Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 juin 2025, R.G. 2023/AB/780
Mis en ligne le jeudi 30 octobre 2025
Cour du travail de Bruxelles, 2 juin 2025, R.G. 2023/AB/780
Terra Laboris
Résumé introductif
La détermination de l’incapacité temporaire se fait eu égard à la possibilité pour la victime de l’accident d’effectuer le travail pour lequel elle a été engagée et qu’elle exerçait au moment de l’accident.
Qu’elle ait été indemnisée dans un autre secteur de la sécurité sociale (AMI ou chômage) pendant cette période n’intervient pas dans cette évaluation.
Les règles anti-cumul figurant dans ces législations devront être actionnées indépendamment de la reconnaissance de l’incapacité de travail.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une animatrice se fit une entorse de la cheville en ratant une marche dans une plaine de jeux le 22 décembre 2008.
L’évolution de la lésion a été compliquée par une algodystrophie sévère ainsi qu’une paralysie partielle au niveau moteur du nerf sciatique gauche.
Une proposition d’accord-indemnité a été faite par l’assureur-loi, pour une incapacité permanente partielle de 15 % avec une date de consolidation au 1er juin 2010.
Le médecin de recours étant plutôt d’avis qu’un taux de 35 % devait être retenu et que la situation n’était pas consolidée, la proposition a été rejetée.
En fin de compte, une procédure a été introduite par requête le 29 novembre 2011 et un expert a été désigné.
Dans le rapport de l’expert judiciaire, déposé le 25 février 2019, ont été proposées deux périodes d’incapacité temporaire (avec une période d’interruption), une date de consolidation au 1er juin 2017 et une incapacité permanente partielle de 25 %.
Celui-ci a été partiellement entériné par jugement, le tribunal retenant une incapacité continue du 22 décembre 2008 au 31 mai 2017 contrairement à l’expert.
Appel a été interjeté par l’assureur.
Position des parties devant la cour
L’assureur sollicite la production de documents, relatifs à la demande d’indemnisation et à la prise en charge de la victime dans le régime du chômage ainsi que vis-à-vis de la mutuelle, à partir de janvier 2015.
Il formule également une demande de renseignements quant à l’intervention du C.P.A.S.
Sur le fond, il demande que la période d’incapacité temporaire soit interrompue entre le 1er janvier 2012 et le 18 février 2016 (comme l’avait retenu l’expert judiciaire).
Quant à l’intimée, elle sollicite la confirmation du jugement et demande la prise en charge d’une intervention chirurgicale intervenue en 2024 (demande nouvelle).
La décision de la cour
La cour statue, essentiellement, sur la question de l’incapacité temporaire, relevant également un deuxième point de contestation, qui concerne la demande nouvelle relative à l’intervention dans les frais médicaux encourus en 2024.
Sur la période d’ITT, elle reprend longuement le jugement, le premier juge ayant considéré, à propos d’un éventuel cumul pour la période d’incapacité temporaire totale de l’indemnisation en loi avec des indemnités AMI ou des allocations de chômage, que l’indemnisation loi était prioritaire.
Il a également précisé que, si des décomptes devaient être faits, il incombe à l’assureur-loi de prendre le cas échéant l’initiative d’interroger la mutuelle et/ou l’ONEm.
La cour rappelle ensuite, dans son propre examen de la question, que l’évaluation de l’incapacité temporaire se fait en vérifiant l’impossibilité totale ou partielle pour la victime d’accomplir les prestations de travail dans la profession exercée normalement au moment de l’accident, ce critère étant distinct de l’évaluation de l’incapacité permanente, qui se fait, quant à elle, par rapport au marché général de l’emploi encore accessible à la victime.
Une incapacité temporaire partielle est retenue lorsque la victime est selon des critères médicaux considérée comme capable de reprendre le travail qu’elle exerçait au moment de l’accident mais qu’elle n’a pas retrouvé sa capacité totale dans cette fonction (renvoi est ici fait à Ria JANVIER, Les accidents du travail dans le secteur public, La Charte, 2018, p. 150, n° 424).
La victime maintient son droit à l’incapacité temporaire totale jusqu’au jour de la remise complète au travail ou de la consolidation.
Par ailleurs, en dehors du cas particulier de cumul éventuel avec des prestations de pension, l’indemnisation s’effectue prioritairement dans cadre de la loi du 10 avril 1971, la mise en œuvre de règles anti-cumul édictées dans d’autres législations devant intervenir ultérieurement.
Dans ce rappel des principes, la cour précise encore que si la victime s’est trouvée au chômage à un moment quelconque au cours de la période d’incapacité temporaire, ceci n’est par conséquent pas en soi incompatible avec la reconnaissance de cette incapacité et avec son droit aux indemnités en loi.
La victime de l’accident peut être considérée comme apte au sens de la réglementation sur le chômage tout en étant en incapacité temporaire totale dans le secteur des accidents du travail, la règle anti-cumul de l’article 61, § 2, alinéa 1er, de l’arrêté royal organique n’étant d’aucune incidence sur la reconnaissance préalable de l’incapacité temporaire en loi, et ce nonobstant l’absence de mécanisme subrogatoire en faveur de l’ONEm comparable à celui de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée en AMI.
Enfin, que la victime soit indemnisée par la mutuelle n’est pas davantage un obstacle à la reconnaissance de l’incapacité temporaire, le mécanisme anti-cumul de l’article 136, § 2, allant cependant jouer, la cour rappelant l’obligation de l’assureur-loi d’avertir l’organisme assureur AMI de son intention d’indemniser la victime ainsi que l’action subrogatoire de celui-ci.
En conséquence, pour la cour, le tribunal a justement apprécié les éléments de la cause eu égard au mécanisme légal.
Elle relève également avec le premier juge que pendant toute la période du 22 décembre 2008 au 31 décembre 2011 inclus ainsi que du 19 février 2016 au 31 mai 2017 inclus la victime a été dans l’impossibilité d’exercer sa profession.
Elle a subi une intervention chirurgicale le 19 février 2016 et présentait encore des limitations fonctionnelles incompatibles avec la reprise de ses fonctions à la date de la consolidation.
La cour rejette d’autres arguments d’Ethias, qui entend faire écarter la période du 1er janvier 2012 au 18 février 2016 au motif (i) qu’il y aurait eu indemnisation par la mutuelle et/ou le chômage, (ii) que l’intervention chirurgicale pratiquée le 19 février 2016 l’aurait été « avec retard » et (iii) que des chutes intervenues pourraient être à l’origine des périodes d’incapacité non reconnues.
Pour la cour, trois constats doivent être faits étant (i) que la détermination des périodes d’incapacité temporaire de travail en loi est étrangère à l’indemnisation de celles-ci, et ce a fortiori dans d’autres secteurs de la sécurité sociale, (ii) qu’elle est également étrangère à la liberté thérapeutique de la victime et notamment à son choix de subir une opération à tel ou tel moment et (iii) quoi qu’il en soit quant à l’origine des chutes en question, si elles avaient entraîné une nouvelle incapacité de travail, celle-ci ne ferait que se superposer à l’incapacité reconnue pour la période litigieuse.
La cour confirme dès lors le jugement et admet une période d’incapacité temporaire continue.
Elle en vient ensuite à la demande nouvelle relative à la prise en charge d’une intervention chirurgicale en février 2024.
Elle rappelle la présomption d’imputabilité de l’article 9 de la loi du 10 avril 1971, celle-ci ne pouvant être écartée que si, selon la conviction du juge, il est exclu avec le plus haut degré de vraisemblance médicale que les lésions ou leur aggravation sont la conséquence en tout ou en partie de l’événement soudain.
La victime ayant développé des ‘des orteils en griffe’, la cour constate qu’il s’agit bien de soins nécessités par l’accident sens de l’article 28 de la loi et que ces frais doivent être pris en charge.