Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 avril 2025, R.G. 2023/AB/725
Mis en ligne le samedi 13 septembre 2025
Cour du travail de Bruxelles, 8 avril 2025, R.G. 2023/AB/725
Terra Laboris
Résumé introductif
Dans le cadre de la loi anti-discrimination, la notion de conviction syndicale doit être interprétée de manière large, couvrant aussi bien le fait d’être membre que la conviction et l’activité syndicale. Il s’agit de tout ce qui a un lien avec la défense des intérêts des travailleurs dans leurs relations avec leur employeur.
La loi du 19 mars 1991 et celle du 10 mai 2007 ont des objectifs différents et visent un préjudice distinct.
Aucun texte n’interdit le cumul des indemnités qu’elles prévoient.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Un travailleur protégé (représentant du personnel) coordonnait au sein de l’entreprise le travail de l’ensemble des représentants du personnel et des délégués syndicaux pour son organisation depuis 2015.
Il était par ailleurs occupé à temps plein pour exercer ses activités syndicales depuis 2012.
Le 27 juillet 2019, l’employeur procéda à la rupture du contrat de travail sur le champ, au motif de problèmes de conduite et d’insubordinations diverses ainsi que de non-respect des règles en vigueur
Après la rupture, il fut mis en demeure par l’organisation syndicale, vu l’irrégularité du congé, de réintégrer le travailleur, une indemnité de protection étant demandée, à défaut de ce faire.
Celle-ci fut payée le 3 septembre 2019.
Le travailleur introduisit alors une procédure judiciaire.
Celle-ci, lancée devant le tribunal du travail francophone, dut être réintroduite devant le tribunal néerlandophone, vu la localisation de la société en région flamande.
Objet de la demande
Trois postes assez factuels figuraient dans la demande introduite, étant (i) les intérêts sur l’indemnité de protection vu son paiement tardif l (ii)a correction de la rémunération de base de l’indemnité vu la non prise en compte des avantages en nature à leur valeur réelle et (iii) la retenue faite par l’employeur de quatre semaines (outplacement) sur l’indemnité de protection (le demandeur considérant que l’indemnité versée n’était pas une indemnité compensatoire de préavis).
Un dernier poste, d’intérêt plus général, figurait également dans la demande, étant une indemnité pour discrimination sur pied de la loi du 10 mai 2007.
La décision du tribunal
Le tribunal statua dans l’ordre de demande telle que présentée ci-dessus.
Pour les intérêts, il rappela l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2011 (Cass., 16 mai 2011, S.10.0093.N), selon lequel le droit à l’indemnité n’existe que trente jours après l’envoi de la demande de réintégration. Restait dès lors dû un léger solde à cet égard.
Les avantages en nature furent recalculés, le tribunal examinant chacun de ceux-ci séparément.
Sur la non déduction des quatre semaines de rémunération, il fit droit à la demande du travailleur, l’indemnité de protection payée sur la base de la loi du 19 mars 1991 ne pouvant être assimilée à une indemnité de rupture.
Sur la question de l’existence d’une discrimination et sur le cumul de l’indemnité prévue par la loi de 1991 avec une indemnité pour discrimination, il reprit la position du demandeur, qui considérait qu’il existait des faits concordants de nature à présumer l’existence d’une discrimination directe et soulignait qu’aucun texte n’interdit le cumul, non plus que la directive 2000/78 du 20 novembre 2011, les deux législations ayant un objectif différent et couvrant un dommage distinct.
Il retint l’existence de faits faisant présumer l’existence d’une discrimination ainsi que le non renversement de la présomption légale et fit droit à la demande d’indemnité, autorisant le cumul.
Appel a été interjeté par la société.
La décision de la cour
La cour du travail a statué par arrêt du 8 avril 2025, tranchant l’appel de l’employeur, qui portait sur la question des intérêts, la détermination de la rémunération de référence et l’indemnité pour discrimination (appel n’étant pas interjeté sur les quatre semaines d’indemnité déduites vu l’outplacement).
Elle confirme la date d’exigibilité de l’indemnité, étant trente jours à partir de la demande de réintégration. Celle-ci fait courir les intérêts de retard.
La position du tribunal est confirmée et un très léger solde est dû à ce titre.
Pour ce qui est de la rémunération de référence, elle examine les avantages accordés, réformant partiellement le jugement quant à l’évaluation.
Elle en vient ensuite à la question de la discrimination syndicale.
Elle renvoie ici à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 2 avril 2009 (C. Const., 2 avril 2009, n° 64/2009 et à la doctrine (I.VERHELST et S. RAETS, « Discriminatie op de arbeidsplaats : gewikt en gewogen », Or., 2011, p. 118) sur la notion, qui recouvre le fait d’appartenir à d’une organisation syndicale ou d’en être membre ainsi que l’activité exercée dans le cadre d’une telle organisation.
Elle précise que le concept doit être interprété de manière large dans le cadre de la loi anti-discrimination, couvrant aussi bien le fait d’être membre que la conviction et l’activité syndicale (avec renvoi à plusieurs décisions de jurisprudence, dont C. trav. Bruxelles, 18 juin 2018, Chron. Dr. Soc., 2018, page 25 et C. trav. Gand, 12 février 2020, Chron. Dr. Soc., 2020, page 251).
La notion est plus large que le simple fait d’être membre d’une telle organisation ou d’y exercer certaines activités. Elle comprend tout ce qui a un lien avec la défense des intérêts des travailleurs dans leurs relations avec leur employeur.
Le mandat de représentant du personnel est dès lors évidemment visé.
Après un rappel des principes généraux en matière de discrimination, la cour reprend les éléments de fait et retient notamment la rupture du contrat de travail intervenue au mépris des dispositions contraignantes de la loi du 19 mars 1991.
La décision de ne pas respecter celles-ci et de procéder immédiatement et de manière irrégulière au licenciement de l’intéressé constitue une présomption de discrimination pour conviction syndicale.
Elle se réfère également à la lettre de licenciement, qui faisait longuement référence à divers griefs faits à l’intéressé, et retient ici aussi un lien entre ces reproches et le mandat, ceci constituant une autre fait permettant de présumer l’existence d’une discrimination.
La cour examine ensuite si la société renverse la présomption légale et conclut par la négative.
Elle en vient dès lors à la question du cumul rappelant que celui-ci est autorisé, renvoyant notamment à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 6 mai 2024, R.G. 2022/AB/702 et 752).
La cour confirme la position du premier juge selon laquelle les deux législations ont des objectifs différents et visent un préjudice distinct.
La loi du 19 mars 1991 tend à permettre aux représentants du personnel d’exercer leur mission en toute liberté. L’indemnité de protection sanctionne la méconnaissance par l’employeur du respect des conditions et/ou des procédures légales.
L’indemnité forfaitaire prévue par la loi anti-discrimination est une sanction civile destinée à garantir l’interdiction de discrimination, visant à indemniser le préjudice qui découle d’un traitement discriminant.