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Discrimination d’une organisation syndicale au sein d’une entreprise : mesures de cessation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 juillet 2025, R.G. 2024/AB/480

Mis en ligne le mercredi 29 octobre 2025


Cour du travail de Bruxelles, 17 juillet 2025, R.G. 2024/AB/480

Terra Laboris

Résumé introductif

Par conviction syndicale au sens de la législation anti-discrimination, il faut entendre l’affiliation ou l’appartenance à une organisation syndicale et l’exercice d’activités syndicales.

La discrimination prohibée peut viser tant des convictions syndicales en général que de telles convictions en lien avec une organisation syndicale en particulier.

Dès lors qu’une entreprise a instauré des pratiques de concertation sociale discriminantes à l’égard d’une organisation syndicale dûment représentée en son sein, il y a lieu d’en ordonner la cessation.

Dispositions légales

  • Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination – articles 4, 5, 7, 9, 14 et suivants

Analyse

Faits de la cause

Une société occupant plus de 8.000 travailleurs dispose en son sein des organes de représentation syndicale (conseil d’entreprise, comité pour la prévention et la protection au travail et délégation syndicale).

Suite aux élections sociales de 2020, les délégations syndicales (ouvriers et employés) ont été composées de 10 délégués chacune, à savoir 9 présentés par la FGTB et un par la CSC – aucun ne l’étant par la CGSLB).

Depuis 2024, un litige oppose celles-ci quant à leur composition, le nombre de délégués élus dans chacune des organisations n’étant dès lors pas encore connu.

La FGTB reste cependant très fortement majoritaire.

Depuis les élections sociales précédentes (2020), les réunions ont eu lieu séparément, la direction se réunissant avec les délégués de chaque organisation syndicale distinctement.

En outre, plusieurs incidents ont eu lieu entre la direction et l’organisation syndicale minoritaire, au niveau des militants (non mandataires).

La direction s’est ainsi vu reprocher de favoriser dans la concertation sociale les délégués d’une organisation au détriment de ceux de l’autre.

Il s’agit non seulement de la tenue de réunions séparées de la délégation mais également de l’exclusion de l’organisation minoritaire de la négociation collective, de la préférence donnée pour ce qui est de l’information aux délégués de l’organisation majoritaire, des entraves à l’activité syndicale des militants de l’organisation minoritaire qui ne sont pas mandataires, toutes marques d’un favoritisme envers une organisation.

Les bureaux de conciliation ont été amenés à intervenir et ont chacun remis un procès-verbal de carence.

Rétroactes de procédure

Une procédure a dès lors été introduite par l’organisation syndicale minoritaire (la confédération ainsi que deux organisations professionnelles membres de celle-ci) devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre) en vue de faire cesser une discrimination fondée sur la conviction syndicale.

Une ordonnance a été rendue le 8 décembre 2023, la présidente du tribunal du travail constatant l’existence de comportements discriminatoires et disant pour droit que les réunions doivent se tenir en présence de toutes les composantes des délégations.

L’ordonnance formule également des interdictions de comportements discriminants envers les affiliés au syndicat minoritaire.

Appel a été interjeté par la société, demandant la réformation de la décision, afin qu’il soit dit pour droit qu’aucun acte discriminatoire n’a été posé et qu’il n’y a pas lieu de donner suite aux injonctions postulées par les organisations demanderesses.

Celles-ci ont interjeté appel incident aux fins d’obtenir correction de certaines mesures ordonnées par la présidente du tribunal.

Elle sollicitent cependant la confirmation de sa décision pour l’ensemble des autres dispositions.

La décision de la cour

L’arrêt de la cour est particulièrement fouillé, motivé et nuancé en ce qui concerne la question de la discrimination directe et indirecte fondée sur la conviction syndicale.

Rappelant le mécanisme général de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, l’arrêt reprend la notion de ‘conviction syndicale’ au sens de cette législation : il s’agit de l’affiliation ou de l’appartenance à une organisation syndicale ainsi que de l’exercice d’activités syndicales.

La discrimination interdite est susceptible de viser tant les convictions syndicales en général que les convictions syndicales en lien avec une organisation syndicale en particulier.

Pour ce qui est des éléments du dossier, la cour examine successivement chacun des points visés.

1.
Le premier est relatif aux réunions séparées des délégations syndicales.

La pratique en cause consiste à tenir séparément des réunions entre d’une part la direction et le délégué de l’organisation minoritaire ainsi que de l’autre la direction et les délégués de l’organisation majoritaire.

Ceci entraîne comme conséquences (i) l’isolement du délégué de l’organisation minoritaire face à la direction, (ii) des informations séparées et (iii) la négociation séparée.

Il s’agit d’une distinction indirecte fondée sur la conviction syndicale.

La cour retient que la société invoque un but légitime, qui consisterait à faire en sorte que l’ensemble des membres du personnel soient représentés lors de la concertation sociale au sein de la délégation.

Elle admet que ce but est légitime.

Cependant les mesures prises n’apparaissent pas appropriées et ne permettent pas d’atteindre le but poursuivi.

En outre, elles ne sont pas proportionnées, étant contraires aux conventions collectives de travail applicables.

Les conventions sectorielles prévoient une délégation syndicale unique pour les employés et une délégation syndicale unique pour les ouvriers et c’est à celles-ci agissant collégialement que revient l’exercice des compétences de la délégation syndicale.

La cour constate dès lors la discrimination et ordonne à la société d’y mettre fin, confirmant l’ordonnance attaquée.

2.
Pour ce qui est de l’information du personnel, la cour note la pratique en ce qui concerne l’attribution des salles pour l’accueil des nouveaux travailleurs, cet accueil étant organisé de manière telle que ceux-ci seraient amenés à s’adresser davantage à l’organisation majoritaire qu’à celle minoritaire (devant se déplacer vers un autre local).

Par ailleurs, le planning des tournées syndicales est défavorable à l’organisation minoritaire de même que la tenue d’assemblées du personnel où son délégué n’est pas convié.

La cour relève encore un problème d’affichage aux valves de l’entreprise : l’organisation syndicale minoritaire a procédé à l’affichage non seulement de ses représentants élus mais également de ceux qui ne sont titulaires d’aucun mandat (qu’elle présente comme militants) et la direction s’y est opposée, ayant fait retirer lesdites affiches et adressé un avertissement aux travailleurs concernés.

Ces éléments sont retenus comme des distinctions directes (pour l’attribution des salles et les tournées syndicales) et indirectes (pour la tenue des assemblées et l’affichage).

La cour examine dès lors les justifications données par la direction.

Elle fait droit à la position de la société sur la question de l’affichage aux valves de l’entreprise, renvoyant à la fois au règlement de travail et à la convention collective de travail n° 5 ainsi qu’aux conventions sectorielles, cet affichage ne faisant pas partie de « ce qui est autorisé aux représentants du personnel ».

Elle retient cependant le caractère discriminatoire des autres pratiques et en ordonne la cessation.

3.
La cour examine ensuite le mode de fonctionnement du conseil d’entreprise et du CPPT, étant que des informations sont données aux seuls représentants de l’organisation majoritaire et que des réunions séparées sont tenues sur des sujets relevant de la compétences de ces organes.

Il y a pour la cour une distinction directe dont l’objectif n’est pas précisé par la direction.

Elle juge la pratique non adéquate et non proportionnée.

Elle ordonne dès lors à l’entreprise d’y mettre fin.


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