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Accident du travail survenu dans un autre État membre de l’Union européenne : exercice par l’institution de sécurité sociale qui a indemnisé les séquelles de son action récursoire contre le responsable de l’accident

Commentaire de C.J.U.E., 12 juin 2025, Aff. n° C-7/24 (DEUTSCHE RENTENVERSICHERUNG NORD, BG VERKEHR c/ GJENSIDIGE FORSIKRING), EU:C:2025:439

Mis en ligne le jeudi 30 octobre 2025


Cour de Justice de l’Union européenne, 12 juin 2025, Aff. n° C-7/24 (DEUTSCHE RENTENVERSICHERUNG NORD, BG VERKEHR c/ GJENSIDIGE FORSIKRING), EU:C:2025:439

Terra Laboris

Résumé introductif

L’article 85, paragraphe un, du Règlement (CE) n° 883/2004 est de permettre en cas de dommage survenu sur le territoire d’un autre État l’exercice par l’institution de sécurité sociale qui a versé des prestations de sécurité sociale des voies de recours contre le tiers responsable du dommage .

La subrogation ne peut pas avoir pour conséquence de créer dans le chef du bénéficiaire des prestations des droits additionnels à l’égard d’un tiers.

Les droits de la victime (ou des ayants droit) contre l’auteur du dommage ainsi que les conditions d’ouverture de l’action en réparation sont déterminés par le droit de l’État sur le territoire duquel le dommage est survenu.

Les prestations versées étant susceptibles de varier fortement d’un État à l’autre, il n’y a pas lieu d’exiger des correspondances strictes entre les prestations prévues dans les différents États, ceci risquant de priver l’article 85, paragraphe un, de son effet utile.

Dispositions légales

  • Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale - article 85, paragraphe un
    Analyse

Faits de la cause

Un chauffeur de transports internationaux travaillant pour une société allemande eut un accident du travail au Danemark le 15 juillet 2015.

Il décéda peu après.

L’assureur responsabilité civile de la société danoise où l’accident était survenu a reconnu la responsabilité de son assurée et a versé à la veuve une indemnité pour perte de soutien de famille, conformément au droit danois.

Par ailleurs, celle-ci a perçu une pension de veuvage conformément au droit allemand (régime légal d’assurance retraite prévue par le Code de la sécurité sociale allemand), versée par deux organismes nationaux.

La législation allemande prévoit un droit de subrogation dans les droits de la veuve à l’égard du tiers responsable pour la pension versée.

En conséquence, les organismes allemands ont demandé le remboursement de cette pension auprès de la société danoise.

Celle-ci a refusé au motif que la demande n’était pas fondée au regard du droit danois.

La pension allemande est en effet versée indépendamment de la cause du décès et ne correspond pas à l’indemnité de droit danois appelée ‘indemnité pour perte de soutien de famille’.

En outre, l’indemnité a déjà été versée à la veuve, de telle sorte qu’elle ne peut prétendre à aucune autre indemnisation en vertu du droit danois.

Le tribunal de Svendborg (Danemark) a été saisi d’une action récursoire tendant à obtenir qu’elle soit reconnue débitrice des prestations versées à la veuve.

Les organismes allemands estiment que les conditions et l’étendue des droits dans lesquels ils sont subrogés doivent être déterminées conformément au droit allemand, se fondant sur l’article 85, paragraphe un, du Règlement n° 883/2004.

Ils considèrent que, pour pouvoir faire l’objet d’une indemnisation, cette disposition devrait être interprétée en ce sens que les prestations sociales qu’ils ont versées ne doivent pas être identiques ou comparables quant à leur nature aux prestations du droit danois.

L’article 85 n’aurait pas selon eux pour objet d’exclure le recours d’une institution de sécurité sociale débitrice contre l’auteur du dommage en raison d’une absence d’identité des prestations.

La position du juge de renvoi

Le juge de renvoi constate que se pose tout d’abord la question de déterminer laquelle des législations nationales détermine l’étendue des droits dans laquelle une institution de sécurité sociale débitrice est subrogée.

Le deuxième point porte sur le caractère comparable des prestations pour que puisse être exercée l’action récursoire et le juge s’interroge également sur la jurisprudence de la Cour suprême danoise sur la question.

Elle interroge dès lors la Cour de justice sur l’article 85, paragraphe un du règlement : doit-il être interprété en ce sens que l’action récursoire de l’institution débitrice est subordonnée à l’existence, dans l’État membre où le dommage est survenu, d’une base juridique pour le type de compensation ou d’indemnité au titre de laquelle l’action récursoire est exercée, ou pour une prestation équivalente, à la suite du fait dont l’auteur du dommage est responsable en vertu de la loi du lieu où celui-ci s’est produit ?

La décision de la Cour

La Cour rappelle l’objectif de l’article 85, paragraphe un, qui est de permettre à une institution de sécurité sociale d’un État membre qui a versé des prestations à la suite d’un dommage survenu sur le territoire d’un autre État d’exercer contre le tiers responsable du dommage les voies de recours prévues par le droit qu’elle applique, et ce que ça soit par la voie de la subrogation ou par l’action directe.

Renvoyant à son ancien arrêt DAK (C.J.C.E., 2 juin 1994, Aff. n° C–428/92, EU:C:1994:222), qui a posé le principe que le droit ainsi conféré aux institutions nationales de sécurité sociale constitue le complément logique et équitable de l’extension des obligations de ces institutions sur l’ensemble du territoire de l’Union, extension qui découle des dispositions de ce règlement (considérant 28).

Il s’agit d’une règle de conflit de lois.

Elle impose à la juridiction nationale saisie d’une action en indemnité contre l’auteur du dommage d’appliquer le droit de l’État membre de l’institution débitrice, et ce non seulement pour vérifier si elle est subrogée légalement dans les droits de la victime (ou des ayants droits) mais également pour ce qui est de la nature et de l’étendue des créances faisant l’objet de cette subrogation (avec renvoi à l’arrêt KORDEL - C.J.C.E., 21 septembre 1999, Aff. C–397/96, EU:C : 1999:432).

La subrogation ne peut pas avoir pour conséquence de créer dans le chef du bénéficiaire des prestations des droits additionnels à l’égard d’un tiers, ses droits qu’il détient contre l’auteur du dommage ainsi que les conditions d’ouverture de l’action en réparation étant déterminés par le droit de l’État sur le territoire duquel le dommage est survenu, en ce compris les règles de droit international privé applicables.

La Cour rappelle également, en ce qui concerne l’étendue de la subrogation, que celle-ci ne couvre parmi les indemnisations reconnues par la législation de l’État sur le territoire duquel le dommage s’est produit que celles qui correspondent aux prestations versées par l’institution débitrice, et ce à l’exclusion du dommage moral ou d’autres éléments de préjudice à caractère personnel.

La première conclusion tirée par la Cour est que l’existence et l’étendue de la subrogation dans les droits de la veuve du travailleur sont déterminées par le droit allemand.

Ensuite, cette subrogation ne peut créer ni pour la veuve ni pour les institutions de droits additionnels à ceux conférés à la veuve par le droit danois.

Enfin, sur le point de savoir si l’indemnité pour perte de soutien de famille (droit danois) correspond à la pension de veuvage versée (droit allemand), la Cour rappelle que le règlement n° 883/2004 n’instaure pas un régime commun de sécurité sociale.

En l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union, il appartient à chaque État membre de déterminer dans sa législation notamment les conditions qui donnent droit à des prestations sociales (citant ici C.J.U.E., 11 avril 2024, Aff. n° C-116/23 (X c/ SOZIALMINISTERIUMSERVICE), EU:C:2024:192 – précédemment commenté).

En conséquence, les prestations versées - par exemple à la suite d’un accident du travail - sont susceptibles de varier fortement d’un État à l’autre.

Poser des exigences trop strictes quant à la correspondance entre les prestations prévues dans les différents États risquerait de priver l’article 85, paragraphe un, de son effet utile.

La Cour constate encore en l’espèce que les prestations danoises également ont été accordées suite au décès du soutien de famille.

Elles visent dès lors toutes les deux à indemniser les survivants proches, notamment pour le manque à gagner lié à la disparition du travailleur.

Sous réserve d’une vérification par le juge national, elle conclut que les deux prestations sont quant à leur objet et à leur finalité suffisamment comparables pour que le droit de subrogation s’étende à cette indemnité (dans les limites des plafonds prévus par le droit danois).

Elle écarte cependant une indemnité visant à réparer le dommage moral, au motif qu’elle n’est pas suffisamment comparable à la pension du veuvage versée.

La réponse de la Cour est dès lors que l’action récursoire de l’institution débitrice n’est pas subordonnée à l’existence dans le second État membre (lieu de l’accident du travail) d’une base juridique permettant l’obtention d’une telle pension ou prestation équivalente. Il suffit que les prestations prévues à la suite d’un événement déclencheur soient suffisamment comparables quant à leur objet et à leurs finalités respectifs pour que le droit de subrogation prévu par la législation du premier État membre puisse s’étendre à celle prévue par le second.


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