Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 décembre 2024, R.G. 2023/AB/627
Mis en ligne le mercredi 5 novembre 2025
C. trav. Bruxelles, 13 décembre 2024, R.G. 2023/AB/627
Résumé introductif
La seule condition requise pour l’exercice de la solidarité de la personne morale pour les dettes de l’associé ou du mandataire est que les cotisations sociales relatives à une période donnée restent impayées.
Si la solidarité est limitée à cette période, elle porte cependant sur l’ensemble des cotisations de l’associé ou du mandataire et non uniquement sur celles afférentes aux mandats exercés pour le compte de la société elle-même.
Sur le plan formel, la récupération par voie de contrainte doit être précédée d’un dernier rappel par lettre recommandée à la poste visant les sommes sur lesquelles portera le recouvrement, ce rappel pouvant être fait par l’intermédiaire d’un huissier de justice et devant à peine de nullité contenir certaines mentions. L’envoi recommandé est également exigé en cas de rappel fait par voie d’huissier
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une SRL (A) a été constituée en 2018 par trois personnes, qui ont toutes trois été nommées gérants.
L’un de ceux-ci, assujetti au statut social des travailleurs indépendants, est également gérant et associé actif d’une autre société (B), cumul qu’il exercera jusqu’au 15 novembre 2019.
Il démissionne de la SRL (A) en juillet 2020, de même qu’un autre gérant–fondateur.
L’ensemble des parts reviennent ainsi au troisième mandataire.
La caisse d’assurances sociales réclame un solde de cotisations à l’intéressé pour quatre trimestres (2018/4, 2019/2, 2019/3 et 2019/4), pour un montant de l’ordre de 3.000 € hors majorations et intérêts.
Vu l’inertie du débiteur, une procédure de recouvrement est entamée et celle-ci vise également la SRL (A), débiteur solidaire en vertu de l’article 15, § 1er, de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967.
Une contrainte est délivrée et opposition à celle-ci est faite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, demandant l’annulation de celle-ci et la levée de la solidarité.
La décision du tribunal
Le tribunal fait droit à l’opposition à contrainte.
Celle-ci est déclarée irrégulière et est annulée. Les frais sont mis à charge de la caisse.
Il accueille également la demande de levée de la solidarité pour toute la période.
La caisse interjette appel.
La décision de la cour
Statuant d’abord sur la validité de la contrainte, la cour en rappelle le formalisme légal, étant les dispositions de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 portant règlement général en exécution de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants.
Les dispositions qui en fixent les conditions de validité sont les articles 46 et 47 bis.
La cour fait sienne la jurisprudence en la matière, étant que celle-ci doit être précédée d’un dernier rappel par lettre recommandée à la poste visant les sommes sur lesquelles portera le recouvrement, ce rappel pouvant être fait par l’intermédiaire d’un huissier de justice et devant à peine de nullité contenir certaines mentions.
Pour la cour, cette procédure forme un tout équilibré (avec renvoi à un arrêt de la même cour du 11 mars 2011 – R.G. 2010/AB/91).
Elle rappelle que la formalité du recommandé doit être respectée si ce rappel est envoyé par huissier, l’ensemble de ces garanties étant indissociables.
En l’espèce, seule est déposée la copie d’une sommation mais la preuve de l’envoi recommandé ne figure pas.
La cour constate dès lors que le rappel est nul et que la contrainte n’est dès lors pas régulière.
Cette nullité n’affecte cependant pas le droit de la caisse de poursuivre le recouvrement des cotisations par la voie judiciaire.
Elle en vient dès lors à la demande de la caisse relative au paiement des cotisations.
Elle rappelle que les personnes morales sont tenues solidairement au paiement des cotisations dues par leurs associés ou mandataires (article 15, § 1er, alinéa 3, de l’arrêté royal n° 38).
La seule condition requise pour l’exercice de cette solidarité pour les dettes du mandataire est qu’il ait exercé un mandat dans la société pendant une période donnée et que les cotisations relatives à celle-ci restent impayées.
Si la solidarité est limitée à cette période, elle porte cependant sur l’ensemble des cotisations de l’associé ou du mandataire et non uniquement sur celles afférentes aux mandats exercés pour le compte de la société elle-même (renvoyant notamment à la doctrine de J.-Fr. NEVEN, L.DEAR et S. GILSON, « Le statut social du dirigeant d’entreprise », Le statut du dirigeant d’entreprise, Y. De Cordt (dir.), Larcier, 2009, page 442).
Elle rappelle également l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 6 mars 2014 (n° 41/2014), qui a souligné que l’objectif est de garantir le recouvrement des cotisations sociales afin d’assurer l’équilibre financier du régime en cause, raison pour laquelle la solidarité concerne toutes les cotisations dont l’associé ou le mandataire serait redevable.
La Cour constitutionnelle cite quant à elle l’enseignement de la Cour de cassation (Cass., 6 juin 1988, Pas., 1988,I, page 1191), selon lequel la solidarité oblige les personnes morales à la même dette que leurs associés ou mandataires.
Cette solidarité n’est dès lors pas disproportionnée, étant limitée à la durée du mandat et la personne morale pouvant exercer d’autres recours contre le débiteur défaillant.
Il ressort en l’espèce que le solde de cotisations n’est pas contesté.
Même si l’intéressé n’a pas exercé effectivement de mandat dans la SRL (A), ceci ne signifie pas qu’il ne devait pas être assujetti au statut social vu l’exercice réel d’un mandat dans la société (B).
Il y a dès lors présomption d’assujettissement et l’absence d’exercice du mandat dans la société (A) n’est pas prouvée non plus que l’absence d’activité de cette dernière.
La cour rappelle que le mandat de gérant présente un caractère de permanence et de généralité et qu’il constitue une activité professionnelle en soi.
Elle relève encore que la SRL (A) n’est pas radiée auprès de la BCE et n’a pas demandé l’exonération de la cotisation à charge des sociétés en raison d’une non activité.
La cour fait dès lors droit à la demande de la caisse.