Terralaboris asbl

Stress professionnel et événement soudain

Commentaire de C. trav. Brux., 24 avril 2006, R.G. 45.759

Mis en ligne le vendredi 13 juin 2008


Cour du Travail de Bruxelles, 24 avril 2006, R.G. 45.759

TERRA LABORIS asbl – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 24 avril 2006, la cour du travail de Bruxelles a admis, comme le tribunal du travail avant elle, qu’une personne atteinte subitement d’une hémorragie cérébrale qui se trouve depuis quelques jours dans un contexte de grand stress professionnel, est victime d’un accident du travail.

Les faits

Une employée, au service de la C.I.S.L., occupant des fonctions importantes, en tant que coordinatrice sur le plan international, devait se rendre le 1er et le 2 novembre 2001 en Bulgarie, pour assister à une manifestation en vue de défense du droit du travail organisée par les syndicats bulgares, manifestation où elle devait prendre la parole et avoir des contacts diplomatiques avec les responsables du gouvernement. A la fin du deuxième jour, elle regagna la Belgique en début de soirée et retourna à son bureau pour travailler. Le samedi 3 novembre, elle repassa par son bureau et se rendit à Zaventem, afin de prendre un avion à 10 heures du matin, direction Sarajevo (Bosnie Herzégovine) afin d’y organiser une conférence devant se tenir les 5 et 6 novembre – le retour étant prévu le 7.

Lorsqu’elle arriva à destination le 3 novembre, elle s’occupa des préparatifs de la conférence et travailla toute la journée, activité qu’elle poursuivit le lendemain à partir de 8 heures 30, jusqu’au moment où, ne se sentant pas bien, l’intéressée eut des troubles de concentration et n’arrivait plus à parler. Rentrée à l’hôtel où la conférence devait se tenir, l’intéressée dut faire appeler un médecin d’urgence et elle fut emmenée à l’hôpital, où elle fut prise en charge dans le service des urgences. Une hémorragie cérébrale avec apoplexie fut diagnostiquée, entraînant une paralysie de la moitié droite du corps.

L’employeur étant immédiatement averti, une déclaration d’accident du travail fut rentrée et l’accident fut contesté par l’entreprise d’assurances.

La décision du tribunal

Le tribunal déclare l’action recevable et désigna un expert afin de déterminer les périodes d’incapacité temporaire, ainsi que le taux d’incapacité permanente découlant de l’accident du travail du 4 novembre 2001.

La position des parties en appel

L’entreprise d’assurances fait grief au premier juge de ne pas avoir examiné de manière approfondie la question de l’existence d’un accident du travail et d’avoir d’emblée ordonné la désignation d’un expert

L’intéressée sollicite la confirmation du jugement.

La décision de la cour

En préambule, la cour relève que, dans sa citation, l’intéressée a visé le fait qu’elle avait été victime d’une hémorragie cérébrale à un moment où elle était en mission pour compte de son employeur à Sarajevo, hémorragie due à un surcroît de travail. La citation visait également les événements des 1er et 2 novembre à Sofia. L’agenda chargé ainsi que la situation de stress font partie des éléments de fait décrits à l’appui de la reconnaissance de l’événement soudain.

Quant à la preuve de celui-ci, elle peut être apportée par tous moyens de droits, témoins y compris, ainsi que par des présomptions, graves précises et concordantes dans l’appréciation desquelles le juge du fait a un pouvoir souverain. Elle rappelle en outre que ce pouvoir souverain s’étend aux moyens d’instruction que le juge décide. Dès lors, par conséquent, qu’il sollicite, en cours d’instance, des éléments de preuve particuliers, ceci fait partie de son pouvoir d’appréciation. En outre, si une contestation s’élève devant la cour, de manière beaucoup plus circonstanciée que devant le premier juge, des moyens de preuve peuvent être constitués à ce moment.

Sur la question de l’existence d’un accident du travail, la cour rappelle le mécanisme légal, étant que la victime doit établir trois choses :

1. un événement soudain
2. survenu pendant l’exécution du contrat de travail
3. une lésion.

Une fois ces éléments constitutifs établis, la loi présume, de manière réfragable

1. que la lésion est causée par l’accident,
2. que celui qui survient pendant l’exécution du contrat de travail est dû à celle-ci.

La cour poursuit en précisant que :

1. la victime ne doit donc pas prouver que l’événement soudain a provoqué la lésion, puisque la Cour de Cassation considère qu’est admis l’événement soudain de nature à causer celle-ci ;
2. l’événement soudain peut être défini comme tout élément particulier, clairement identifiable, qui se situe dans le temps et dans l’espace et qui survient pendant l’exécution du contrat de travail dans lequel se trouve éventuellement la cause du fait qui a pu provoquer la lésion ;
3. l’événement soudain ne se confond pas avec la survenance soudaine d’une lésion ou d’une douleur ;
4. l’exercice de la tâche habituelle et normale journalière peut constituer un tel événement soudain, pour autant que dans cet exercice un élément soit épinglé, qui a pu causer la lésion. Il n’est pas exigé par la loi que cet élément se distingue de l’exécution du contrat de travail. Depuis l’arrêt de la Cour de Cassation du 26 mai 1967, l’événement soudain ne doit pas avoir un caractère anormal, ce critère étant abandonné. La victime ne doit dès lors pas établir de circonstances particulières, ou un événement ou un fait particulier qui l’aurait obligée à faire un mouvement ou à poser un acte qui ne ferait pas partie de sa tâche journalière normale. La référence à l’exercice d’un mouvement quotidien ou banal est sans intérêt, puisque, selon la Cour de Cassation toujours (arrêt du 20 octobre 1986), un fait banal peut constituer un événement soudain.

Dans le cas qui lui est soumis, la cour relève qu’il existe un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes qui apporte la preuve de l’événement soudain, et ce, par l’ensemble des déclarations des collègues sur place ainsi que d’autres éléments du dossier, prouvant les déplacements, le planning, les responsabilités de l’intéressée, etc.

La cour relève que l’ensemble des circonstances de fait exposées ci-dessus a causé une surcharge nerveuse considérable, à laquelle il faut associer des efforts physiques importants et une situation d’énervement, le 4 novembre étant le dernier jour pour la préparation de la conférence pour laquelle l’intéressée portait la responsabilité de l’organisation, dans un contexte politique très tendu. C’est ceci qui, aux environs de 19 heures, a constitué l’événement soudain à la suite duquel la pression sanguine a augmenté de manière anormale et qui a pu causer l’hémorragie cérébrale, même si ce travail constituait la tâche habituelle et normale de l’intéressée.

Enfin, l’on ne peut tirer aucune conséquence du fait que les déclarations (deux) d’accident du travail sont imprécises sur cette question, l’employeur ayant été prévenu téléphoniquement et l’intéressée étant hospitalisée.

Il en va de même des déclarations qui ont pu être faites à l’inspecteur de la compagnie, immédiatement après la sortie de l’hôpital. En cas de contestation d’un accident du travail, c’est la citation introductive d’instance qui compte, dans la description de l’événement soudain.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est d’examiner une situation de stress professionnel, qui s’est prolongée, au moins pendant trois jours et dont l’aboutissement permet, en épinglant les derniers faits qui ont entretenu celui-ci, de définir l’événement soudain qui a pu causer la lésion. Cette jurisprudence s’inscrit dans le droit fil de la Cour de Cassation.

Par ailleurs, l’arrêt est intéressant en ce qu’il considère que c’est dès que survient une contestation – et même en degré d’appel – que les éléments de preuve plus circonstanciés peuvent être réunis, ainsi, des déclarations de témoins sont recevables, dans de telles circonstances.


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