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La preuve d’un motif grave de licenciement doit être rapportée de manière rigoureuse, ce mode de rupture étant exceptionnel et constituant une sanction extrêmement grave

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mars 2025, R.G. 2024/AB/155

Mis en ligne le mardi 14 octobre 2025


Cour du travail de Bruxelles, 28 mars 2025, R.G. 2024/AB/155

Terra Laboris

Résumé introductif

Dans son appréciation de l’existence d’un motif grave, le juge tient compte d’un ensemble de circonstances liées à la fois au travailleur et à l’employeur susceptibles d’exercer une influence tantôt sur le degré de gravité de la faute tantôt sur l’évaluation de son impact sur la possibilité de poursuivre la collaboration professionnelle.

La preuve requise doit être apportée de manière rigoureuse.

La cour rejette en l’espèce que puisse constituer la preuve légale requise un rapport rédigé par un tiers mandaté pour mener une enquête, spécialement engagé et payé par une des parties directement intéressées au litige.

Dispositions légales

  • Loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail – article 35

Analyse

Faits de la cause

Un employé est licencié après une période d’occupation d’environ sept ans pour le compte d’une société, occupant, en fin de contrat, une fonction élevée au sein de celle-ci.

Un incident est en effet intervenu lors d’une réunion en visioconférence en février 2022, un des participants externes tenant à clarifier des faits du comportement de l’intéressé, qui aurait fait des blagues à connotation sexuelle et aurait eu un comportement déplacé vis-à-vis de certaines collègues.

Le procès-verbal rédigé à la suite de cette réunion est particulièrement détaillé.

L’intéressé est entendu le jour même et conteste les faits.

Son contrat de travail est suspendu par courrier recommandé le même jour, une enquête étant annoncée afin de voir clair.

Cette enquête est confiée à un avocat choisi par la société, qui a interviewé des membres du personnel anonymement.

L’employé prend alors l’initiative d’adresser un courriel à son employeur, persistant à contester les faits reprochés.

Il annonce qu’il entend reprendre son travail dans les jours qui suivent.

L’avocat conclut son rapport le même jour, notant de nombreuses appréciations défavorables de collègues.

Le même jour encore, l’employé est informé de son licenciement, qui lui est envoyé par courrier recommandé.

Celui-ci intervient pour motif grave.

Le courrier de notification du motif est particulièrement détaillé, reprenant un historique de plaintes et concluant à l’existence de faits qualifiés de particulièrement graves et intolérables.

Suite au recours qu’il introduira devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, l’employé sera débouté de sa demande relative au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, d’une indemnité de stabilité d’emploi (ou à titre subsidiaire pour licenciement manifestement déraisonnable) et de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Il a également postulé l’octroi d’arriérés de rémunération variable et de pécules de vacances.

Le tribunal a ordonné une réouverture des débats sur ces postes.

Au niveau de l’appel, l’intéressé formule les mêmes demandes, chiffrant, à ce stade, le montant des arriérés.

La décision de la cour

Un rappel des principes circonstancié de ce mode de rupture est effectué, l’arrêt soulignant que la notion de faute n’est pas limitée aux seuls manquements à une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle mais qu’elle s’entend également de toute erreur de conduite que ne commettrait pas un employeur ou un travailleur normalement prudent et avisé.

La cour rappelle également que le contrat de travail repose sur une relation de confiance entre les parties et que la rupture de cette confiance peut rendre impossible la poursuite des relations de travail. Renvoyant à divers arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 20 novembre 2006, S.05.0117.F), elle souligne que si la confiance est ressentie subjectivement, les faits qui fondent ce sentiment sont des données objectives qui peuvent guider le juge dans son appréciation de la situation.

Dans son examen, celui-ci a égard à des éléments concernant tant le travailleur que l’employeur et à des circonstances aussi variées que l’ancienneté, le type de fonction, le temps, le lieu, le degré de responsabilité, le passé professionnel, l’état de santé physique et mental, ainsi que la nature de l’entreprise et l’importance du préjudice subi.

L’ensemble de ces circonstances sont des éléments susceptibles d’exercer une influence tantôt sur le degré de gravité de la faute tantôt sur l’évaluation globale et objective de l’impact de celle-ci sur la possibilité de poursuivre la collaboration professionnelle (27e feuillet de l’arrêt).

La cour passe ainsi à l’examen du dossier.

Elle constate en premier lieu que, sur le plan formel, le licenciement est régulier, le double délai de trois jours ayant été respecté et l’exigence de précision de la description des motifs également.

Plus délicate est la question de la matérialité et de la gravité des motifs ayant justifié le licenciement.

Pour la cour, cinq types de reproches sont faits, étant en gros liés au langage de l’intéressé, à son attitude, à des allusions qu’il aurait faites à caractère sexuel ainsi qu’à des propos et une attitude déplacés.

L’employeur est tenu d’apporter la preuve de ces faits.

Elle rappelle ici l’exigence d’une preuve rigoureuse, dès lors que le droit de brusque rupture constitue un mode exceptionnel et est une sanction extrêmement grave pour le travailleur. Elle renvoie ici à la doctrine (B. PATERNOSTRE et N. BERTHOLET, La rupture du contrat de travail pour motif grave : chronique de jurisprudence 1996–2004, Bruxelles, Kluwer, 2005, page 55).

La société se fondant essentiellement sur le rapport de l’avocat qu’elle avait mandaté pour mener l’enquête, la cour ne peut que constater que ce rapport a été rédigé par une personne spécialement engagée et payée par une des parties directement intéressées au litige, le résultat de ses investigations devant dès lors être pris en compte avec circonspection.

Elle souligne encore qu’aucune réglementation ne régit le recours à une telle pratique, qu’aucune précision n’a été donnée quant au choix de cet avocat, que la description de la mission n’est pas produite aux débats et que les personnes entendues ne sont pas identifiées.

La cour rappelle également la valeur probante d’attestations rédigées par des travailleurs en faveur (ou à l’encontre) de leur employeur (ou ex-employeur), soulignant que celles-ci ne peuvent être écartées d’office sous peine, dans tout litige professionnel, d’être privé du témoignage de ceux qui sont le plus souvent les seuls témoins directs.

L’employé produit en effet une attestation très circonstanciée d’un de ses proches collaborateurs, qui confirme quant à lui qu’il n’a jamais été insulté par l’intéressé et que ce dernier ne lui a jamais manqué de respect. Au contraire, il le qualifie de « bon manager, soucieux de la sécurité et du bien-être de son équipe », certes avec une communication directe (« style à l’américaine ») mais jamais inappropriée.

Pour la cour, cette attestation, par ailleurs conforme au prescrit de l’article 961/2 du Code judiciaire, est contraire au contenu du rapport de l’avocat et en entache la valeur probante.

Elle examine encore les autres éléments du dossier de la société et conclut que la preuve du motif grave n’est pas rapportée de manière rigoureuse.

Elle statue dès lors sur le montant de l’indemnité compensatoire de préavis due.

Pour ce qui est du caractère manifestement déraisonnable du licenciement, elle souligne que si elle n’a pas retenu le motif grave, il a néanmoins été constaté que le style de communication de l’intéressé s’est avéré problématique dans le cadre d’un projet déterminé et que des consultants externes s’en sont plaints.

Le licenciement est dès lors fondé sur la conduite et l’indemnité de la CCT 109 n’est pas due.

De même, l’intéressé est débouté de sa demande de dommages et intérêts postulés pour licenciement abusif, la cour constatant qu’il demeure en défaut de prouver l’existence d’un dommage particulier distinct de celui qui est compensé forfaitairement par l’indemnité compensatoire de préavis.

Elle termine par la question du bonus, pour laquelle elle admet, conformément au plan de bonus interne, que les conditions d’octroi ne sont pas remplies, étant notamment exigée une condition de présence dans l’entreprise.


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