Commentaire de C.J.U.E., 12 juin 2025, Aff. n° C-219/24 (A e.a. c/ TALLINNA LINN), EU:C:2025:442
Mis en ligne le mercredi 29 octobre 2025
Cour de Justice de l’Union européenne, 12 juin 2025, Aff. n° C-219/24 (A e.a. c/ TALLINNA LINN), EU:C:2025:442
Terra Laboris
Résumé introductif
Le législateur européen n’a pas défini les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent prévoir une obligation vaccinale, la directive 2000/54/CE visant une protection minimale qui ne porte que sur l’obligation pour les employeurs, lorsqu’il existe un vaccin efficace, de donner accès à celui-ci.
Elle ne contient pas d’obligation vaccinale.
La Charte de des droits fondamentaux de l’Union européenne ne peut être invoquée que lorsque qu’est mis en œuvre le droit de l’Union. Les droits fondamentaux qu’elle garantit ne peuvent être appliqués en dehors des situations régies par celui-ci.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Suite à l’annonce de l’état d’urgence sanitaire internationale par l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.) le 30 janvier 2020, la Ville de Tallinn (Estonie) a lancé un plan d’action prévoyant entre autres la vaccination de ses employés, et ce aux fins de réduire les risques de contamination.
Ainsi, elle a modifié les règles professionnelles concernant les ambulanciers, exigeant pour ceux-ci la vaccination contre les maladies transmissibles dangereuses.
Un délai a été donné pour y procéder (des contre-indications étant admises).
Ceux-ci furent avertis que, en l’absence de telle preuve, il serait mis fin à leur contrat de travail.
Ceci fut fait pour une série d’entre eux en juillet 2021.
La Ville précisait que la spécificité de ce métier exigeait et justifiait la vaccination des personnes qui l’exerçaient et que dès lors qu’aucune autre mesure ne pouvait protéger la santé des patients, ainsi que des autres travailleurs et du travailleur lui-même, le travail d’ambulancier ne pouvait être exercé qu’à cette condition.
Le Tribunal de première instance de Harju fut saisi par une série de travailleurs, qui contestaient la résiliation de leur contrat de travail, estimant celle-ci abusive.
Le tribunal a accueilli partiellement les demandes, jugeant la résiliation nulle. Il estima que la Ville ne pouvait imposer unilatéralement une telle obligation en l’absence de loi ou de décret du pouvoir exécutif. Celle-ci a été condamnée à indemniser les requérants.
Les deux parties ont interjeté appel (les requérants n’ayant pas perçu l’indemnisation qu’ils avaient réclamée, celle-ci ayant été limitée par le tribunal).
La cour d’appel de Tallinn fut ainsi saisie.
Celle-ci statua par arrêt du 26 mai 2023, annulant partiellement la décision du tribunal sur le montant de l’indemnisation et confirmant la décision sur le fond quant à l’obligation imposée unilatéralement.
La Ville saisit la Cour suprême.
Celle-ci interroge la Cour de justice, lui posant trois questions.
Les questions préjudicielles
Les deux premières questions concernent la directive 2000/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 septembre 2000 concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents biologiques au travail.
Il s’agit de la septième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe un, de la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.
Ces deux premières questions sont relatives à l’article 14, paragraphe trois, de la directive particulière.
Celui-ci concerne la surveillance médicale et énonce que les Etats membres prennent, conformément aux législations et aux pratiques nationales, des dispositions pour assurer la surveillance médicale adéquate des travailleurs pour lesquels les résultats de l’évaluation visée à l’article 3 (qui concerne l’identification et l’évaluation des risques, étant les activités dans lesquelles les travailleurs sont exposés ou risquent d’être exposés à des agents biologiques du fait de leur activité professionnelle) révèlent l’existence d’un risque concernant leur sécurité et leur santé.
Cette évaluation devrait (selon le paragraphe trois) identifier les travailleurs pour lesquels des mesures spéciales de protection peuvent être nécessaires.
Le texte poursuit que « s’il y a lieu, des vaccins efficaces devraient être mis à la disposition des travailleurs qui ne sont pas encore immunisés contre l’agent biologique auquel ils sont ou peuvent être exposés ».
Un code de conduite doit être respecté à cet égard, code figurant à l’annexe VII de la directive (‘Code de conduite recommandé pour la vaccination’).
Il précise que si l’évaluation révèle qu’il y a un risque pour la sécurité et la santé des travailleurs du fait de leur exposition à des agents biologiques contre lesquels il existe des vaccins efficaces, leur employeur devrait leur offrir la vaccination et que celle-ci devrait avoir lieu conformément aux législations et/ou pratiques nationales, les travailleurs devant être informés des avantages et des inconvénients tant de la vaccination elle-même que de l’absence de celle-ci.
Pour la Cour de cassation estonienne, se pose d’abord la question de savoir si les dispositions ci-dessus peuvent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une réglementation en vertu de laquelle l’employeur a le droit d’imposer l’obligation de se faire vacciner à des travailleurs auxquels il est lié par un contrat de travail valide et qui sont exposés à des risques biologiques.
En deuxième question, elle demande si la vaccination est une mesure de médecine du travail au sens des dispositions ci-dessus, que l’employeur peut imposer dans le cadre d’un contrat de travail valide sans le consentement du travailleur exposé à des risques biologiques.
Enfin, la troisième question, relative à la directive 89/391/CEE et à la Charte des droits fondamentaux, porte sur le point de savoir si une obligation vaccinale imposée par l’employeur dans le cadre d’un contrat de travail valide est conforme à ces deux textes, étant visés pour la Charte les articles 3, paragraphe 1, 31 paragraphe 1 et 52 paragraphe 1.
La réponse de la Cour
La Cour rappelle que la directive 89/391/CEE contient des principes généraux concernant notamment la prévention des risques professionnels ainsi que la protection de la sécurité et de la santé.
Cette directive impose aux employeurs d’évaluer et de prévenir les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs liés à leur environnement de travail (rappelant ici son arrêt du 9 mars 2021 (C.J.U.E. (grande chambre), 9 mars 2021 (Aff. n° C-344/19, D. J. c/ RADIOTELEVIZIJA SLOVENIJA), EU:C:2021:182).
Elle ne comporte aucune disposition relative à la vaccination des travailleurs, si bien qu’elle ne peut fonder la possibilité pour les Etats membres de prévoir une obligation vaccinale.
Par contre, la directive 2000/54/CE contient des obligations plus contraignantes et/ou spécifiques et celle-ci s’applique à l’ensemble des domaines couverts par la directive 89/391/CEE.
La Cour examine dès lors les dispositions de celle-ci en ce compris l’annexe VII.
En vertu de ces textes, si les employeurs sont tenus, lorsqu’il existe un vaccin efficace, de donner accès à ce vaccin, elle ne prévoit pas si et dans quelles circonstances les employeurs peuvent imposer une telle vaccination afin de protéger les travailleurs concernés ou encore d’autres catégories de personnes et corrélativement si et dans quelles circonstances ceux-ci peuvent se voir imposer l’obligation de se soumettre à cette vaccination ou s’ils peuvent la refuser (considérant 45).
Elle en conclut que le législateur de l’Union européenne n’a pas entendu définir les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent prévoir une obligation vaccinale.
L’article 14, paragraphe 3, contient une protection minimale. Or, l’obligation vaccinale en cause s’ajoute à celle qui incombe à l’employeur de donner accès à la vaccination.
Cette obligation n’est pas de nature à porter atteinte, par ailleurs, à d’autres dispositions de la directive ni à la cohérence et aux objectifs de celle-ci.
Enfin, pour que la Charte s’applique, il faut, conformément à son article 51, que soit mis en œuvre le droit de l’Union, ce qui, au sens de cette disposition, présuppose l’existence d’un lien de rattachement entre un acte du droit de l’Union et la mesure nationale dépassant « le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre ».
Elle invoque ici notamment un arrêt du 3 avril 2025 (C.J.U.E., 3 avril 2025, Aff. n° C–701/23 (SWIFTAIR), EU:C:2025:237).
Les droits fondamentaux garantis par la Charte ne peuvent être appliqués en dehors des situations régies par le droit de l’Union (C.J.U.E., 28 novembre 2024, Aff. n° C–432/22 (PT), EU:C:2024:987).
Ainsi, pour la question de l’obligation vaccinale en cause, qui ne constitue pas une ‘mise en œuvre’ du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1 (C.J.U.E., 13 juillet 2023, Aff. n° C–765/21 (AZIENDA OSPEDALE-UNIVERSITTA DI PADOVA), EU:C:2023:566) .
En conséquence, la Cour conclut que les dispositions des directives ci-dessus ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle l’employeur peut obliger les travailleurs avec lesquels il a conclu un contrat de travail à se faire vacciner s’ils sont exposés à un risque biologique.