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Avantages en sécurité sociale : question d’égalité de traitement

Commentaire de C.J.U.E., 15 mai 2025, Aff. n° C-623/23 et C-626/23 (UV et XXX c/ INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL – INSS en présence de OP, MINISTERIO FISCAL) EU:C:2025:358

Mis en ligne le samedi 13 septembre 2025


Cour de Justice de l’Union européenne, 15 mai 2025, Aff. n° C-623/23 et C-626/23 (UV et XXX c/ INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL – INSS en présence de OP, MINISTERIO FISCAL) EU:C:2025:358

Terra Laboris

Résumé introductif

En présence d’une discrimination dûment avérée, le principe d’égalité de traitement impose, tant que les mesures rétablissant celui-ci n’ont pas été adoptées, d’octroyer aux personnes de la catégorie défavorisée les mêmes avantages que ceux réservés à celles de la catégorie privilégiée.

En conséquence, le juge national n’est pas tenu de demander ou d’attendre l’élimination préalable de la discrimination par le législateur mais doit écarter toute disposition nationale discriminatoire et veiller à attribuer aux membres du groupe défavorisé le même régime que celui réservé aux personnes de l’autre catégorie.

Dispositions légales

  • Directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale – articles 1, 2, 3, 4 et 7
  • Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – articles 20, 21, 23 et 34, paragraphe 1

Analyse

Faits de la cause

La cour traite de deux affaires jointes.

La première affaire concerne un père de deux enfants qui s’est vu attribuer une pension de retraite à partir du 1er juillet 2021.

Le 16 juin 2022, il a demandé à bénéficier d’un complément de pension, prévu par la Loi générale sur la sécurité sociale, étant un complément visé à l’article 60 de celle-ci (‘complément de maternité dans les pensions contributives du système de sécurité sociale’).

Cette demande a été rejetée.

L’INSS a cependant accordé à la mère le complément de pension en cause lors de la prise de cours de sa pension de retraite anticipée.

L’intéressé a introduit un recours contre la décision de refus devant le Juzgado de lo Social n° 3 de Pamplona, au motif que la disposition en cause (article 60 de la LGSS) est contraire à la directive 79/7, étant qu’elle opère une discrimination fondée sur le sexe.

Le tribunal de Pamplona retient d’abord qu’il s’agit d’un régime légal de protection contre l’un des risques énumérés à l’article 3, paragraphe 1, de la directive.

Il reprend la position de l’INSS, selon laquelle la Cour a déjà admis le caractère discriminatoire de cette disposition (C.J.U.E., 12 décembre 2019, Aff. n° C-450/18 (WA c/ INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (INSS) – précédemment commenté) et que celle-ci a été modifiée en conséquence, étant actuellement conforme aux exigences de la directive.

Le juge de renvoi expose que la décision de rejet de ce complément de pension se fonde sur l’absence de cotisations de l’intéressé au système de sécurité sociale (non accomplissement de la période minimale prévue pour les hommes, qui est de 120 jours entre les neuf mois précédant la naissance et les trois années suivant celle-ci).

Pour le juge national, l’article 60 traite les hommes de manière moins favorable que les femmes, dans la mesure où ces dernières se voient reconnaître automatiquement le droit au complément de pension alors que les hommes doivent satisfaire à des conditions supplémentaires, tenant notamment à une interruption effective de leur carrière et à leur cotisation au système de sécurité sociale.

Il pose cependant la question eu égard à la situation en Espagne où l’éducation des enfants est majoritairement assurée par les femmes, ce qui découlerait d’une discrimination historique et structurelle et engendrerait un effet préjudiciable sur leur carrière professionnelle ainsi que, par voie de conséquence, sur leur cotisation au système de sécurité sociale, le complément de pension venant ainsi réparer ledit préjudice.

Il note encore que ce complément leur est octroyé indépendamment du point de savoir si elles se sont ou non occupées de l’éducation des enfants, et ce quel que soit le montant de la pension.

Le tribunal conclut que la mesure n’est dès lors pas de nature à atteindre l’objectif de réduire l’écart entre les hommes et les femmes en matière de pension.

Il reprend encore les objectifs de la mesure, ainsi que la possibilité que la disposition modifiée relève de l’article 157, paragraphe 4, TFUE (actions positives en faveur des femmes), et ce tenant compte de l’arrêt du 12 décembre 2019 ci-dessus, qui semble par contre exclure la chose.

En outre, se pose la question de la conformité de l’article 60 au droit européen, vu que ce complément de pension ne peut être accordé qu’à un seul parent, à savoir celui dont le montant de la pension contributive de retraite est le moins élevé.

Il pose dès lors deux questions préjudicielles sur l’interprétation de la directive 79/7.

Dans la seconde affaire, un père de trois enfants s’est vu attribuer une pension de retraite le 11 janvier 2022 et une contestation est survenue, vu que celle-ci n’inclut pas le complément en cause, ce qui a abouti à un recours devant le Juzgado de lo Social n° 4 de Madrid, recours qui a été rejeté.

Appel ayant été interjeté devant le Tribunal Superior de Justicia de Madrid

Celle-ci a constaté que la différence de traitement persiste dans cadre de la disposition modifiée, l’exigence d’une interruption de la carrière professionnelle étant toujours présente mais uniquement requise pour les hommes.

La question de la conformité de la disposition interne avec la directive ainsi qu’avec la Charte (articles 20, 21, 23 et 34, paragraphe 1) est examinée. La juridiction estime notamment que la proportionnalité de l’atteinte au droit formel à l’égalité de traitement devrait être vérifiée.

Une question préjudicielle est dès lors posée, eu égard à la directive elle-même ainsi qu’aux articles cités ci-dessus de la Charte.

La décision de la Cour

La Cour commence par rappeler que les modifications apportées au texte n’ont pas mis fin à l’existence d’un traitement moins favorable des hommes par rapport aux femmes.

Elle passe dès lors à l’examen de la comparabilité des situations en cause, précisant que celle-ci doit être appréciée non de manière globale et abstraite mais spécifique et concrète au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent, devant être retenus notamment l’objet et le but de la réglementation nationale qui instaure la distinction en cause ainsi que, éventuellement, les principes et les objectifs du domaine dont relève cette réglementation nationale.

Elle fait le constat de l’existence d’un traitement moins favorable réservé aux hommes par rapport aux femmes alors que ces personnes peuvent se trouver dans des situations comparables.

Il y a dès lors une discrimination directe au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive.

La Cour vérifie notamment si la discrimination constatée peut être justifiée en vertu de l’article 23 de la Charte, en vertu duquel le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas le maintien ou l’adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté.

Elle conclut par la négative, répondant à la question que, en conséquence, une réglementation nationale telle que celle en cause ne saurait être justifiée en vertu de l’article 23 de la Charte.

Sur la seconde question dans la première affaire, qui porte sur l’incidence que l’octroi du complément de pension au père pourrait avoir sur le maintien de celui déjà accordé à la mère (la loi interne précisant que celle-ci ne peut être accordée qu’à un seul des deux parents, étant celui dont la pension est la moins élevée), la Cour rejette un argument d’irrecevabilité soulevé par l’INSS et conclut sur le fond.

Elle rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, dès lors qu’une discrimination a été constatée et aussi longtemps que des mesures rétablissant l’égalité de traitement n’ont pas été adoptées, le respect du principe d’égalité ne saurait être assuré que par l’octroi aux personnes de la catégorie défavorisée des mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée (considérant 87), le juge national étant dès lors tenu d’écarter toute disposition nationale discriminatoire sans qu’il ait à demander ou attendre l’élimination préalable de celle-ci par le législateur.

Il doit en conséquence attribuer aux membres du groupe défavorisé le même régime que celui dont bénéficient les personnes de l’autre catégorie, la Cour soulignant ici l’arrêt du 14 septembre 2023 (C.J.U.E., 14 septembre 2023, Aff. n° C-113/22 (DX c/ INSS et TGSS), EU:C:2023:665 – précédemment commenté).

Elle répond dès lors ici que la directive ne s’oppose pas, lorsqu’une demande de complément de pension introduite par un père est rejetée en vertu d’une réglementation nationale constitutive d’une discrimination fondée sur le sexe et où le père doit, en conséquence, se voir octroyer ce complément de pension en application des mêmes conditions que celles applicables à la mère, à ce qu’un tel octroi entraîne la suppression du complément déjà accordé à celle-ci, dès lors que ce complément ne peut être octroyé qu’à celui des parents dont le montant de la pension de retraite est le moins élevé et que ce parent est le père.


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