Commentaire de C. trav. Mons, 13 juin 2025, R.G. 2024/AM/115
Mis en ligne le jeudi 30 octobre 2025
Cour du travail de Mons, 13 juin 2025, R.G. 2024/AM/115
Terra Laboris
Résumé introductif
Tout qui exerce des fonctions et est amené à poser un acte relatif à celles-ci (ainsi, réceptionner un document à la poste) se retrouve dans le cadre de l’exercice de ces fonctions et ne doit pas nécessairement se trouver sur un lieu déterminé (lieu du travail) pour que l’accident du travail soit reconnu.
Par ailleurs, est couvert par la loi du 3 juillet 1967 non seulement le dommage causé à un membre du personnel par un tiers en raison d’un acte antérieur accompli dans l’exercice des fonctions mais également tout dommage causé par un tiers du fait des fonctions, n’étant pas visées les seules hypothèses de représailles contre un agent du secteur public.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une éducatrice prestant en IMP de la Province du Hainaut depuis de nombreuses années reçut le 17 février 2022 un courrier recommandé, qu’elle dut aller chercher à la poste.
Celui-ci lui notifia son « écartement sur le champ » pour motif disciplinaire.
Il était signalé qu’elle pouvait introduire un recours au Conseil d’État contre ladite décision, qui prenait effet immédiatement.
Ce courrier n’émanait, cependant, pas de son pouvoir organisateur et ne lui était pas destiné, ce qu’elle ne vit pas tout de suite.
Ce ne fut qu’à la lecture des annexes qu’elle put le constater.
Sa chef de division, à laquelle elle s’adressa aussitôt, contacta la Fédération Wallonie Bruxelles et il lui fut confirmé que les faits concernaient une autre membre du personnel, prestant dans un autre établissement et ayant le même nom.
Sa supérieure signala que l’intéressée avait été fortement choquée et déstabilisée.
Il fallut plus d’un mois après la réception de ce courrier pour que la FWB corrige, faisant état d’une « erreur malencontreuse et involontaire ».
L’éducatrice subit un stress post-traumatique et dut contacter le conseiller en prévention de la Province.
Parallèlement, elle fut en incapacité de travail, d’abord pour une durée d’un mois, incapacité qui fut prolongée à plusieurs reprises.
Elle ne put reprendre ses fonctions qu’après sept mois.
Une déclaration d’accident du travail fut faite mais il y eut refus de reconnaissance en raison d’absence d’événement soudain.
Par jugement du 12 mars 2024, le tribunal du travail du Hainaut, division Binche, reconnut l’accident du travail et ordonna une expertise.
La Communauté française interjette appel.
Moyens des parties devant la cour
Les parties sont opposées sur quatre points.
Le premier concerne le défaut de motivation formelle de la décision, dont la victime demande l’annulation pour ce motif, ce que conteste la partie appelante.
Sont également en litige la notion d’événement soudain de même que la condition de la survenance des faits dans le cours de l’exercice des fonctions.
Il s’agit de deux éléments de la définition de l’accident, visés à l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967.
Enfin, au cas où l’accident serait reconnu, la Communauté française demande, vu la désignation d’un expert par le premier juge, qu’il n’y ait pas d’effet dévolutif de l’appel et que l’affaire lui soit renvoyée après confirmation de la mesure d’instruction.
La décision de la cour
Sur le premier point, étant l’exigence de motivation formelle conforme aux articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, la cour rappelle que le juge a une compétence de pleine juridiction en matière d’accident du travail et que l’argument de nullité ou d’annulation est en quelque sorte « un tour pour rien » vu qu’il doit statuer et examiner le fond du droit.
Elle reprend ensuite la notion d’événement soudain, abordant également les questions de preuve.
Après le rappel de la chronologie des faits de la journée du 17 février 2022 et de la réaction immédiate de sa supérieure vis-à-vis de la Fédération Wallonie Bruxelles précisant que l’éducatrice avait subi un choc et qu’elle n’avait pas immédiatement pu se rendre compte de l’erreur de destinataire, la cour fait le constat que l’intéressée a subi un stress post-traumatique.
Elle rappelle l’évolution médicale de l’incapacité, les lésions ayant également été admises par la Fédération Wallonie Bruxelles dans un courrier.
Pour ce qui est de la survenance de l’accident dans le cours de l’exercice des fonctions, la cour rappelle que celui-ci est survenu à la poste, puisque l’intéressée y réceptionnait le courrier recommandé.
Pour la cour, toute personne exerçant des fonctions, qui est amenée à poser un acte en vue de réceptionner un document (remontrances ou rupture) se replace, ce faisant, dans le cadre de l’exercice de celles-ci.
Elle ne doit pas se trouver sur un lieu de travail au sens strict du terme, et ce dès lors que comme en l’espèce employeur a notifié sa décision par voie postale.
Par ailleurs, la cour relève que la relation de travail est toujours en cours à ce moment.
La circonstance que le courrier émane d’un autre pouvoir organisateur, c’est-à-dire un tiers à la relation de travail, n’y change rien.
Même envoyé par un tiers, le recommandé a en effet été adressé à l’intéressée du fait des fonctions qu’elle exerçait et la cour rappelle ici un extrait des travaux parlementaires de la loi du 3 juillet 1967, selon lesquels est couvert non seulement le dommage causé à un membre du personnel par un tiers en raison d’un acte antérieur accompli dans l’exercice des fonctions mais également tout dommage causé par un tiers du fait des fonctions.
Les travaux parlementaires poursuivent en reprenant le cas de l’agression où un agresseur voit dans le membre du personnel l’expression de l’autorité (représailles).
La disposition ne se limite pas cependant à ces hypothèses de représailles mais elle peut viser tout accident de travail causé par un tiers du fait des fonctions.
Enfin, pour ce qui est de l’absence d’effet dévolutif, conformément à l’article 1068 du Code judiciaire, dans la mesure où la cour a confirmé la mesure d’instruction, il y a renvoi devant le premier juge.