Terralaboris asbl

L’événement soudain ne doit pas nécessairement être un fait instantané

Commentaire de Cass., 28 avril 2008, n° S.07.0079.N

Mis en ligne le mardi 9 septembre 2008


Cour de Cassation, 3e Chambre, 28 avril 2008, n° S.07.0079.N

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 28 avril 2008, la Cour de cassation a rappelé sa jurisprudence constante en ce qui concerne la notion d’événement soudain. Elle a en outre précisé la condition d’instantanéité.

Les faits

Un travailleur manuel avait dû, pendant plusieurs heures, travailler dans une position inconfortable. Occupé à lier des fers à béton, il était resté pendant une durée de cinq heures accroupi dans un espace confiné. Il portait des chaussures de sécurité. Il présenta, ultérieurement, des lésions de surcharge, étant un phlegmon, un oedème, une phlébite et une tendinite.

Les décisions de fond

Le tribunal du travail de Bruges, ainsi que la cour de travail de Gand en appel, avaient admis l’existence de l’accident du travail. Selon la cour du travail, les circonstances de fait relatives à l’exécution du travail constituaient un événement soudain, et ce sur la base de divers arrêts de la Cour de cassation (le premier remontant au 11 janvier 1982, Arr. Cass., 1981-82, p. 601). Dès lors que le travailleur épingle un événement soudain, qui peut être situé dans le temps et dans l’espace, les conditions légales sont respectées. En l’espèce, il avait pointé le fait de monter pendant cinq heures des fers à béton, dans une position inconfortable et décrite ci-dessus. Pour la cour du travail, cet élément, survenu dans l’exécution de la tâche journalière, peut constituer l’événement soudain requis.

L’entreprise d’assurances ayant fait valoir qu’il s’agissait de lésions ayant évolué progressivement, étant à la fois la conséquence d’une irritation chronique et de symptômes d’inflammation (phlébite et tendinite), la cour conclut que, dans la mesure où ces lésions sont la conséquence de l’événement soudain, leur nature elle-même n’empêche pas que l’on puisse se trouver en présence d’un accident du travail. La désignation d’un expert médecin pourrait permettre d’apporter la preuve contraire, en ce qui concerne le lien de causalité entre l’activité exercée et les lésions en cause.

Le pourvoi

Le pourvoi se fonde sur la violation des articles 7, 1er alinéa et 9 de la loi du 10 avril 1971.

L’entreprise d’assurances fait valoir en premier lieu qu’un des éléments constitutifs de l’événement soudain est l’instantanéité. Une durée de cinq heures ne peut en aucune manière être considérée comme un élément soudain. Accepter celui-ci enlèverait toute signification à ce qualificatif, élément de la définition. Pour l’entreprise d’assurances, la décision de la cour du travail de Gand n’est dès lors pas conforme au mécanisme légal.

Elle se fonde également sur la nature même des lésions et considère que la cour du travail a retenu non seulement un fait qui s’est déroulé sur cinq heures de temps mais également des lésions qui sont apparues, de manière évolutive, pendant ce laps de temps. Sur la base du rapport médical du médecin consulté par le travailleur, qui avait identifié les lésions comme étant dues à un frottement anormal dans des chaussures de sécurité dans un endroit confiné, l’entreprise d’assurances relève qu’il ressort de ces constatations, reprises par la Cour elle-même que l’on est en présence, d’une part de la conséquence d’une irritation chronique et, d’autre part, de symptômes d’inflammation (phlébite et tendinite). Ces deux caractéristiques des lésions, dues à une position inconfortable dans laquelle le travailleur a presté pendant cinq heures, ne peuvent constituer les conditions exigées par les articles 7 et 9 de la loi.

La décision de la Cour de cassation

Sur la première branche du moyen, la Cour rappelle que l’événement soudain doit être un fait épinglable dans le temps, d’une durée relativement courte. Il appartient au juge du fond de déterminer si la durée d’un tel événement dépasse ce qui peut être admis pour constituer un événement soudain au sens de la loi. Pour la Cour suprême, une position inconfortable de longue durée qui, par surcharge, entraîne des lésions peut comme en l’espèce constituer l’événement soudain requis. Par conséquent, le juge d’appel, qui avait identifié les circonstances de l’exécution de la prestation de travail, pouvait décider que celles-ci constituaient ledit événement soudain. L’entreprise d’assurances ne peut donc faire valoir que les juges d’appel n’avaient pas la possibilité, légalement, de se prononcer sur l’existence d’un événement soudain dans cette hypothèse.

Sur la deuxième branche, la Cour précise que le juge du fond peut, dans sa décision, dissocier la nature de la lésion de la question de savoir si celle-ci pouvait être causée par l’événement soudain. La seule circonstance que cette lésion est apparue de manière évolutive pendant la durée d’un événement non instantané n’empêche pas que le juge peut considérer cet événement comme l’événement soudain requis au sens de l’article 9 de la loi. La seconde branche du moyen doit donc également être rejetée.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour suprême du 28 avril 2008 ne passera pas inaperçu. S’il confirme, en effet, la jurisprudence de fond en ce qui concerne la durée que peut avoir l’événement soudain, il est important en ce qu’il se prononce sur la nature de la lésion, dont il admet qu’elle doit être prise en compte même si elle s’est développée pendant la durée de l’événement soudain. A partir du moment où le juge du fond a admis qu’un fait déterminé, épinglé par le travailleur, peut constituer l’événement soudain au sens légal, la lésion qui en découle, même si elle est évolutive, doit être prise en compte.

L’arrêt a dès lors un double intérêt :

  • l’événement soudain ne doit pas être instantané mais, au contraire, il peut avoir une certaine durée, que va apprécier le juge du fond (eu égard aux critères dégagés par la Cour suprême elle-même : fait à épingler, se situant pendant l’exécution du contrat et ne devant pas se distinguer de l’exécution normale de la tâche journalière) ;
  • si, pendant ce laps de temps, des lésions sont apparues – en lien avec l’événement soudain – et se sont développées, elles doivent être prises en compte. Ce faisant, la Cour rappelle encore que c’est l’événement qui doit être soudain et non la lésion elle-même.

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