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Titres-services : la récupération en cas d’infraction à la réglementation suit les règles de l’indu et ne constitue pas une sanction

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 février 2025, R.G. 2023/AB/464

Mis en ligne le dimanche 12 octobre 2025


Cour du travail de Bruxelles, 19 février 2025, R.G. 2023/AB/464

Terra Laboris

Résumé introductif

En cas de non-respect à la réglementation en matière de titres services, la Région compétente est chargée de récupérer la valeur de ceux-ci, étant à la fois la quote-part utilisateur et l’intervention publique.

Il s’agit d’une compétence liée et le juge dispose quant à lui d’une compétence de pleine juridiction avec pouvoir de substitution.

Il ne s’agit pas d’une sanction de telle sorte qu’il ne peut octroyer un sursis ou une suspension du prononcé.

Dispositions légales

  • Loi du 20 juillet 2001 visant à favoriser le développement de services et d’emplois de proximité – articles 3 et 7
  • Arrêté royal du 12 décembre 2001 concernant les titres services – articles 6, 6bis, 7 et 10bis

Analyse

Faits de la cause

Un travailleur indépendant inscrit à la BCE depuis 2016 gère une entreprise de titres-services.

Il a fait l’objet d’une enquête administrative de la part de la Région de Bruxelles Capitale en 2020.

Suite à celle-ci, deux infractions à la réglementation ont été constatées, étant d’une part l’occupation de deux travailleuses de nationalité colombienne qui n’étaient plus admises au séjour et n’avaient dès lors plus l’accès au marché du travail ainsi qu’une situation de préfinancement (soit l’acceptation de titres-services pour des travaux ou des services qui n’avaient pas encore été effectués).

La procédure administrative fut enclenché et l’intéressé entendu.

Le 14 mars 2022, la Région de Bruxelles Capitale prit une décision de récupération, s’agissant d’un montant de près de 42.000 €.

Un recours fut introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

Dans son jugement du 24 mai 2023, le tribunal a accueilli celui-ci partiellement, condamnant l’intéressé au remboursement d’une somme de l’ordre de 23.270 € et lui accordant des termes et délais.

Il ne retint pas d’infraction à la réglementation en matière de travailleurs étrangers.

La Région de Bruxelles Capitale interjette appel.

L’objet principal de l’appel est de faire constater que les prestations des deux travailleuses sont contraires à la législation titres-services, la Région demandant la confirmation du jugement sur la récupération.

La décision de la cour

Le cœur de la matière gît dans la loi du 20 juillet 2001 visant à favoriser le développement de services et d’emplois de proximité ainsi que dans son arrêté royal d’exécution du 12 décembre 2001 concernant les titres-services.

Chaque région est actuellement compétente à l’égard des utilisateurs habitant sur son territoire.

La cour rappelle que les titres-services sont émis par la société PLUXEE.

Après la prestation, celle-ci paie à l’entreprise la valeur du titre, qui inclut la quote-part utilisateur et l’intervention de la Région.

Quant à l’entreprise agréée, elle paie le travailleur conformément aux conditions du contrat de travail.

La cour se penche ensuite sur l’agrément requis pour exercer l’activité.

Les conditions requises sont que (i) le droit du travail général doit être respecté, (ii) le système titres-services couvre des activités bien déterminées, des utilisateurs identifiés, etc.

En outre, des procédures sont imposées quant au système d’enregistrement, etc.

Parmi les conditions à respecter, figure celle de la réglementation relative à l’occupation des travailleurs étrangers.

La loi du 20 juillet 2001 et son arrêté royal d’exécution renvoient dès lors sur la question de la loi du 30 avril 1999, dont l’article 4, § 1er, fait obligation à l’employeur, avant d’occuper un travailleur étranger, d’obtenir l’autorisation d’occupation de l’autorité compétente.

La cour retrace l’évolution en Région bruxelloise.

Elle relève que l’État fédéral a conservé une compétence pour ce qui est de l’occupation des travailleurs étrangers se trouvant dans une situation particulière de séjour, étant ceux qui ne sont pas venus en Belgique pour travailler mais pour qui l’autorisation de travail découle d’une situation particulière.

Vu la répartition des compétences entre législateur fédéral et régionaux depuis le 1er juillet 2014, la loi du 9 mai 2018 a abrogé des dispositions de la loi du 30 avril 1999, précisément sur les ressortissants étrangers se trouvant dans une situation particulière.

En Région bruxelloise, une ordonnance n’est intervenue que le 1er février 2024 (ordonnance relative à la migration économique), de telle sorte que la loi du 30 avril 1999 est restée en vigueur jusqu’à la date d’entrée en vigueur de celle-ci, soit le 1er octobre 2024.

Par ailleurs, la loi du 9 mai 2018 (entrée en vigueur le 24 décembre 2018) ne s’applique pas aux demandes de titre de séjour ou de permis travail introduites avant son entrée en vigueur.

La cour passe ensuite à l’examen des modalités de remise des titres-services, rappelant les articles 3 et 7 de la loi du 20 juillet 2001 ainsi que 6, 6bis, 7 et 10bis de l’arrêté royal d’exécution.

En vertu de ces dispositions, l’entreprise se voit imposer certaines obligations. À défaut de les avoir respectées, elle ne peut prétendre au paiement des titres-services concernés non plus qu’au bénéfice des subventions régionales.

La Région de Bruxelles Capitale est chargée de récupérer la valeur de ceux-ci.

Il ne s’agit pas, comme la cour le rappelle, d’une sanction mais uniquement d’un remboursement conforme aux principes en matière de récupération d’indu.

Il en découle que le juge ne peut pas octroyer un sursis ou une suspension du prononcé (la cour renvoyant ici à C. trav. Mons, 21 février 2018, R.G. 2016/AM/363).

En outre, il s’agit d’une compétence liée de l’administration et non d’une compétence discrétionnaire, la Région ne disposant d’aucun pouvoir d’appréciation et devant poursuivre la récupération, dont elle ne peut pas moduler le montant.

Cette récupération porte à la fois sur la quote-part utilisateur et l’intervention régionale.

Quant aux pouvoirs du juge, il s’agit d’une compétence de pleine juridiction avec pouvoir de substitution, celui-ci n’ayant pas de pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité d’ordonner ou non le remboursement.

La cour examine en l’espèce les infractions reprochées, étudiant la situation de séjour des deux travailleuses.

La première a vu sa demande de protection internationale rejetée ainsi qu’une demande de carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne. La cour relève que la demande de séjour a été fondée sur l’article 47/2 de la loi du 15 décembre 1980 et qu’une telle demande n’ouvre jamais l’accès au marché du travail. L’intéressée n’était dès lors pas dans une ‘situation de séjour particulière’ prévue par la loi du 9 mai 2018, qui pourrait lui donner une autorisation de travail.

La seconde a introduit une demande d’asile et a obtenu un permis de travail, qu’elle a perdu suite à l’arrêt du Conseil du Contentieux des Etrangers qui a refusé son statut de réfugiée et la protection subsidiaire. Elle a en conséquence été occupée sans permis de travail.

L’occupation de ces deux personnes a dès lors été illégale et l’employeur a contrevenu à ses obligations d’entreprise de titres-services.

Par ailleurs, sur le préfinancement, la cour rejette la position de l’intimé, selon laquelle il n’y aurait pas d’indu dans la mesure où toutes les prestations ont été effectuées

Elle rappelle ici l’article 10bis, § 5, de l’arrêté royal : si les travaux ont été effectués sans que les conditions légales ou réglementaires aient été respectées, l’administration peut récupérer entièrement l’intervention et le montant du prix d’acquisition du titre-service si ceux-ci ont été accordés.

Il n’y a, ici non plus, pas de pouvoir d’appréciation dans le chef de la Région.

L’absence d’intention frauduleuse ou l’erreur involontaire sont sans incidence, l’élément intentionnel n’étant pas pris en compte dans la récupération.


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