Commentaire de C.J.U.E., 23 janvier 2025, Aff. n° C-421/23 (PROCUREUR DU ROI c/ EX en présence de l’OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE), EU:C:2025:36
Mis en ligne le vendredi 27 juin 2025
Cour de Justice de l’Union européenne, 23 janvier 2025, Aff. n° C-421/23 (PROCUREUR DU ROI c/ EX en présence de l’OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE), EU:C:2025:36
Terra Laboris
Résumé introductif
La jurisprudence de la C.J.U.E. en matière de validité des certificats A1 vaut également pour ce qui est de leur authenticité.
Une juridiction de l’État membre d’accueil saisie dans le cadre d’une procédure pénale ne peut se prononcer sur l’existence d’une fraude et écarter de faux certificats A1 qu’après qu’a été enclenchée la procédure de dialogue et de conciliation et que soit l’institution émettrice a pris position soit s’est abstenue de procéder au réexamen de ces certificats dans un délai raisonnable.
Dès lors que l’institution émettrice a confirmé qu’elle ne les a pas délivrés, la juridiction nationale peut constater qu’il s’agit de faux documents et qu’elle n’est pas liée par les mentions qui y figurent.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Entre les années 2012 et 2017, un entrepreneur portugais a fait travailler 650 travailleurs de nationalité portugaise en Belgique, et ce par l’intermédiaire de plusieurs sociétés. Il s’agit de travaux du secteur de la construction.
Des certificats A1 émanant de l’institution portugaise compétente attestant que ces travailleurs étaient affiliés au régime de sécurité sociale portugais ont été utilisés.
Une procédure pénale a été initiée devant le Tribunal de première instance de Namur, vu de nombreuses irrégularités constatées dans le cadre de ces mises au travail.
Par jugement du 10 novembre 2021, le tribunal a reconnu diverses fraudes en matière de cotisations de sécurité sociale et de documents (ceux-ci étant des faux car ne provenant pas des autorités compétentes). Il fut également constaté que les sociétés en cause n’exerçaient aucune activité substantielle au Portugal, leur seul objet étant de pourvoir de la main-d’œuvre bon marché en Belgique.
Appel a été interjeté tant par le ministère public que par le prévenu.
Dans le cadre de l’appel, l’intéressé ne conteste pas que les documents sont faux. Il plaide cependant que, en cas d’indice de fraude (situation qui inclut l’usage de faux certificats A1), la procédure de dialogue et de conciliation de l’article 76, paragraphe 6 du Règlement n° 883/2004 constitue un préalable obligatoire avant que l’existence de la fraude puisse être constatée.
La décision de la juridiction de renvoi
La Cour d’appel de Liège rappelle les arrêts A-Rosa Flusschiff (C.J.U.E., 27 avril 2017, C-620/15 (A-ROSA FLUSSSCHIFF c/ URSSAF),EU:C:2017:309) ainsi que CRPNPAC et Vueling Airlines (C.J.U.E., 2 avril 2020, Aff. n° C-370/17 et C-37/18 (CAISSE DE RETRAITE DU PERSONNEL NAVIGANT PROFESSIONNEL DE L’AÉRONAUTIQUE CIVILE (CRPNPAC) c/ VUELING AIRLINES SA et VUELING AIRLINES SA c/ POIGNANT), EU:C:2020:260).
Elle s’interroge toutefois sur l’application de cette jurisprudence dans les circonstances de la cause, où le premier juge a dûment constaté que les certificats n’ont pas été émis par l’institution mentionnée sur ceux-ci (ce qui n’est pas contesté au stade de l’appel) mais où des cotisations ont été versées au régime de sécurité sociale portugais, alors qu’aucune activité substantielle n’était exercée par les sociétés au Portugal.
Les questions préjudicielles
La première question porte sur l’interprétation du Règlement n° 883/2004, étant de savoir s’il s’applique dans l’hypothèse visée (absence de contestation que les documents sont des faux et qu’ils ne proviennent pas de l’institution compétente de l’Etat d’émission, celui-ci ayant cependant perçu des cotisations de sécurité sociale).
Dans l’affirmative, la cour d’appel demande si dans cette hypothèse la procédure de dialogue et de conciliation est un préalable obligatoire aux fins de déterminer si les conditions d’existence de la fraude sont réunies.
Ensuite, la cour demande, dans l’hypothèse où les réponses à ces deux questions seraient positives, si, en application du principe général du droit de l’Union qui est l’interdiction de la fraude et de l’abus de droit, les autorités de l’État où l’activité a été exercée peuvent ne pas tenir compte de ces certificats A1, en ce compris en l’absence de mise en œuvre de la procédure de dialogue et de conciliation en cas de suspicion de fraude dès lors que les faits soumis permettent de constater que les certificats ont été produits à la suite d’un comportement jugé frauduleux par une autorité judiciaire de l’État d’accueil.
La décision de la Cour
La Cour rappelle sur la première question que la règle de l’unicité de la législation nationale de sécurité sociale applicable (article 11, paragraphe 1, du Règlement n° 883/2004) s’applique aux ressortissants d’un État membre employés par un entrepreneur établi dans celui-ci, qui effectuent pour son compte dans un autre État membre un travail pour lequel l’institution compétente en matière de sécurité sociale du premier État membre perçoit des cotisations de sécurité sociale.
L’existence de faux certificats telle que constatée par la juridiction nationale et non contestée par l’entrepreneur ne modifie en rien l’applicabilité du Règlement n° 883/2004 en cas de procédure pénale.
La réponse de la Cour est dès lors que le Règlement s’applique y compris dans le cas d’une procédure pénale contre l’entrepreneur devant les juridictions de l’État membre d’activité, en cas de commission de fraudes en matière de sécurité sociale lorsqu’il est constaté par la juridiction – sans être contredite par l’entrepreneur – qu’il s’agit de faux documents.
Sur la deuxième question, relative à la mise en œuvre préalable de la procédure de dialogue et de conciliation, la cour souligne qu’il s’agit d’un moyen institué par le législateur européen afin de résoudre les différends entre les institutions compétentes des Etats membres concernés.
Renvoyant à sa jurisprudence ci-dessus (à laquelle elle ajoute C.J.U.E., 2 mars 2023, Aff. n° C-410/21 et C-661/21 (FU, DRV INTERTRANS BV et VERBRAEKEN J. EN ZONEN BV et PN), EU:C:2023:138), elle énonce qu’une juridiction de l’État membre d’accueil saisie dans le cadre d’une procédure pénale ne peut se prononcer de manière définitive sur l’existence de la fraude et écarter les certificats en cause que si elle constate - après avoir le cas échéant suspendu la procédure judiciaire (en vertu de son droit national) -, que la procédure de dialogue et de conciliation a été promptement enclenchée et que l’institution émettrice s’est abstenue de procéder au réexamen des certificats et de prendre position dans un délai raisonnable.
Elle précise que même si l’arrêt du 2 mars 2023 ci-dessus a été rendu dans une hypothèse où l’institution (ou la juridiction) de l’État membre d’accueil émettait des doutes non sur l’authenticité des certificats mais sur leur validité, cette obligation doit également être respectée lorsque c’est l’authenticité qui est visée, la solution inverse étant incohérente au regard de l’effet contraignant attaché aux certificats A1.
Elle confirme dès lors l’application de la jurisprudence en cas de suspicion d’usage de faux certificats dans le but d’éluder les conditions auxquelles le Règlement subordonne le détachement des travailleurs.
Cependant, dès lors que l’institution émettrice a confirmé dans le cadre de la procédure de dialogue et de conciliation qu’elle ne les a pas délivrés et que par conséquent il s’agit de faux, ces documents ne sauraient être considérés ni comme des certificats A1 ni, par voie de conséquence, comme produisant des effets propres à ceux-ci, parmi lesquels figure leur effet contraignant à l’égard des institutions et des juridictions de l’État membre d’accueil. Par conséquent, dès lors que l’institution émettrice a confirmé qu’elle ne les a pas remis, la juridiction nationale peut constater qu’il s’agit de faux documents et n’est pas liée par les mentions qui y figurent.
Vu que l’institution ayant prétendument émis les documents a perçu les cotisations de sécurité sociale pour les travailleurs en cause, la juridiction de l’Etat membre d’accueil, saisie dans le cadre d’une procédure pénale, ne saurait se prononcer définitivement sur l’existence d’un détachement frauduleux sans avoir vérifié que la procédure de dialogue et de conciliation a été respectée, et ce non seulement pour ce qui est de l’authenticité des documents mais également pour la détermination de la législation applicable.
La Cour conclut que la juridiction nationale ne peut se prononcer sur l’authenticité de ces documents et les écarter que d’une part s’il a été procédé comme exposé ci-dessus (suspension de la procédure judiciaire, confirmation par l’institution émettrice dans le cadre de la procédure de dialogue et de conciliation enclenchée par l’institution du pays d’accueil qu’elle n’a pas délivré les documents ou abstention de cette même institution émettrice, et ce dans un délai raisonnable) et d’autre part si les garanties inhérentes au droit à un procès équitable ont été respectées.
Elle réserve encore quelques développements à la manière d’engager la voie du dialogue, aucune forme particulière n’ayant été prévue par le législateur européen, de même pour saisir la commission administrative. Le règlement n° 883/2004 se borne, en effet, à indiquer à son article 76, paragraphe 6, que l’institution de l’État membre compétent ou de l’État membre de résidence de l’intéressé ‘contacte’ la ou les institutions du ou des Etats membres concernés et que, à défaut de solution dans un délai raisonnable, les autorités concernées ‘peuvent saisir’ la commission administrative.
En l’espèce, la Cour constate que, avant l’engagement de la procédure pénale, les institutions belge et portugaise compétentes ont enclenché la voie du dialogue sur la question de l’authenticité des documents et l’examen des faits à la base de ceux-ci. L’institution portugaise a confirmé qu’elle ne les avait pas émis. La procédure a ainsi été respectée. La Cour juge dès lors que le Tribunal de première instance de Namur pouvait constater que les documents constituaient des faux et qu’il n’était pas lié par eux.
Enfin, sur la troisième question, la Cour conclut brièvement, la considérant irrecevable, vu son caractère hypothétique.