Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 22 janvier 2025, R.G. 24/1.080/A
Mis en ligne le vendredi 27 juin 2025
Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 22 janvier 2025, R.G. 24/1.080/A
Terra Laboris
Résumé introductif
L’exposition au risque professionnel n’est pas liée à une profession particulière mais peut relever du milieu professionnel dans lequel évolue le travailleur indépendamment de son travail effectif : tant les milieux de travail que les travaux eux-mêmes peuvent exposer au risque.
Dans le secteur public, existe une présomption légale d’exposition au risque, de nature réfragable. L’employeur public qui veut renverser celle-ci ne peut se limiter à présenter des éléments qui tendraient à établir qu’existerait un doute sur l’existence effective du risque professionnel dans le milieu de travail. Le doute ne suffit pas à renverser la présomption.
Dans le cadre de la lutte contre le COVID-19, Fedris, en tant qu’institution de sécurité sociale, s’est vue confier des missions particulières, sur le plan de la collaboration à la collecte de la preuve, étant notamment tenue d’indiquer au demandeur les preuves attendues de sa part ainsi que de rassembler les informations disponibles ailleurs, notamment auprès des services de prévention et de protection au travail.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une agente de police statutaire a présenté des signes de l’affection du COVID-19, objectivés en octobre 2020.
Elle a été placée en incapacité de travail et a repris celui-ci quelques semaines plus tard en mi-temps médical.
Elle s’est plainte, par la suite, de deux symptômes persistants, étant une fatigue au moindre effort ainsi que des jambes ‘sans repos’.
Elle a introduit une demande d’indemnisation pour maladie professionnelle auprès de Fedris, décrivant ses conditions de travail (travail administratif sur écran dans un local d’environ 70 m2 où neuf personnes sont régulièrement occupées, le local étant par ailleurs fréquenté par une moyenne de cinq collègues y passant pour utiliser l’imprimante et/ou le scanner), rendant la distanciation d’un mètre et demi difficile, voire impossible.
Au moins cinq cas de COVID ont été relevés dans les 14 jours et un rapport médical atteste qu’un lien épidémiologique existe entre ceux-ci.
La Zone de police a suivi les conclusions de Fedris et une proposition de décision lui a été envoyée le 23 mai 2022, reconnaissant une incapacité temporaire et autorisant le remboursement de frais médicaux.
Par décision datée du 20 février 2023 et envoyée le 8 mars, la reconnaissance de la maladie professionnelle a cependant été annulée par le Conseil de police. Le courrier précise que cette décision a été prise suite au rapport du Service interne de prévention et de protection au travail.
L’intéressée a contesté et a introduit une procédure devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles le 23 février 2024.
Position des parties devant le tribunal
La demanderesse sollicite la réparation d’une maladie qui ne figure pas sur la liste.
Elle relève que Fedris a accepté sans condition la maladie en cause pour tous les métiers soignants ainsi que pour ceux des secteurs cruciaux et des services essentiels, deux conditions étant à remplir, étant : (i) l’objectivation de la flambée d’infections par au moins cinq personnes ayant contracté le virus et (ii) l’objectivation du COVID-19 par un test PCR.
Elle expose également les raisons pour lesquelles les risques d’une contamination découlant de la vie privée doivent être exclus et se fonde pour le surplus sur la présomption d’exposition dans le secteur public.
Quant à la Zone de police et Fedris (l’agence étant intervenue volontairement à la cause), elles contestent à la fois l’atteinte et le lien causal. Elles estiment que la demanderesse doit établir la cause réelle de la maladie dans son cas individuel et non seulement l’existence d’un risque professionnel au niveau collectif. Le risque professionnel n’est qu’une potentialité basée sur le constat d’une causalité statistique, épidémiologique, tandis que le lien causal direct et déterminant vise un lien causal individuel et concret.
La décision du tribunal
Le tribunal fait une analyse particulièrement fouillée et circonstanciée du régime légal de réparation de la maladie professionnelle dans le secteur public et spécifiquement dans le cadre de l’arrêté PjPol.
Il renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 14 novembre 2024 (n° 121/2024), rendu dans le cadre de l’arrêté royal du 28 mars 1969, où la Cour a conclu qu’il y a violation des articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les dispositions de cet arrêté royal soumettent la reconnaissance de la maladie COVID-19 comme maladie professionnelle à deux conditions temporelles, à savoir que les activités professionnelles aient été exercées entre le 18 mars 2020 et le 17 mai 2020 inclus et que la maladie ait été constatée entre le 20 mars 2020 et le 31 mai 2020 inclus.
Le tribunal examine les codes 1.404.04 (inséré par l’arrêté royal n° 39 du 26 juin 2020 modifiant l’arrêté royal du 28 mars 1969 dressant la liste des maladies professionnelles donnant lieu à réparation et fixant les critères auxquels doit répondre l’exposition au risque professionnel pour certaines d’entre elles en raison du COVID-19) et 1.404.05 (introduit par l’arrêté royal du 9 décembre 2021 modifiant l’arrêté royal du 28 mars 1969 dressant la liste des maladies professionnelles donnant lieu à réparation et fixant les critères auxquels doit répondre l’exposition au risque professionnel pour certaines d’entre elles). Ce dernier code vise toute maladie provoquée par le SARS–CoV–2 chez les travailleurs qui, au cours de leurs activités professionnelles, ont été impliqués dans une flambée de cas d’infections dans une ‘entreprise’.
Le jugement souligne qu’aucune norme minimale n’est établie pour définir la notion d’exposition au risque professionnel exigé par l’arrêté PjPol et que l’exposition au risque professionnel n’est pas liée à une profession particulière mais peut relever du milieu professionnel dans lequel évolue le travailleur indépendamment de son travail effectif. Les travaux comme les milieux de travail peuvent exposer au risque.
Il reprend ensuite la présomption légale d’exposition, soulignant que, pour démontrer la preuve contraire, l’employeur public ne peut pas se limiter à présenter des éléments qui tendraient à établir qu’existerait un doute sur l’existence effective du risque professionnel dans le milieu de travail. Le doute ne peut en effet renverser la présomption.
En l’espèce, le tribunal estime devoir examiner prioritairement si la maladie est reprise dans la liste des maladies professionnelles.
Les services de police ont été repris, comme service essentiel, dans l’annexe à l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant des mesures urgentes pour limiter la propagation du coronavirus COVID–19, qui détermine quels sont les secteurs autorisés à poursuivre ou reprendre leurs activités.
A priori l’intéressée ne remplit pas toutes les conditions du code 1.404.04.
Cependant, vu l’apport de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 14 novembre 2024, le tribunal estime que si l’on ne tient plus compte des deux conditions temporelles, les critères sont (i) la distanciation (possible ou non), (ii) le laps de temps entre la survenance de la maladie et la dernière prestation de travail ainsi que (iii) celui entre cette survenance et la date à laquelle l’entreprise où le travailleur a exercé son activité a cessé d’être reprise à l’annexe de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020.
L’audience de plaidoirie ayant eu lieu le 19 novembre 2024, soit cinq jours après que la Cour constitutionnelle a rendu son arrêt, le tribunal décide d’ordonner une réouverture des débats afin de permettre aux parties de débattre des conséquences de celui-ci sur la possibilité pour la demanderesse d’invoquer le code 1.404.04.
En ce qui concerne le code 1.404.05, il constate que, pour Fedris, la demanderesse ne réunit pas toutes les conditions prévues. Il rappelle ici également que celle-ci bénéficie de la présomption d’exposition et que, lors de l’élaboration de ce code, le gouvernement semblait « bien conscient » de la difficulté pour le demandeur de rapporter (dans le secteur privé) la preuve de la réunion de ces conditions et qu’il a prévu que Fedris, en tant qu’institution de sécurité sociale collaborerait à la collecte de la preuve - ce qui, concrètement, lui imposait d’indiquer au demandeur les preuves attendues de sa part - et qu’elle rassemblerait des informations disponibles ailleurs, notamment auprès des services de prévention et de protection au travail.
Le jugement déplore la manière dont Fedris a collaboré à la collecte de la preuve en l’espèce, s’étant limitée à faire remplir une attestation par le conseiller en prévention – médecin du travail. Il constate également que les éléments avancés par la demanderesse ne sont pas contestés quant à la distribution des locaux et relève encore qu’il n’y a pas eu de réelle enquête contradictoire quant aux espaces et à la fréquentation des zones de travail.
Une expertise est dès lors ordonnée tous droits des parties saufs.