Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 11 janvier 2024, R.G. 2023/AN/55
Mis en ligne le vendredi 22 août 2025
C. trav. Liège (div. Namur), 11 janvier 2024, R.G. 2023/AN/55
Un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 11 janvier 2024 rappelle que, s’agissant de personnes sans-abri, les C.P.A.S. sont tenus d’appliquer avec souplesse les règles déterminant leur compétence et leurs missions.
Rétroactes
Un bénéficiaire du revenu d’intégration sociale a contesté par requête introduite en date du 19 janvier 2022, devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur), une décision du C.P.A.S. lui retirant le RIS et annonçant la récupération des montants versés depuis le 1er octobre 2021.
La décision a été prise au motif que l’intéressé ne prouve plus sa résidence sur Namur à compter de cette date, son bail ayant été rompu (d’un commun accord) à ce moment, chose qui n’a pas été portée à la connaissance du C.P.A.S., laissant celui-ci sans information exacte quant à sa situation de logement. L’intention frauduleuse est retenue.
Le recours introduit concerne également une deuxième décision du 18 mai 2022, qui, après un complément d’information, confirme que l’intéressé ne résiderait pas effectivement à Namur depuis la date indiquée. Le CPAS n’est dès lors plus compétent pour intervenir en sa faveur.
L’intéressé ayant introduit une demande de renonciation à la récupération, le C.P.A.S. confirme qu’il n’y fait pas droit, vu l’absence de bonne foi.
La procédure
Dans le cadre de la première instance, le C.P.A.S. introduit une demande reconventionnelle tendant au remboursement d’un indu du 1er octobre 2021 au 21 février 2022.
La décision du tribunal
Le tribunal a statué par jugement du 13 mars 2023.
Il a retenu que, jusque février 2022, l’intéressé était dans une situation établie et stable et que ce n’est qu’ultérieurement qu’il n’a plus résidé sur le territoire de Namur, logeant de manière très régulière dans des hôtels à Bruxelles.
Le tribunal a également examiné les extraits de compte, dont il ressort que les achats effectués ne sont pas majoritairement réalisés à Namur.
Il accueille dès lors la demande reconventionnelle du C.P.A.S.
Le demandeur interjette appel.
Position des parties devant la cour
L’appelant considère que le C.P.A.S. ne démontre pas une absence de collaboration dans son chef. Il conteste toute fraude ou toute omission volontaire. Il plaide qu’il a la qualité de sans-abri depuis le 1er octobre 2021, n’ayant pu obtenir une résidence habitable par ses propres moyens. Il a été, ainsi, contraint d’être hébergé à titre charitable et provisoire par des connaissances, ainsi que dans des hôtels, des abris de nuit et même dans une gare.
Le C.P.A.S. de Namur est territorialement compétent pour la période en cause, dans la mesure où il a changé régulièrement d’hébergement et d’endroit pour dormir et a vécu dans la marginalité, aucun élément du dossier ne permettant de déterminer une date de déménagement vers le territoire d’une autre commune.
Il estime ainsi pouvoir prétendre au RIS en sa qualité de sans-abri, les critères de temporalité et de précarité du logement étant remplis.
À titre subsidiaire, il plaide, pour les périodes où il a été hébergé par des connaissances, qu’il n’y avait pas cohabitation à défaut de vie sous le même toit et/ou en raison du caractère temporaire et résultant d’un cas de force majeure. En outre, il ne réglait pas en commun les questions ménagères. Pour le reste de la période, il explique qu’il ne faisait que dormir et prendre sa douche dans les divers lieux qu’il fréquentait.
Quant au C.P.A.S., il maintient qu’il y a un mensonge délibéré de l’intéressé sur sa situation réelle, rendant impossible la vérification de celle-ci en temps utile.
Il considère également qu’il n’y a pas de situation de grande vulnérabilité au motif que l’intéressé a volontairement quitté son logement et qu’il cohabitait avec un tiers avant la fin du bail.
La décision de la cour
La cour rappelle en premier lieu que les conditions d’octroi fixées par la loi du 26 mai 2002 (article 3) doivent s’apprécier au moment et à partir de la demande d’aide et que le juge doit tenir compte des faits qui se sont produits depuis la décision et qui exercent une influence sur le litige.
Elle constate que l’appelant a fourni – même s’il y a eu des réticences – toutes les informations nécessaires à l’examen de sa situation et qu’il n’y a pas d’éléments permettant de supposer l’existence de ressources occultes. Elle souligne sur ce point que le caractère involontaire de l’insuffisance de celles-ci n’est pas une condition d’octroi du droit à l’intégration sociale. En conséquence, que la fin du bail soit intervenue à l’initiative de l’appelant est un élément non pertinent.
Pour ce qui est de la condition de résidence effective, étant qu’il s’agit de la situation de la personne qui séjourne habituellement et en permanence sur le territoire du Royaume (pour autant qu’elle y soit autorisée), trois éléments sont requis : (i) une volonté de s’établir en un endroit défini, (ii) une présence effective à l’endroit choisi et (iii) une permanence ou une durée certaine de présence.
Renvoyant à un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles (Trib. trav. Bruxelles, 2 juin 2006, inédit, R.G. 2054/06), la cour précise que le caractère habituel et permanent de la résidence suppose un lieu de vie, s’agissant non seulement d’un lieu où la personne dort mais également s’alimente, fait sa toilette et entretient ses effets. Quant à la notion de permanence, elle suppose une présence certaine dans la durée.
La question se pose dès lors de savoir si l’intéressé avait sa résidence effective à Namur, ce qui conditionne la compétence du C.P.A.S. Pour la cour, cette question en pose une autre, étant de savoir s’il doit être considéré comme une personne sans-abri. Elle renvoie à une autre décision, étant ici un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 11 janvier 2007, RG 48 227).
Cette notion a été précisée dans le cadre des missions des C.P.A.S.
Une loi du 12 janvier 1993 contenant un programme d’urgence pour une société plus solidaire a imposé à l’époque de nouvelles règles régissant la compétence territoriale des C.P.A.S. à l’égard des personnes sans-abri. Elle a également défini le terme : est une personne sans-abri celle qui « n’a pas de résidence habitable, qui ne peut, par ses propres moyens, disposer d’une telle résidence et qui se trouve dès lors sans résidence ou dans une résidence collective où elle séjourne de manière transitoire, passagère, en attendant de pouvoir disposer d’une résidence personnelle ».
Le conseil d’État a ajouté que sont sans-abri « les personnes qui, inscrites ou non dans les registres de population ou dans un registre des étrangers, n’ont de gîte nulle part ».
Il s’agit d’une notion à apprécier dans chaque cas concret.
Une circulaire est également intervenue (Circulaire ministérielle du 27 avril 1995 déterminant le C.P.A.S. compétent pour accorder l’aide sociale aux personnes sans-abri et aux rapatriés belges) pour viser également « la personne hébergée provisoirement par un particulier en vue de lui porter son secours, de manière transitoire et passagère, en attendant qu’elle dispose d’un logement ou encore celle qui dort dans des édifices publics qui n’ont pas la fonction de logement (gares, etc.) ».
Depuis la loi du 26 mai 2002, le sans-abri a été défini comme visant la personne « qui ne dispose pas de son logement, qui n’est pas en mesure de l’obtenir par ses propres moyens et qui n’a dès lors pas de lieu de résidence, qui réside temporairement dans une maison d’accueil en attendant qu’un logement personnel soit mis à sa disposition ». Sont également visés, en vertu d’une circulaire du 7 mai 2007 concernant la loi modifiant celle du 26 mai 2002 « les personnes hébergées provisoirement par un particulier en vue de leur porter secours de manière transitoire et passagère, en attendant qu’elles disposent d’un logement ».
Pour déterminer la compétence territoriale, il y a lieu de retenir celle du C.P.A.S. de la commune ou l’intéressé a sa résidence de fait c’est-à-dire où il se trouve au sens physique du terme, indépendamment du lieu de son domicile éventuel.
Reprenant les éléments du dossier, la cour retient que l’intéressé était sans abri pendant la période litigieuse, étant dans une situation de précarité constante et n’ayant pu être hébergé par des connaissances que pendant peu de temps. Vient conforter cette conclusion le fait qu’il avait loué un box où il entreposait ses affaires et celui qu’il avait à diverses reprises dû trouver asile dans des abris de nuit, une gare, ainsi que différents hôtels.
Quant à la question de savoir s’il s’agit du C.P.A.S. de Namur, la cour reprend encore le fait que l’intéressé vivait dans la marginalité et qu’il ne disposait pas de résidence permanente. Il faut dans cette hypothèse, ainsi que l’a retenu l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 11 janvier 2007 cité ci-dessus, que le C.P.A.S. applique avec souplesse les règles déterminant sa compétence et sa mission. La marginalisation de l’individu ne peut aboutir à le priver de l’aide nécessaire pour mener une vie conforme à la dignité humaine.
La cour conclut au droit pour l’appelant au RIS au taux isolé et accueille dès lors l’appel.
Intérêt de la décision
La Cour du travail de Liège (division Namur) reprend dans cet arrêt l’évolution de la notion de sans-abri, depuis la loi du 12 janvier 1993 contenant un programme d’urgence pour une société plus solidaire.
Il s’agit d’une notion large, qui repose sur un critère de base, étant l’impossibilité pour les personnes - faute de moyens - de se procurer une résidence habitable, celles-ci devant recourir à des solutions précaires et diverses en vue de se loger.
Un point particulier des développements faits par la cour concerne la définition du « caractère habituel et permanent de la résidence », qui vise non seulement le lieu où la personne dort mais également celui où elle s’alimente, fait sa toilette et entretient ses effets.
Relevons que in fine de l’arrêt, la cour insiste sur l’obligation pour les C.P.A.S. d’appliquer avec souplesse les règles déterminant sa compétence et ses missions, afin d’éviter que l’état de marginalité ne prive définitivement les intéressés de l’aide nécessaire pour mener une vie conforme à la dignité humaine.