Commentaire de C. trav. Mons, 2 octobre 2024, R.G. 2023/AM/261
Mis en ligne le mercredi 10 septembre 2025
C. trav. Mons, 2 octobre 2024, R.G. 2023/AM/261
Résumé introductif
La vie en commun suppose la présence régulière d’autres personnes avec le demandeur mais n’exige pas leur présence ininterrompue. Il appartient au juge d’apprécier en fait les éléments soumis.
Pour bénéficier du taux du revenu d’intégration avec famille à charge, il n’est pas requis que le demandeur vive la totalité du temps avec ses enfants ni que ceux-ci soient à sa charge exclusive.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
La demanderesse originaire vit seule avec ses deux enfants nés respectivement en 1997 et 2000. Son mari l’a quittée en mars 2008 et le divorce entre les parties est intervenu en juillet 2009.
Les enfants communs du couple sont hébergés alternativement chez chacun de leurs parents suite à deux décisions de justice. Ceci, à raison d’une semaine sur deux et de la moitié des vacances scolaires. Les enfants sont inscrits au domicile de la mère. Une contribution alimentaire de 100 € par mois et par enfant a été fixée, à charge du père.
La mère paie un loyer dans un immeuble dont elle est copropriétaire avec son ex-époux, la copropriété s’étendant à un second immeuble. Les deux biens font l’objet d’une saisie.
Un revenu d’intégration sociale a été octroyé à la mère, calculé en alternance (un mois sur deux) au taux personne avec famille à charge et taux isolé. Ceci vu l’hébergement égalitaire des enfants.
Rétroactes de procédure
Une procédure a été initiée par la mère devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles en date du 4 janvier 2018, afin de contester cette décision.
Un second recours a été introduit, relatif à d’autres décisions prises par le comité spécial du service social du C.P.A.S. (portant notamment sur l’octroi d’une carte médicale) – recours toujours pendant.
Le jugement du tribunal du travail
Un jugement a été rendu le 16 mai 2018, condamnant le C.P.A.S. au paiement du revenu d’intégration sociale au taux famille à charge, celui-ci étant fixé à 731,32 €.
Etaient alors en discussion d’une part la prise en compte de revenus immobiliers et d’autre part la garde alternée.
La question des biens immobiliers a été examinée dans le cadre de l’article 25 de l’arrêté royal d’exécution de la loi organique.
Pour ce qui est de la garde alternée, la cour a rappelé que l’article 14 de la loi du 26 mai 2002 prévoyait une quatrième catégorie pour la personne qui héberge la moitié du temps uniquement un ou plusieurs enfants mineurs à charge dans le cadre d’un hébergement alterné fixé par décision judiciaire ou par convention au sens de l’article 1288 du Code judiciaire (catégorie supprimée par l’article 104 de la loi-programme du 9 juillet 2004).
Il a confirmé la position du C.P.A.S., considérant que la pratique consistant à prendre un taux pour un mi-temps et l’autre pour l’autre mi-temps était conforme aux travaux préparatoires de la loi du 9 juillet 2004.
L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 19 décembre 2019 (R.G. 2018/AB/515)
La mère ayant interjeté appel, la Cour du travail de Bruxelles a déclaré celui-ci recevable mais non fondé.
Pour ce qui est des immeubles, elle a rappelé qu’un immeuble – qu’il soit productif ou non – génère des ressources, dont il convient de tenir compte à concurrence du revenu cadastral dès lors que le demandeur est propriétaire ou copropriétaire. En cas de location, c’est l’article 26 de la loi qui doit être appliqué, étant qu’il y a lieu de prendre en compte le montant du loyer dès lors que celui-ci est supérieur au revenu cadastral. La cour a dès lors confirmé le calcul effectué.
Sur la garde alternée, la cour du travail s’est ralliée à la position du premier juge, confirmant que la position du C.P.A.S. était conforme aux travaux préparatoires de la loi-programme du 9 juillet 2004 et qu’elle avait été avalisée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 28 juillet 2006 (n° 123/2006).
L’hébergement alterné n’étant pas la même situation que l’hébergement principal, qui, lui, ouvre le droit au taux personne vivant avec famille à charge, il y a lieu de tenir compte de charges structurelles fixes mais d’un entretien quotidien partagé. C’est l’hypothèse des « isolés majorés » du texte originel de l’article 14.
Pour la cour, l’interprétation des travaux préparatoires se trouve également confirmée pour l’hypothèse d’un taux intermédiaire.
Enfin, l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 octobre 2022 (S.01.0109.F) ne modifie pas cette analyse.
Il a dès lors lieu de maintenir le calcul du revenu d’intégration.
L’arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 2022 (n° S.20.0015.F)
Un pourvoi a été introduit contre l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles.
La Cour a considéré que le revenu cadastral des immeubles bâtis est pris en considération également lorsque le demandeur, propriétaire ou usufruitier, n’occupe pas le bien et n’en retire effectivement aucun revenu.
Pour ce qui est de la garde partagée, elle a retenu que le législateur a distingué trois catégories de bénéficiaires selon qu’ils cohabitaient ou non avec plusieurs personnes, étaient isolés ou avaient une famille à charge et a rappelé que la vie en commun suppose la présence régulière d’autres personnes avec le demandeur mais n’exige pas leur présence ininterrompue. Il appartient au juge d’apprécier en fait les éléments soumis. Il doit à partir de ceux-ci déduire la vie en commun ou son absence.
Dès lors que la mère vivait seule avec ses enfants mineurs dont elle assumait l’hébergement alterné avec le père et qu’elle ne les hébergeait ni en permanence ni à titre principal mais la moitié du temps, l’arrêt n’a pas justifié légalement sa décision de fixer le revenu d’intégration à un taux famille à charge la moitié du temps et à un taux isolé l’autre moitié.
La Cour de cassation a dès lors cassé l’arrêt attaqué en ce qu’il a fixé le revenu d’intégration à la moyenne des montants prévus pour un isolé et une personne avec famille à charge.
L’affaire a été renvoyée devant la Cour du travail de Mons.
La décision de la cour du travail de Mons
La cour reprend l’article 14 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, rappelant que la catégorie d’isolé majoré a été supprimée
par la loi-programme du 9 juillet 2004 et que s’est alors posée la question de savoir quel est le montant du revenu d’intégration dû en cas d’hébergement alterné des enfants mineurs.
La pratique des C.P.A.S., tirée de la circulaire générale du SPF Sécurité sociale, Lutte contre la pauvreté, Economie sociale et Politique des grandes villes du 27 mars 2018 a, sur ce point, fixé le taux du revenu d’intégration à celui du à la personne vivant avec une famille à charge la moitié du temps dès lors que l’enfant réside plus de la moitié du temps chez le parent ou qu’il réside moins de la moitié du temps chez celui-ci, le revenu étant le revenu en catégorie trois uniquement pendant les jours où l’enfant réside chez le bénéficiaire, et ce eu égard aux frais plus élevés.
La cour relève que cette pratique semble conforme aux travaux préparatoires de la loi du 9 juillet 2004 (renvoyant au projet de loi, Exposé des motifs, Doc. Parl., Ch. Rep., n° 51/1138/001 – 1139/001/ page 62).
Elle renvoie également à l’arrêt de la Cour d’arbitrage du 28 juillet 2006 (n° 123/2006), notant toutefois que celle-ci a seulement vérifié si, par la suppression de la catégorie des isolés majorés, les droits sont restés identiques à ceux octroyés précédemment et ne constituaient pas une régression significative au sens de l’article 23 de la Constitution mais qu’elle ne s’est pas prononcée sur la légalité de cette interprétation.
Cependant, il n’est pas requis que le demandeur vive la totalité du temps avec ses enfants ni que ceux-ci soient à sa charge exclusive. En matière de cohabitation, en effet, la présence d’autres personnes cohabitantes étant à charge du demandeur doit être régulière mais ne doit pas être ininterrompue.
La Cour de cassation, qui enseigne ceci, le fait dans le sens d’une harmonisation de la notion avec celles existant dans d’autres secteurs de la sécurité sociale (chômage, AMI). L’arrêt renvoie à la doctrine de J. GILMAN, « Les catégories de bénéficiaires en droit de la sécurité sociale : une surprenante cohérence », R.D.S., 2009, pages 3 et 411).
Le législateur n’a dès lors pas voulu que le C.P.A.S. soit tenu de vérifier au jour le jour la situation du parent concerné. Celle-ci doit en effet être appréhendée de manière globale même si les aléas de la vie sont quant à eux aussi variables qu’imprévisibles.
Le taux octroyé doit dès lors l’être de manière globale, même en cas d’hébergement alterné, d’autant qu’en l’espèce les enfants d’un couple, dont un mineur d’âge, sont hébergés alternativement chez chacun des parents en raison d’une semaine sur deux et la moitié des vacances et qu’ils sont inscrits avec leur mère afin que celle-ci perçoive les allocations familiales, alors qu’il n’est pas démontré que cette situation n’est pas effective.
La personne qui demande le revenu d’intégration sociale doit dès lors être considérée comme vivant avec une famille à charge au sens de l’article 14, § 1er, alinéa 1, 3°, de la loi du 26 mai 2022, et ce pour toute la période litigieuse (sous déduction des ressources tirées des biens immobiliers).