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Les conséquences d’une opération inopportune – mais réalisée dans le décours du suivi médical de l’accident du travail – font partie du dommage réparable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 mars 2008, R.G. 47.069

Mis en ligne le mercredi 30 juillet 2008


Cour du travail de Bruxelles, 17 mars 2008, R.G. 47.069

TERRA LABORIS ASBL – P. Hubain

Dans un arrêt du 17 mars 2008, la Cour du travail de Bruxelles estime que les conséquences d’une intervention chirurgicale doivent être prises en compte dans l’évaluation du dommage subi suite à l’accident, même si l’utilité de opération au regard des séquelles de celui-ci n’est pas reconnue. Dès lors que l’opération a été réalisée en raison de l’accident, il y a un lien causal entre ses conséquences et l’accident.

Les faits

Monsieur C. est victime d’un accident du travail en date du 3 janvier 1998 : il fait une chute dans des escaliers et se reçoit sur ses deux genoux. Il consulte aux urgences le jour même et l’on constate une contusion des genoux.

Début février, l’intéressé est adressé à un orthopédiste, le Dr S., qui fait pratiquer une RMN du genou gauche et, en fonction, préconise une intervention chirurgicale. A ce moment, il est fait état d’un état antérieur (patella baja). Il demande et obtient l’accord du médecin-conseil de l’entreprise d’assurances.

En octobre, Monsieur C. subit une seconde opération, destinée à enlever les vis. A ce moment, est constaté un épaississement du tendon rotulien. L’état du genou ne s’améliorant pas, il présente des troubles dépressifs.

En mars 1999, constant la persistance des problèmes au niveau du genou, le médecin conseil de l’entreprise d’assurances adresse Monsieur C. à un orthopédiste, qui estime que l’indication opératoire ne se justifiait pas et que l’accident n’a entraîné qu’une contusion. Les séquelles constatées au niveau orthopédique sont des conséquences de l’opération.

L’entreprise d’assurances, qui avait pris en charge les différents traitements et indemnisé Monsieur C. pendant la période d’incapacité temporaire, arrête alors ses paiements et notifie sa décision de consolider, reconnaissant une incapacité permanente de 2%.

Contestant cette décision, Monsieur C. saisit le Tribunal du travail, qui désigne un médecin expert. Estimant que l’opération n’était pas liée, sur le plan strictement médical à l’accident mais que celui-ci l’a généré, dans le décours du suivi, l’expert suspend ses travaux, afin que le Tribunal tranche la contestation d’ordre juridique quant aux séquelles indemnisables.

La décision du tribunal

Le Tribunal estime que l’expert doit poursuivre sa mission sans tenir compte des opérations et de leurs conséquences directes ou indirectes. Il estime en effet qu’il ressort de l’expertise que l’accident n’a engendré aucune lésion qui aurait pu conduire à opérer, de sorte que les opérations et leurs conséquences ne sont pas en lien causal avec l’accident.

La décision de la Cour

La Cour retient tout d’abord que, sans l’accident, l’opération n’aurait pas été réalisée et les suites inexistantes. Les lésions en découlant sont dès lors en relation causale avec l’accident.

La Cour se fonde sur les éléments suivants :

  • La demande d’autorisation d’opérer et l’autorisation donnée par le médecin-conseil. La Cour rappelle à cet égard que, parmi les obligations pesant sur la victime, existe celle de demander l’autorisation du médecin-conseil. Elle considère que l’accord du médecin conseil constitue à tout le moins une indication de l’intérêt de l’intervention en vue de diminuer l’incapacité de travail résultant de l’accident ;
  • Le fait que l’intervention a été présentée comme une solution aux plaintes douloureuses s’étant manifestées à la suite de l’accident, ce que l’expert judiciaire a lui-même souligné ;
  • Le fait que, sans nier l’existence d’un état antérieur, le chirurgien traitant ait indiqué que, sans l’accident, « le genou serait resté dans la quiétude ».

La Cour considère ensuite que, vu les données de l’espèce, l’enseignement dégagé par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 avril 1998 s’applique : dès lors que l’opération a été présentée à la victime comme une conséquence nécessaire de l’accident, il y lien causal, et ce même si la causalité médicale fait défaut. La Cour souligne que cet arrêt s’inscrit d’une manière cohérente dans la jurisprudence de la Cour de cassation sur le lien causal, envisagé au regard de la théorie de l’équivalence des conditions.

La Cour rappelle ainsi que, pour fixer les incapacités, il faut tenir compte de toutes les lésions présentées par la victime, dès lors qu’elles ne seraient pas présentées de la même façon sans l’accident.

Puisque l’opération a été réalisée en raison de l’accident, la Cour réforme le jugement et ordonne à l’expert de poursuivre sa mission en tenant compte des interventions et de leurs conséquences – directes et indirectes – sur l’état de Monsieur C.

Intérêt de la décision

La décision rendue est une décision de principe, concernant un cas d’espèce bien particulier : l’accident n’a pas engendré de séquelles justifiant l’intervention (absence de causalité purement médicale) mais c’est en raison de l’accident (et manifestement d’une erreur de diagnostic) que l’opération a été réalisée. Elle a en effet été présentée à la victime comme une solution aux plaintes manifestées depuis l’accident. En l’espèce, le fait que le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances ait accepté l’opération renforce encore le lien causal.

Puisque l’opération a été réalisée en raison de l’accident, les lésions présentées au moment de l’expertise (découlant directement ou indirectement de l’opération) ne seraient pas survenues de la même manière et dans la même mesure si l’accident n’avait pas eu lieu. Il y a donc bien lien causal au sens juridique.


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