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Soins de santé : la nomenclature des soins remboursables est stricte et ne peut être interprétée

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 16 décembre 2024, R.G. 2024/AL/9

Mis en ligne le mercredi 18 juin 2025


C. trav. Liège (div. Liège), 16 décembre 2024, R.G. 2024/AL/9

Résumé introductif

Les conditions de l’intervention de l’assurance soins de santé sont d’ordre public. Elles doivent en conséquence faire l’objet d’une d’interprétation stricte et les juridictions ne peuvent s’en écarter sauf en cas de force majeure ou de non-respect d’une norme supérieure.

La nomenclature vise à instaurer un critère objectif permettant aux organismes mutuellistes d’accepter ou de refuser l’octroi d’un taux réduit dans la prise en charge des certains frais (kinésithérapie en l’occurrence) sollicités par les assurés.

Les autorités publiques, qui bénéficient d’une large marge d’appréciation dans la fixation des objectifs poursuivis par le remboursement et dans l’allocation des ressources disponibles, peuvent réserver le bénéfice d’un remboursement plus élevé à un certain nombre de pathologies lourdes au détriment d’autres, qui ne le seraient pas ou pas assez.

Dispositions légales

  • Arrêté royal du 23 mars 1982 portant fixation de l’intervention personnelle des bénéficiaires ou de l’intervention de l’assurance soins de santé dans les honoraires pour certaines prestations – article 7

Analyse

Faits de la cause

Une assurée sociale souffrant de myopathie se vit prescrire des séances de kinésithérapie, pour lesquelles elle introduisit le 21 avril 2021 une demande de remboursement (pathologie lourde – liste E de la nomenclature). Elle joignait à sa demande un rapport circonstancié.

Son organisme assureur refusa au motif que la situation pathologique ne correspondait pas aux conditions de la maladie tel que reprise sur la liste, étant précisé que la décision pouvait être revue dès confirmation du diagnostic, une prise en charge en liste F étant possible.

Le rapport médical fut alors reprécisé par le médecin prescripteur mais le médecin-conseil confirma le refus d’intervention, considérant cette fois que le remboursement ne pouvait intervenir en liste F.

Des rapports médicaux supplémentaires furent soumis et l’avis du Collège des Médecins directeurs de l’INAMI fut demandé. Celui-ci fut défavorable, au motif qu’il n’y avait pas de diagnostic clair et que manquait un bilan fonctionnel avec description des répercussions fonctionnelles. Cet avis était donné dans le cadre de la liste E.

L’INAMI notifia, le 7 janvier 2022, une décision de reconnaissance de l’état d’invalidité, conformément à l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.

Le 21 avril 2022, l’organisme assureur informa l’intéressée du refus de l’INAMI de la prise en charge des frais de kinésithérapie, décision motivée par le fait que la myopathie (d’origine indéterminée) ne figurait pas sur la liste limitative des pathologies lourdes.

Cette décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal du travail de Liège, division Liège.

Les décisions du tribunal

Un premier jugement fut rendu le 14 novembre 2022, désignant un expert avec une mission bien spécifique, s’agissant de donner un avis sur la question de savoir si l’intéressée était atteinte ou non d’une maladie lourde visée par l’article 7, § 3, 3°, de l’arrêté royal du 23 mars 1982 portant fixation de l’intervention personnelle des bénéficiaires ou de l’intervention de l’assurance soins de santé dans les honoraires pour certaines prestations. Dans la négative, le tribunal demandait également à l’expert de dire si la maladie était comparable ou non à celles reprises dans la nomenclature au titre de pathologie lourde.

L’expert conclut que la demanderesse n’était pas atteinte d’une maladie lourde au sens de cette disposition mais que celle-ci était comparable (particulièrement quant aux besoins accrus de kiné ou de physiothérapie) à celles reprises dans la nomenclature.

Le tribunal a dès lors, par jugement du 18 décembre 2023, annulé les décisions litigieuses et condamné l’organisme assureur à octroyer à la demanderesse l’intervention pour pathologie lourde.

Dans son jugement, le tribunal considère que, la pathologie n’étant pas reprise dans la nomenclature, il y a ainsi une différence objective entre sa situation et celle d’une personne souffrant d’une myopathie qui y figure et que ne pas accorder les soins en cause au seul motif que la demanderesse ne souffre pas strictement d’une des maladies figurant dans la nomenclature crée à son détriment une discrimination non justifiée.

Le tribunal a considéré que « le principe d’égalité consacré par les articles 10 et 11 de la Constitution ne peut être sacrifié sur l’autel des impératifs budgétaires avancés par (l’organisme assureur) » et a conclu à l’existence d’une discrimination.

Appel a été interjeté.

La décision de la cour

La cour donne le texte de l’article 7 de l’arrêté royal du 23 mars 1982, qui prévoit les conditions d’intervention dans le cadre de la nomenclature, étant visées (3°), pour les bénéficiaires qui ont un besoin accru de kinésithérapie ou de physiothérapie, trois affections, dont les myopathies, celles-ci étant elles-mêmes subdivisées en trois catégories (dystrophie héréditaire, maladie de THOMSEN et maladie auto-immune).

La cour renvoie ensuite à la doctrine en ce qui concerne la faible marge de manœuvre des juridictions du travail par rapport à la nomenclature, (S. HOSTAUX, Le droit de l’assurance soins de santé et indemnités, Bruxelles, Larcier, 2009, page 90 et jurisprudence citée) ainsi qu’à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 6 mai 2021, R.G. 2018/AB/37), cette décision ayant rappelé le caractère d’ordre public des conditions de l’intervention de l’assurance soins de santé et à l’obligation subséquente d’interprétation stricte, les juridictions ne pouvant s’écarter « un tant soit peu » de la norme sauf en cas de force majeure ou si la nomenclature (qui figure dans un arrêté royal) ne respectait pas une norme supérieure.

En l’espèce, la cour constate que l’intéressée ne peut sur la base d’une lecture stricte de la disposition bénéficier d’un taux réduit d’intervention personnelle pour les soins en cause.

Elle se penche dès lors sur l’analyse faite par le premier juge, qui s’est fondé sur le principe d’égalité et de non-discrimination des articles 10 et 11 de la Constitution.

Elle en reprend la méthode de contrôle, étant que dans l’examen de l’existence d’une discrimination doivent être effectués plusieurs tests successifs (test de comparabilité, critère téléologique, critère d’objectivité, critère de pertinence et critère de proportionnalité).

La cour y procède dès lors.

Elle définit d’abord les catégories comparables, étant les personnes souffrant d’une affection qui figure ou qui ne figure pas dans la nomenclature (test de comparabilité).

Elle définit l’objectif poursuivi par le législateur, qui est la pérennité du système de soins de santé (critère téléologique).

Elle retient que la nomenclature vise à instaurer un critère objectif permettant aux organismes mutuellistes d’accepter ou de refuser l’octroi d’un taux réduit dans la prise en charge des frais de kinésithérapie sollicités par les membres (critère d’objectivité).

Rappelant que les autorités publiques bénéficient d’une large marge d’appréciation à la fois dans la fixation des objectifs poursuivis par le remboursement et dans l’allocation des ressources disponibles, elle considère que la mesure est réservée un certain nombre de pathologies lourdes au détriment d’autres qui ne le seraient pas ou pas assez (critère de pertinence).

Enfin, elle estime que les effets de la mesure ne sont pas disproportionnés, la catégorie de personnes qui ne présentent pas de pathologie lourde disposant de l’intervention de base dans le remboursement des frais (critère de proportionnalité).

La différence de traitement est dès lors objectivement et raisonnablement justifiée et ne produit pas des effets disproportionnés.

La cour réforme, ainsi, le jugement.


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