Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 17 mars 2025, R.G. 23/2.065/A
Mis en ligne le vendredi 27 juin 2025
Tribunal du travail du Hainaut, division Charleroi, 17 mars 2025, R.G. 23/2.065/A
Terra Laboris
Résumé introductif
La notion de parties intéressées est propre au contentieux des élections sociales. Elle ne peut être étendue à la matière de la délégation syndicale. De même pour la personnalité juridique fonctionnelle des organisations syndicales.
Pour les entreprises relevant de la commission paritaire n° 200, la manière dont doit s’entendre la notion d’employé a une incidence concrète sur le nombre des mandats, la convention collective de secteur fixant celui-ci au prorata du nombre d’employés de l’entreprise. Aucune distinction n’est faite entre employés classifiés et employés non classifiés, tous les employés étant visés par la classification professionnelle des fonctions, telle que fixée par convention collective.
Enfin il n’y a pas lieu d’écarter le personnel de direction, catégorie également propre aux élections sociales et qui n’est pas visée par une exclusion dans les textes relatifs à la délégation syndicale.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une importante société belge active dans le secteur verrier dépend pour son personnel employé de la commission paritaire auxiliaire n° 200.
Une de ses implantations (centre de recherche européen), qui constitue une unité technique d’exploitation, a organisé des élections sociales en 2020 et a ainsi deux organes de concertation (CE et CPPT).
Une des organisations syndicales représentatives a proposé, par courrier du 24 février 2021, une nouvelle répartition des mandats pour la délégation syndicale (deux pour une organisation et deux pour l’autre), renvoyant à un arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 13 janvier 2021 rendu à propos de la prise en compte du personnel non barémisé.
Par courrier en réponse, la société marqua son désaccord avec cette proposition, qui aboutissait à un élargissement de la répartition des mandats.
Elle disait se fonder pour la détermination du nombre de délégués dans l’entreprise sur les dispositions de la convention collective de travail sectorielle du 9 juin 2016 relative au statut de la délégation syndicale, étant d’une part son article 15 (déterminant le nombre de délégués) et de l’autre l’article 1 du Commentaire paritaire joint à cette convention collective. La société contestait, en conséquence, devoir modifier le nombre de mandats existants.
La discussion porte sur la notion d’ « employé », étant de savoir si elle doit être entendue (ou non) au sens d’employé visé par la classification professionnelle contenue dans une (autre) CCT du 9 juin 2016 concernant la classification des fonctions ou établie par des conventions d’entreprise.
Des discussions se poursuivent et une conciliatrice sociale fut désignée.
Aucun accord ne se dégagea, une dernière réunion du bureau de conciliation confirmant les positions divergentes des parties, l’employeur persistant à considérer que les « employés non qualifiés » (« employés non barémisés ») devaient être exclus, et ce contrairement à la position de l’organisation syndicale.
Le 23 novembre 2022, celle-ci notifia les noms d’un délégué effectif et d’un délégué suppléant, maintenant sa position.
La demande d’extension fut encore faite le 31 août 2023 et de nouveau refusée.
En conséquence, une procédure fut introduite par la confédération de l’organisation syndicale, sa centrale sectorielle et une déléguée.
Objet de la demande
A titre principal, il est essentiellement demandé au tribunal de (i) dire pour droit que le commentaire de l’article 1 de la CCT sectorielle n’est pas contraignant ou en toute hypothèse qu’il est nul car discriminatoire et, en suite de ce constat de nullité, de dire pour droit que tout employé (hors personnel de direction) doit être pris en compte pour le calcul du nombre de membres effectifs et suppléants de la délégation syndicale et (ii) de faire droit à la position de l’organisation, étant que la délégation syndicale peut valablement représenter tant les employés classifiés que les non classifiés, la liste de candidats pouvant également comprendre ces derniers (une thèse subsidiaire est également développée, concernant la déléguée exclusivement et une demande est encore faite à titre plus subsidiaire encore).
La décision du tribunal
Le premier point tranché est celui relatif à la compétence, une contestation opposant ici les parties, l’employeur soutenant qu’il s’agit d’un litige d’ordre collectif et non individuel comme soutenu par les parties demanderesses.
Renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2022 (Cass., 12 décembre 2022, S.21.0029.N), le tribunal précise que pour l’application de l’article 578, 3°, du Code judiciaire, la distinction entre un litige d’ordre individuel et un litige d’ordre collectif relatif à l’application d’une convention collective de travail n’est pas définie par l’objet de la demande mais par l’objectif réel poursuivi par les parties. Les conclusions prises par M. l’Avocat général avant cet arrêt de la Cour de cassation précisent que, s’agissant du pouvoir de juridiction des cours et tribunaux, il convient d’avoir égard à l’objectif réel des demandes présentées par les parties ainsi qu’aux conséquences juridiques de leur éventuel bien-fondé.
Il souligne également que la notion de litige d’ordre individuel doit être interprétée dans un sens très large (avec renvoi aux travaux préparatoires (Doc. Parl., Sénat, Rapport sur le projet de loi sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, 14 décembre 1967, session 1967–1968, numéro 78, page 112).
Pour le tribunal, l’objectif réel porte sur le droit subjectif de chaque organisation à être représentée au sein de la délégation syndicale, indépendamment du fondement ou non de cette demande.
Le tribunal du travail est dès lors matériellement compétent pour la demande principale (mais non pour la demande subsidiaire, qui porte sur la désignation elle-même, ce qui ressort de la négociation collective).
Il vérifie ensuite l’intérêt et la qualité des parties demanderesses pour agir, rappelant qu’il s’agit d’un litige portant sur l’application de dispositions normatives collectives (fonctionnement de la délégation syndicale) et que cet intérêt et cette qualité sont confirmés par l’article 4, alinéa 1er, de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires.
Les deux autres organisations syndicales représentatives étant également présentes à la cause en qualité de parties intéressées (notion propre au contentieux des élections sociales), le tribunal considère que l’action les concernant n’est pas recevable. Les parties demanderesses les ont en effet mises à la cause en vue de s’entendre déclarer le jugement commun. Pour le tribunal, leur personnalité juridique fonctionnelle ne s’étend pas à cette hypothèse.
Après avoir ensuite très brièvement constaté que le recours a été introduit dans les délais requis, le tribunal en vient au fond, question sur laquelle il procède à un rappel de la notion de délégation syndicale et examine le statut de celle-ci au sein de la commission paritaire 200, où a été conclue une convention collective le 9 juin 2016 relative au statut de la délégation syndicale.
Dans le cadre de celle-ci, la manière dont doit s’entendre la notion d’employé a une incidence concrète sur le nombre de mandats, l’article 15 fixant celui-ci au prorata du nombre d’employés dans l’entreprise.
Vient alors la question de la distinction entre employés classifiés et employés non classifiés.
Le Commentaire renvoie en son article 1 aux employés visés par la classification professionnelle fixée par une autre convention collective du même jour (convention collective du 9 juin 2016 concernant la classification des fonctions). Celle-ci retient quatre classes (fonctions exécutives, de support, de gestion et consultatives).
Le tribunal rappelle longuement la classification elle-même (article 3 de la CCT) et en conclut que toutes les fonctions exercées par les employés ont vocation à être reprises dans la classification, la disposition prévoyant comment classer la fonction si un employé en exerce une qui n’y est pas reprise comme telle, étant qu’il faut procéder par équivalent ou en se fondant sur les critères de distinction de niveau.
Il conclut qu’il n’y a aucune interprétation possible, le texte étant clair.
Il juge dès lors que la position de l’employeur n’est pas compatible avec cette disposition, retenant en outre que si les employés non classifiés bénéficient de conditions salariales plus favorables, ceci n’est pas incompatible avec l’établissement du barème minimal décrit dans la CCT en son article 3.
La notion d’employé non classifié est, en conséquence, une notion qui n’existe pas et il ne pourrait être question d’une éventuelle discrimination entre employés classifiés et employés non classifiés, tous les employés étant visés par la classification professionnelle des fonctions.
Le tribunal en veut encore pour preuve que cette manière de voir est conforme à la définition des employés figurant à l’article 1, alinéa 2, des deux CCT du 9 juin 2016, selon lequel il faut entendre par là « les employés et les employées ».
Si le jugement conclut ainsi à l’absence de discrimination, il fait droit à la demande en ce qu’elle porte sur la reconnaissance d’une représentation conforme à la CCT du 9 juin 2016 relative au statut de la délégation syndicale, prenant en considération tous les employés afin de fixer le nombre de membres effectifs et suppléants.
Le jugement relève encore qu’il n’y a pas lieu d’exclure le personnel de direction, catégorie qui est propre aux élections sociales et ne n’existe pas dans les textes relatifs à la délégation syndicale.
Le tribunal fait également droit à la demande d’astreinte, considérant que, au regard de l’importance que revêt l’existence d’une concertation sociale conforme aux règles en vigueur, celle-ci se justifie. Son montant est cependant limité à 100 € par jour de retard et par employé dont la désignation aura été refusée.