliquée la loi du 10 mai 2007 ou la législation régionale bruxelloise.
La solution du litige ne différant pas dans les deux cas, la cour, dans un souci d’économie de procédure, ne prononce pas la réouverture des débats et décide d’appliquer la loi fédérale.
L’arrêt reprend ensuite, dans des développements très circonstanciés, la question de l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap eu égard au refus d’aménagements raisonnables.
Ce refus est, en vertu de l’article 14 de la loi, une des formes de discrimination prohibée, dès lors que l’on est en présence d’une personne présentant un handicap.
Renvoyant également au texte légal (article 4, 2°), la cour reprend la notion d’aménagement raisonnable : il s’agit des mesures appropriées, prises en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder, de participer et de progresser dans les domaines auxquels la loi s’applique, en l’occurrence les relations de travail, sauf si ces mesures imposent à l’égard de la personne qui doit les adopter une charge disproportionnée.
La Cour de justice a dans sa jurisprudence précisé la notion de ‘mesures appropriées’. Il s’agit des mesures efficaces et pratiques en prenant en compte chaque situation individuelle, pour permettre à toute personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser (l’arrêt renvoyant à C.J.U.E., 18 janvier 2024, Aff. n° C-631/22 (J.M.A.R. c/ CA NA NEGRETA SA), EU:C:2024:53).
La cour donne comme exemples l’adaptation ou la modification de fonction, la diminution du temps travail ou encore l’adaptation des rythmes de travail et constate, dans ce contexte, que l’attribution d’un horaire à temps partiel excluant les prestations du matin est susceptible de répondre à la définition.
Elle doit dès lors procéder à la vérification du caractère adéquat et raisonnable de la mesure. Doivent intervenir dans l’examen du caractère proportionné ou disproportionné de la charge imposée à l’employeur des éléments concrets, à savoir les coûts financiers et autres que les mesures impliquent, la taille et les ressources financières de l’entreprise ainsi que la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide.
Renvoyant à la doctrine de J.-F. NEVEN (J.-F. NEVEN, « Le droit européen de la non-discrimination : un impact décisif en faveur d’une obligation généralisée de reclassement professionnel ? », Le maintien au travail de travailleurs devenus partiellement inaptes, coord. M. DAVAGLE, Anthemis, 2013, p. 43), la cour retient qu’il y a trois facteurs principaux devant être pris en compte, étant (i) les contraintes matérielles et financières en rapport avec le contexte économique, (ii) les conflits avec les droits et intérêts fondamentaux d’autrui et (iii) l’impact sur le fonctionnement de l’entreprise, étant les difficultés organisationnelles.
Elle reprend ensuite d’autres éléments de droit sur la charge de la preuve, l’action en cessation elle-même et l’indemnisation forfaitaire.
Elle poursuit, par l’examen des arguments des parties et des données de fait de la cause.
Elle en conclut que le C.P.A.S. ne prouve pas que l’aménagement litigieux lui impose une charge disproportionnée. Il y a certes une charge certaine, en particulier en termes d’organisation d’horaires et de gestion.
La cour rappelle cependant qu’une obligation légale est faite à l’employeur d’assumer une telle charge. La seule exemption est qu’elle soit disproportionnée, question qui doit pour la cour être examinée de manière concrète.
L’octroi de cet aménagement pendant près d’un an en 2022 est également pris en considération, ainsi qu’elle le précise textuellement. Il ne s’agit ni d’un précédent ni d’un droit acquis mais « cette mise en situation aurait pu permettre de constater, concrètement, les effets éventuellement disproportionnées de cet aménagement sur le C.P.A.S. ».
En conséquence, elle constate le refus discriminatoire fondé sur le handicap et fait injonction au C.P.A.S. de mettre immédiatement fin à cette discrimination et de remettre l’intéressée au travail selon un horaire de travail à mi-temps ne prévoyant pas de prestations en matinée (hors journées de formation).
La cour fait également droit au paiement de l’indemnité forfaitaire. Elle rouvre cependant les débats par écrit afin de permettre aux parties de calculer le montant définitif et de liquider les dépens.