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L’attribution gratuite d’actions « de performance » et d’options sur actions entraîne-t-elle l’obligation de payer des cotisations de sécurité sociale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 décembre 2024, R.G. 2022/AB/787

Mis en ligne le lundi 20 octobre 2025


Cour du travail de Bruxelles, 11 décembre 2024, R.G. 2022/AB/787

Terra Laboris

Résumé introductif

Les paiements effectués par l’employeur au bénéfice du travailleur sont en règle considérés comme des paiements découlant de l’engagement. En conséquence, il doivent faire l’objet de cotisations de sécurité sociale.

L’avantage évaluable en argent qui est la contrepartie du travail fourni en exécution du contrat de travail est une rémunération soumise aux cotisations, peu importe qu’il soit payé par un tiers et que l’employeur ne l’ait pas pris en charge, ni directement ni indirectement.

Dispositions légales

  • Loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés – article 23
  • Loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs – article 14
  • Loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs – article 2

Analyse

Faits de la cause

Deux sociétés faisant partie d’un groupe mondial actif dans les paiements électroniques et en ligne, l’une de droit belge et l’autre de droit hollandais ayant une succursale belge, bénéficient pour leurs travailleurs occupés en Belgique de différents plans d’attribution gratuite d’actions et d’options, ainsi que d’actionnariat avec décote et abondement.

Les deux premiers types de plans sont réservés à des fonctions dirigeantes et à du personnel bénéficiant de qualifications particulières, le troisième plan étant accessible à tous les employés avec une ancienneté d’au moins trois mois.

Pour la société mère (française), ces plans constituent une récompense accordée au personnel pour leur contribution actuelle et future à la réussite du groupe.

En août 2019, les sociétés ont informé l’O.N.S.S. de ce que, à leur avis, les actions ne devaient pas être soumises aux cotisations de sécurité sociale mais que, vu les montants en jeu et afin d’éviter les majorations et intérêts en cas de contestation, elles procédaient à toutes fins et sous toutes réserves à la déclaration de ces actions gratuites, qui avaient été payées en juillet, soit le mois précédent.

Les cotisations patronales et personnelles ont ainsi été payées, et ce pour un montant supérieur à 1 million d’euros.

L’O.N.S.S. a communiqué sa position, étant que cette attribution gratuite constituait une rémunération octroyée en contrepartie de l’exécution du travail fourni et était donc soumise aux cotisations de sécurité sociale.

Des échanges intervinrent dans le courant de l’année 2020, les parties restant sur leur position.

En fin de compte, les sociétés ont introduit une action devant le tribunal du travail de Bruxelles, demandant le remboursement de l’ensemble des montants qui avaient été versés, de l’ordre finalement de 4 millions d’euros.

Étaient également réclamés les intérêts moratoires et judiciaires à partir de la date du paiement des cotisations, ainsi que la capitalisation des intérêts, sur pied de l’article 1154 du Code civil et la condamnation de l’Office aux dépens.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 14 septembre 2022, le tribunal a fait droit à la demande, réservant aux sociétés le droit d’établir un décompte final.

L’Office a été condamné au remboursement des sommes versées ainsi qu’au paiement des intérêts moratoires et judiciaires à partir de la date de paiement des cotisations, avec capitalisation conformément à l’article 1154 du Code civil.

Le tribunal a réservé à statuer pour le surplus.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour procède en premier lieu au rappel de l’ensemble des sommes en jeu, dont une partie a été payée par chacune des deux sociétés.

Elle reprend, ensuite, l’article 23 de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés ainsi que l’article 14 de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. Ces dispositions visent la rémunération à prendre en compte pour l’établissement des cotisations de sécurité sociale, celle-ci étant déterminée au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs.

Quelques arrêts de la Cour de cassation sont passés en revue, qui ont défini les contours de cette notion dans le cadre de la sécurité sociale (rémunération de base pour le calcul des cotisations de sécurité sociale).

Un premier arrêt du 5 janvier 2009 (Cass., 5 janvier 2009, S.08.0064.N) a rappelé que les paiements effectués par l’employeur au bénéfice du travailleur sont considérés comme des paiements découlant de l’engagement (le législateur ayant toutefois voulu écarter de la notion de rémunération les gratifications accordées par l’employeur au travailleur). En conséquence, il s’agit de rémunération pour le calcul des cotisations de sécurité sociale.

Un arrêt du 10 octobre 2016 (Cass., 10 octobre 2016, S.15.0118.N) a précisé que la circonstance qu’un tiers prend en charge cet avantage financier, l’employeur ne l’assumant ni directement ni indirectement, est sans incidence.

Un troisième arrêt important a été rendu le 20 mai 2019 (Cass., 20 mai 2019, S.18.0063.F), venant rappeler que la rémunération constitue la contrepartie du travail effectué en exécution d’un contrat de travail, l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 étendant la notion de rémunération aux avantages en argent ou évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de l’engagement, bien qu’ils ne constituent pas cette contrepartie. La rémunération allouée aux travailleurs pour le travail effectué en exécution de leur contrat de travail constitue dès lors de la rémunération au sens de l’ensemble des dispositions précitées.

Dans le droit fil de cette jurisprudence, un arrêt du 25 juin 2020 de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 25 juin 2020, R.G. 2019/AB/250 – confirmé par Cass.,14 mars 2022, S.21.0006 .F), a jugé que le droit à la contrepartie n’est en soi pas caractéristique de la notion de rémunération mais uniquement la conséquence nécessaire de l’exécution du travail en vertu du contrat. Pour la cour du travail (dans cet arrêt du 25 juin 2020), il est inconciliable avec la nature du contrat de travail et la notion de rémunération de stipuler que le droit à la rémunération n’existe pas dans la mesure où il s’agit d’avantages en contrepartie du travail effectué en exécution d’un contrat de travail.

Il en découle que le terme ‘droit’ figurant à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 n’est pas un élément de la définition de la rémunération mais vise à étendre cette notion à certains avantages auxquels le travailleur pourrait prétendre alors même qu’ils ne constitueraient pas la contrepartie du travail effectué en exécution du contrat.

Vient encore dans ce rappel des règles applicables le renvoi à un arrêt de la Cour de cassation du 5 septembre 2022 (Cass., 5 septembre 2022, S.21.0007.N), qui enseigne que l’avantage évaluable en argent qui est la contrepartie du travail fourni en exécution du contrat de travail est une rémunération soumise aux cotisations ; au contraire, si cet avantage n’est pas alloué en contrepartie de prestations exécutées dans le cadre du contrat de travail, il ne sera considéré comme une rémunération passible de cotisations de sécurité sociale que lorsque le droit à cet avantage est à charge de l’employeur.

En l’espèce, la cour constate qu’il n’est pas plaidé que ces avantages seraient des libéralités.

Les actions ‘de performance’ et les options sur actions constituent dès lors bien la contrepartie du travail fourni en exécution du contrat de travail.

La cour écarte les arguments avancés par les sociétés, étant qu’ils ne seraient octroyés qu’à certains travailleurs, que les objectifs de performance ne seraient pas individuels, que l’employeur ne se serait pas engagé à les attribuer et que la société mère (qui n’est pas l’employeur) payerait une dette qui lui est propre selon un plan qu’elle gère et finance seule.

Pour la cour du travail, c’est en contrepartie de leurs apports et pour leurs prestations que les employés se voient accorder ceux-ci.

Elle conclut que les cotisations sont dues pour ce qui est de l’attribution gratuite d’actions de performance et d’options sur actions.

Cependant, l’octroi d’actions avec décote et abondement n’est pas tranché dans l’arrêt. En effet, les sociétés se référant aux Instructions de l’O.N.S.S., qui les excluraient de la notion de rémunération, la cour constate que celui-ci n’a pas fait valoir son point de vue à l’égard de ce moyen et notamment qu’il n’est pas exposé si les conditions reprises dans ses instructions sont rencontrées.

Une réouverture des débats est ordonnée sur la question, la cour précisant que cette réouverture ne se limitera pas aux conditions fixées dans lesdites instructions, qui ne lient pas les juridictions, vu le caractère d’ordre public de la matière.


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