Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 avril 2025, R.G. 2023/AB/668
Mis en ligne le jeudi 30 octobre 2025
Cour du travail de Bruxelles, 7 avril 2025, R.G. 2023/AB/668
Terra Laboris
Résumé introductif
Dès lors que Fedris entend contester la reconnaissance d’une maladie professionnelle au motif d’une erreur, il lui appartient de prendre une décision en ce sens, décision limitée dans le temps et justifiant l’erreur invoquée .
Cette demande ne peut intervenir, à défaut de décision administrative, dans le cadre d’une procédure en aggravation introduite par la victime, l’objet de celle-ci étant de faire apprécier si une incapacité travail résultant de la maladie professionnelle reconnue s’est aggravée ou non.
La contestation tardive d’un rapport d’expertise constitue un manque de loyauté procédurale.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Un ancien mineur ayant travaillé dans une mine de charbon de 1964 à 1980 a été atteint d’une silicose, étant une maladie professionnelle de la liste, appartenant à celles provoquées par l’inhalation de substances et agents non compris sous d’autres positions. (code 1.301.11).
Il s’agissait initialement d’une atteinte au stade P1, étant le premier stade à partir duquel il pouvait être indemnisé.
Il a ainsi perçu, depuis le 30 novembre 1982, une indemnité correspondant à un taux d’incapacité permanente partielle de 3 % (soit 2 % d’invalidité et 1 % pour les facteurs socio-économiques).
À partir de décembre 2015, il a connu plusieurs périodes d’hospitalisation, et ce pour des problèmes de poumons.
Il a introduit une demande de révision le 23 février 2017, pour aggravation.
Le document médical à l’appui faisait état d’une anthracosilicose.
Deux décisions ont été prises par FEDRIS, l’une reconnaissant son droit au remboursement des soins de santé ainsi qu’à une indemnité pour incapacité de travail permanente d’un taux inchangé (3 %), l’indemnité annuelle restant fixée à 273,59 € et l’autre rejetant une demande d’assistance de tiers.
Fedris a pris ces décisions sur pièces, sans examiner l’intéressé.
La conclusion médico–administrative confirme l’exposition au risque et propose de garder les 2 % d’IPP (incapacité physique), les soins de santé (accrus) en rapport avec la maladie professionnelle étant octroyée depuis le 23 janvier 2017.
Rétroactes de la procédure
Un recours est introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, estimant qu’il y avait aggravation justifiant une révision du taux d’IPP.
Par jugement du 18 juin 2019, le tribunal a désigné un médecin expert.
Il a été procédé à l’examen clinique de l’intéressé lors de la première séance d’expertise.
Celui-ci est ensuite décédé.
Son épouse a repris l’instance.
L’expert a déposé son rapport le 26 mai 2021.
Dans celui-ci, il conclut qu’à la date de l’aggravation, étant le 16 février 2017, le taux d’incapacité physique est de 45 % et doit être porté à 55 % en mars 2019 (instauration d’un traitement à l’oxygénothérapie).
Par jugement du 9 mai 2023, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a retenu 46 % d’IPP à partir du 16 février 2017 et 56 % à partir du 1er mars 2019 (ajoutant ainsi aux taux proposés par l’expert 1 % pour les facteurs socio-économiques).
La demande relative à l’aide de tiers a été rejetée.
Fedris interjette appel.
L’Agence plaide essentiellement devant la cour d’une part que la reconnaissance de la maladie est le fruit d’une erreur et qu’il y a lieu de supprimer toute indemnisation et d’autre part que, s’il y a aggravation, celle-ci est étrangère à la maladie professionnelle. Elle communique un rapport de son propre médecin-conseil rédigé après la clôture de l’expertise médicale judiciaire.
La décision de la cour
La cour reprend deux corps de règles, le premier relatif à l’indemnisation de l’incapacité permanente et le second concernant l’expertise.
Les lois coordonnées sur les maladies professionnelles du 3 juin 1970 contiennent un article 35 dont l’alinéa trois règle le droit à l’allocation en cas d’aggravation de l’incapacité permanente.
Il dispose que celle-ci ne peut prendre cours au plus tôt que 60 jours avant la date de la demande en révision ou avant celle de l’examen médical lors duquel l’aggravation été constatée à la suite d’une révision d’office opérée par Fedris.
La cour reprend ensuite les articles 17 et 18 de la Charte de l’assuré social relatifs aux effets de la révision intervenue suite à une erreur de droit ou matérielle dans une précédente décision.
Dans le secteur des maladies professionnelles, l’arrêté royal du 26 septembre 1996 déterminant la manière dont sont introduites et instruites par Fedris les demandes de réparation et de révision des indemnités acquises vise précisément son article 14 la question de la demande de révision (ou de révision d’office) dans l’hypothèse où une décision est prise par Fedris entraînant la diminution des indemnités.
Quant aux règles relatives à l’expertise, la cour renvoie aux articles 962, 972 bis et 976 du Code judiciaire notamment.
Est également repris l’important arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2023 (Cass, 22 juin 2023, C.22.0411.F), qui a considéré que le juge peut écarter d’office des débats les observations formulées par les parties après l’expiration du délai fixé par l’expert pour répondre à son avis provisoire.
Elle rappelle également que l’idée du législateur de 2007 (s’agissant de la loi du 15 mai 2007 modifiant le Code judiciaire en matière d’expertise) est qu’il appartient au juge d’apprécier s’il existe une raison acceptable pour déposer tardivement les pièces ou si l’objectif est de retarder la procédure et qu’il statue sur la bonne foi des parties.
En l’espèce, la cour constate que la position de Fedris est de considérer que c’est par erreur qu’elle a reconnu une maladie professionnelle et qu’elle entend désormais en contester l’existence.
Elle rappelle à cet égard que l’Agence (Fonds des maladies professionnelles à l’époque) a reconnu en 1982 que le travailleur était atteint d’une maladie professionnelle de la liste, ce qui a été confirmé le 21 août 2017 et que Fedris n’a pris ni notifié aucune décision depuis lors, visant à rectifier une prétendue erreur quant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle et à remettre celle-ci en cause.
Or, la Charte de l’assuré social lui permettait, vu le texte de son article 18, de prendre une nouvelle décision jusqu’à la clôture des débats.
La cour recadre dès lors la discussion : tant la demande introduite auprès de Fedris (demande en révision fondée sur une aggravation) que l’action en révision devant le tribunal ont un objet bien déterminé, étant de faire apprécier si l’incapacité de travail résultant de la maladie professionnelle reconnue s’est aggravée ou non.
Fedris ne peut dès lors pas dans le cadre de celle-ci remettre en question l’existence de la maladie professionnelle reconnue jusque-là (et l’arrêt de renvoyer à B. GRAULICH, « La révision, la récupération d’indu et la prescription », in Regards croisés sur la sécurité sociale, C.U.P., 2012, p. 68).
Pour la cour, si Fedris considère avoir reconnu une maladie professionnelle par erreur et qu’elle entend désormais en contester l’existence, elle était tenue de prendre une nouvelle décision avec des effets limités dans le temps et de prouver son erreur (12e feuillet).
La cour note encore que ce revirement est intervenu après que l’expert judiciaire a émis un avis provisoire mentionnant qu’il envisageait de reconnaître un taux d’incapacité de 45 et de 55 % et précise encore qu’indépendamment de la reconnaissance de la maladie à deux reprises, les constatations de l’expert confirment l’atteinte par la silicose.
Enfin, Fedris déposant un avis médical de son médecin-conseil, la cour considère celui-ci comme tardif, ne permettant pas de remettre en cause les conclusions de l’expert.
L’arrêt fait également état d’un « manque de loyauté procédurale », puisque cette argumentation (qualifiée de tardive) a été émise après le dépôt du rapport provisoire et du rapport définitif et que Fedris n’a pas demandé la tenue d’une nouvelle réunion d’expertise.
La cour rejette dès lors son argumentation selon laquelle l’apparition d’un BPCO et d’un emphysème serait tout à fait étrangère à la silicose.
Elle rejette dès lors l’appel.