Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 décembre 2024, R.G. 2023/AB/223
Mis en ligne le lundi 13 octobre 2025
C. trav. Bruxelles, 9 décembre 2024, R.G. 2023/AB/223
Résumé introductif
Le trajet de réintégration est en général initié conformément aux articles I.4-72 à I.4-82 du Code du bien-être au travail, débutant par une demande.
Les mesures relatives à la surveillance de la santé des travailleurs, à savoir les examens médicaux de prévention, prévus aux articles I.4-45 du même Code (ainsi, la consultation spontanée) sont également susceptibles de mener à ce trajet.
Dès lors que dans le cadre de cette procédure, des vices majeurs entacheraient la décision du conseiller en prévention–médecin du travail, sa décision ne pourrait valoir comme décision d’inaptitude définitive.
La force majeure ne pourrait dès lors être constatée, même si l’employeur remettait un rapport confirmant qu’un plan de réintégration était techniquement et objectivement impossible ou ne pouvait raisonnablement être exigé de lui.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une ouvrière a travaillé depuis 1990 dans le secteur hospitalier pour les mêmes institutions. Il s’agit d’une association de C.P.A.S. et d’un hôpital, offrant des services communs.
À partir du 15 janvier 2020, elle fut en incapacité de travail pour trois mois et demi.
Après avoir été convoquée à un examen de reprise du travail, elle fut jugée apte à la reprise.
En juin 2020, son orthopédiste dressa un rapport la concernant, reprenant des restrictions à la fonction (pas de port de charges).
L’intéressée demanda en juillet 2020 à intégrer une fonction compatible avec sa santé.
Elle fut examinée par le conseiller en prévention–médecin du travail dans le cadre d’une consultation spontanée.
Celui-ci fit des recommandations, qui ne furent pas suivies par l’employeur.
A la fin de l’année 2020, son organisation syndicale intervint et l’employeur répondit de manière circonstanciée par un courrier du 23 octobre, la maintenant à la fonction exercée (renfort à la plonge et travail en cuisine en vue de l’entretien du matériel).
Elle fut alors en incapacité de travail jusqu’au début septembre 2021, reprenant alors le travail sur l’instigation de sa famille, suite au décès de son mari.
Le 7 septembre 2021, le conseiller en prévention-médecin du travail recommanda une mutation définitive dans un travail sans manutention lourde.
S’ensuivit une réunion avec le département des ressources humaines, dont il ressortit qu’aucun autre poste répondant aux critères invoqués ne serait ouvert.
L’employeur estima qu’un plan de réintégration était techniquement et objectivement impossible ou ne pouvait raisonnablement être exigé de lui et en donna les motifs, ceux-ci tenant à la fois à sa (faible) formation, aux postes existants (buanderie, entretien) ainsi qu’aux postes ouverts (aucune vacance).
Il fut alors décidé de la rupture du contrat pour force majeure médicale, l’intéressée étant conviée à se présenter seule ou accompagnée à une séance du conseil d’administration.
La rupture intervint par décision du 8 octobre 2021, avec effet immédiat sans préavis ni indemnité.
Le tribunal du travail a été saisi par requête du 13 janvier 2022 et a débouté la demanderesse par jugement du 11 janvier 2023.
Appel est interjeté.
Le litige devant la cour
L’appelante sollicitant l’octroi de plusieurs indemnités, dont une indemnité compensatoire de préavis et une autre pour licenciement discriminatoire (auxquelles la cour fera droit), le présent commentaire est limité à ces deux postes.
Pour ce qui est de la rupture pour cause de force majeure médicale, la cour donne le cadre légal et les principes, reprenant l’article 34, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 (dans sa version applicable aux faits).
La loi suppose la réunion de quatre conditions pour que la force majeure médicale puisse être invoquée, étant que (i) le travailleur subit une incapacité travail résultant d’une maladie ou d’un accident, (ii) cette incapacité l’empêche définitivement d’effectuer le travail convenu, (iii) le trajet de réintégration a été mené à son terme et (iv) il y a force majeure.
La cour passe dès lors celles-ci en revue afin de voir si elles sont présentes
Les deux premières ne soulevant aucune contestation, la cour se penche longuement sur la troisième, étant l’exigence que le trajet de réintégration ait été mené à son terme.
Il s’agit de respecter les articles I.4-72 à I.4-82 du Code du bien-être au travail, dispositions relatives à cette procédure.
Elle souligne l’obligation pour l’employeur d’établir un plan de réintégration en concertation avec le travailleur, le conseiller en prévention–médecin du travail et, le cas échéant, d’autres personnes pouvant contribuer à la réussite du plan.
Cette phase ne peut prendre fin que de trois manières, dont la cour reprend celle qui intéresse le cas d’espèce, étant que, si l’employeur estime qu’un plan de réintégration est techniquement ou objectivement impossible ou que cela ne peut être exigé pour des motifs dûment justifiés, il doit avoir remis son rapport au conseiller en prévention–médecin du travail.
La cour note qu’une ‘seconde voie’ conduit au trajet de réintégration.
Celle-ci est prévue dans les mesures relatives à la surveillance de la santé des travailleurs, s’agissant des examens médicaux de prévention (qui peuvent inclure l’évaluation de santé préalable, l’évaluation de santé périodique et l’examen de reprise du travail mais également la consultation spontanée).
La cour reprend ici la procédure, telle que prévue aux articles I.4–45 et suivants CBE, qui concernetn l’évaluation de santé dans le cadre de ces examens médicaux et prévoit des possibilités de recours contre la décision du conseiller en prévention–médecin du travail lorsqu’elle a pour effet de restreindre l’aptitude au travail exercé ou de déclarer l’inaptitude à celui-ci.
Quelle que soit la voie empruntée pour accéder au trajet de réintégration, celui-ci prend fin lorsqu’il est techniquement ou objectivement impossible ou que cela ne peut être exigé de l’employeur pour des motifs dûment justifiés par la remise au conseiller en prévention-médecin du travail du rapport justifiant le non-établissement de ce plan de réintégration
Vient ensuite le rappel des règles en matière de force majeure, étant, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, que celle-ci doit rendre définitivement impossible l’exécution ultérieure du contrat.
En l’occurrence, le premier juge a estimé que l’employeur justifiait à suffisance sa décision de ne pas établir de plan de réintégration et que la force majeure puvait être constatée.
La cour ne partage pas cette conclusion et reprend l’examen de la régularité du trajet suivi en l’espèce.
Celui-ci a été activé par un examen médical effectué en dehors de la procédure tracée par les articles I.4–72 à I.4–82 CBE.
Pour la cour, c’est donc la ‘voie détournée’ qui a été suivie.
Elle relève que plusieurs vices majeurs entachent la décision du conseiller en prévention–médecin du travail, étant (i) le défaut d’examen sur place des mesures et des aménagements envisageables, (ii) l’absence de concertation et (iii) l’omission d’une information préalable.
La décision ne pouvait dès lors valoir comme décision d’inaptitude définitive au sens de l’article I.4–70.
Par voie de conséquence, aucun trajet de réintégration n’a valablement été activé sur cette base.
Les conditions de l’article 34, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 n’étant pas remplies, l’intéressée est fondée à réclamer le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.
Pour ce qui est de la discrimination, la cour reprend également le cadre théorique des mesures de mise en œuvre par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination de la directive 2000/78/CE du Conseil de l’Union européenne du 27 novembre 2000.
Elle souligne que par état de santé actuel ou futur – termes clairs –il faut entendre tous les éléments relatifs à l’état de santé du travailleur au moment de la mesure litigieuse et dans le futur par rapport à ce moment. Celui-ci s’oppose à l’état de santé passé.
En l’espèce, l’intéressée se prévaut à la fois d’une discrimination sur la base du handicap et sur celle de l’état de santé.
La cour retient avec la travailleuse qu’il y a handicap, vu qu’elle subit une limitation résultant d’une atteinte physique, n’ayant plus l’aptitude requise pour effectuer le travail convenu et vu la recommandation qu’elle ne soit plus exposée à la manutention de charges.
Il s’agit d’une atteinte durable et qui fait obstacle à la pleine et effective participation de celle-ci à la vie professionnelle.
Les faits permettent de présumer que la rupture est intervenue au moins en partie en raison du handicap.
L’examen du renversement de la présomption est rapide, la cour concluant très vite que l’appelante ne démontre ni l’absence de distinction défavorable fondée sur le handicap ni que celle-ci se justifiait par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes.
La cour alloue dès lors l’indemnité légale, fixée à six mois.
Enfin, elle rejette des chefs de demande relatifs à des dommages et intérêts en raison de l’absence de concertation lors de la procédure du trajet de réintégration de même que pour défaut d’audition préalable et d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable ou abusif.
Sur ce dernier poste, la CCT 109 n’étant pas applicable dans le secteur public, elle examine la question par la voie médiane de l’abus de droit de licencier et rejette ce chef de demande.