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Admission provisoire aux allocations de chômage d’une chômeuse ayant introduit un recours contre une décision de fin d’aptitude de son organisme assureur AMI, dont elle s’est ensuite désistée

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), chambre 2-E, 2 décembre 2024, R.G. 2024/AL/62

Mis en ligne le mercredi 15 octobre 2025


Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), chambre 2-E, 2 décembre 2024, R.G. 2024/AL/62

Résumé introductif

La chômeuse qui a introduit un recours contre une décision de fin d’incapacité de son organisme assureur et qui a été admise au bénéfice des allocations de chômage à titre provisoire ne peut en être exclue au motif qu’elle s’est ensuite désistée de ce recours.

Pendant toute la procédure contre son organisme assureur, elle est considérée comme apte pour la réglementation du chômage et son désistement a pour seule conséquence que les allocations provisoires deviennent définitives.

Dispositions légales

  • Arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage -article 62 §§ 1 et 2

Analyse

Rétroactes

Mme F. a été en incapacité de travail du 15 avril 2019 au 11 février 2020 et a contesté cette décision tout en s’adressant à l’ONEm, qui lui a accordé, par une décision du 4 mars 2020, les allocations à titre provisoire.

Elle s’est désistée du recours contre sa mutuelle et un jugement actant ce désistement a été rendu le 27 octobre 2020.

La chômeuse en a informé l’ONEm le 4 mars 2021, en réponse à un courrier de cet organisme demandant l’avancement du dossier AMI.

Par une décision du 21 mai 2021, l’ONEm a exclu Mme F. du droit aux allocations de chômage du 27 octobre 2020 au 11 mai 2021, date de sa pension.

Le jugement du tribunal du travail

Par un jugement du 15 janvier 2024, la 6e chambre du Tribunal de travail de Liège (division Liège) a dit ce recours fondé et a annulé la décision litigieuse.

La décision de la cour

Sur avis conforme du ministère public, l’arrêt confirme ce jugement.

La cour rappelle le contenu du § 2 de l’article 62 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et expose sa portée dégagée par la jurisprudence et la doctrine, étant que le chômeur qui n’est pas d’accord avec la décision d’aptitude de son organisme assureur peut obtenir les allocations de chômage à titre provisoire s’il introduit un recours devant les juridictions du travail. Dans ce cas, durant la procédure, il est, en vertu de cette disposition, considéré comme apte pendant toute la procédure.

L’arrêt se réfère notamment à A. MORTIER, « Chapitre 7 - Aptitude au travail » in Chômage, SIMON, M. (dir.), 1re édition, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 301-315, citant C. trav. Liège, 25 juin 2002, R.G. 6.840/01, juportal.be, C. trav. Liège, 26 mars 2002, R.G. 6.287/98, juportal.be et C. trav. Mons, 16 avril 1999, R.G.14.570, inédit).

Il se fonde également sur un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 12 février 2020, R.G. n°2018/AB/2020), ayant considéré que les allocations accordées conformément à l’article 62, § 2, sont des allocations ordinaires, mais accordées « à titre provisoire », c.à.d. qu’elles ne sont pas acquises définitivement mais sont accordées en attendant qu’une juridiction se prononce sur la question de savoir si le chômeur doit être considéré comme apte ou inapte au travail, conformément à la législation sur l’assurance maladie-invalidité.

L’arrêt reprend le raisonnement de la Cour du travail de Bruxelles, comme suit.

Si le travailleur est considéré comme inapte au sens de cette législation, il maintient ses droits dans le cadre de celle-ci et perd par conséquent ses droits aux allocations de chômage.

Si, par contre, le travailleur est considéré comme apte au travail, il a droit aux allocations de chômage, sous réserve du respect des autres conditions d’octroi.

Se pose la question de la situation de ce travailleur durant la procédure en ce qui concerne les autres conditions d’octroi.

Il ne se pose aucun problème en ce qui concerne la condition d’être sans rémunération et sans travail. Il est clair que le travailleur ne peut prétendre à des allocations s’il travaille ou bénéficie d’une rémunération.

La question est plus délicate en ce qui concerne la disposition au travail.

En effet, le travailleur qui conteste une décision de l’organisme compétent en matière d’assurance maladie-invalidité s’estime personnellement toujours inapte au travail, sinon il n’aurait pas contesté la décision qui le déclare apte.

Le législateur a toutefois opté pour une solution claire et nette, reprise dans l’article 62, § 2, al. 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 : le travailleur est considéré comme apte et est soumis à toutes les dispositions de l’arrêté (sans cependant pouvoir être exclu du chef de la même incapacité).

Il s’ensuit que, eu égard au texte précis de l’article 62, § 2, al. 3, et à défaut de texte précis repris dans l’arrêté royal du 25 novembre 1991, le chômeur qui a eu droit aux allocations « à titre provisoire » ne peut se voir retirer le droit à ses allocations au motif qu’il a omis d’avertir l’ONEm de la décision d’abandonner sa procédure (ou du rejet par le tribunal de son action).

En l’espèce, la cour constate que Mme F. n’a pas informé l’ONEm de sa décision de se désister du recours au moment de ce désistement mais lorsqu’elle a été questionnée par cet organisme sur les suites réservées à la procédure judiciaire. Dans un courrier du 16 février 2021, elle a expliqué sa décision par la longueur de la procédure et la circonstance qu’elle serait pensionnée en mai.

L’arrêt relève que l’ONEm n’a pas considéré le désistement comme une absence de recours à l’encontre de la mutuelle puisqu’il n’a pas décidé de récupérer les allocations à partir de la date d’admission au chômage.

Se fondant sur la jurisprudence majoritaire, l’arrêt décide qu’il n’existe pas de sanction réglementaire consistant dans l’exclusion à dater de la décision judicaire, en raison de l’information tardive à l’ONEm de l’issue de la procédure ou du défaut de celle-ci.

Le jugement du 27 octobre 2020 a mis fin à la fiction prévue par l’article 62, § 2, al. 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, dont la portée est de considérer le chômeur comme étant apte au travail aussi longtemps que les juridictions du travail n’en n’ont pas décidé autrement.

Avec ce jugement de désistement, Mme F. se considère comme apte dès sa remise au travail par le médecin-conseil et le caractère provisoire des allocations disparait dès son prononcé.

Au-delà de la date du jugement, ces allocations continuent à être proméritées sans qu’une nouvelle demande ne soit nécessaire.

L’ONEm peut à tout moment vérifier cette aptitude.

Le jugement dont appel est donc confirmé.

Intérêt de la décision commentée

Cet arrêt contient de nombreuses références doctrinales et jurisprudentielles.

Un arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2023 (S.21.0014.F sur Juportal avec les conclusions du ministère public et sur www.terralaboris.be avec un commentaire) résume parfaitement le but de l’article 62, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, étant d’assurer la continuité d’un revenu de remplacement.

Ainsi que le rappelle l’arrêt ici commenté en note de bas de page, « le chômeur peut s’incliner soit convaincu par son propre conseil médical, soit face aux arguments invoqués par la mutuelle ou l’INAMI, soit encore devant les conclusions d’un expert désigné par les juridictions du travail ».

La longueur de la procédure peut aussi, comme en l’espèce, convaincre le chômeur proche de la pension de renoncer à ce recours.

Il est donc essentiel qu’il soit considéré comme apte pendant la procédure de contestation de fin d’incapacité et qu’il puisse, en y renonçant, rendre définitive son aptitude au travail, qui persiste pendant cette procédure, l’ONEm pouvant à tout moment faire vérifier son état de santé par son médecin-conseil, conformément à l’article 62, § 1er, de l’arrêté royal, dont la décision d’inaptitude ne produira ses effets que pour l’avenir.


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