Terralaboris asbl

Un travailleur peut-il être reconnu incapable de travailler uniquement pour une activité salariée déterminée alors qu’il poursuit une autre activité indépendante ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 avril 2008, R.G. 49.535

Mis en ligne le vendredi 19 septembre 2008


Cour du travail de Bruxelles, 3 avril 2008, R.G. 49.535

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 3 avril 2008, la Cour du travail de Bruxelles décide que la poursuite par un travailleur salarié d’une autre activité indépendante à titre complémentaire ne le dispense pas de son obligation de demander au médecin conseil de sa mutuelle l’autorisation de poursuivre celle-ci lorsqu’il devient incapable d’exercer la première activité salariée

Les faits

Mme X travaille comme enseignante salariée (les lundi et vendredi) dans une université et également comme avocate stagiaire, indépendante à titre complémentaire (les mardi, mercredi et jeudi).

Le 12 mars 2004, elle déclare à son employeur une incapacité de travail qui est prolongée jusqu’au 14 mai 2004 avec maintien du paiement du salaire.

Le 3 mai 2004, elle envoie un certificat d’incapacité de travail à sa mutuelle, l’incapacité étant acceptée par le médecin conseil.

Par la suite, la mutuelle décide de ne pas reconnaître l’incapacité au motif que Mme X n’a pas cessé toute activité, ayant déclaré poursuivre son activité indépendante d’avocate.

Le 17 mai 2004, Mme X a repris le travail.

Elle demande au tribunal du travail d’annuler la décision du médecin conseil de la mutuelle datée du 25 juin 2004.

Par un jugement du 12 janvier 2007, le tribunal du travail déclare ce recours non fondé, considérant que Mme X ne pouvait être reconnue incapable de travailler au sens de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, sans l’accord préalable du médecin conseil de sa mutuelle de poursuivre son activité professionnelle indépendante.

La position des parties en appel

Mme X rappelle qu’elle n’a jamais prétendu être incapable de travailler les mardi, mercredi et jeudi, c’est-à-dire lorsqu’elle travaille comme indépendante.

En effet, son incapacité porte uniquement sur ses prestations de salariée pour l’université, l’incapacité étant la conséquence d’un harcèlement au travail.

Les certificats médicaux délivrés portent uniquement sur les lundi et vendredi et il n’est pas contesté que Mme X n’a effectué aucune prestation durant ces deux jours.

Selon Mme X, l’article 100, § 1er de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnité coordonnée le 14 juillet 1994 contiendrait une lacune et il appartiendrait au juge de combler celle-ci, la législation n’envisageant pas la poursuite d’une activité préexistante entre les périodes d’incapacité.

Mme X produit effectivement des certificats médicaux successifs, qui couvrent systématiquement une période de quatre jours (du vendredi au lundi suivant inclus).

Son médecin traitant estime que Mme X a été malade suite à une pathologie qui trouve son origine sur le lieu de travail à l’université, la rendant totalement et temporairement inapte à travailler spécifiquement sur ce lieu de travail.

Mme X considère qu’il est heurtant d’être sanctionné par le fait qu’elle a poursuivi, entre ses périodes d’incapacité, sa seconde activité de travailleur indépendant pour laquelle il n’est pas contesté qu’elle n’est pas atteinte d’une incapacité de travail alors que si elle n’avait exercé aucune autre activité, elle aurait bénéficié sans difficulté des prestations litigieuses. Elle invoque également une discrimination entre le travailleur qui exerce une seule activité, fut-elle un mi-temps et alors qu’il bénéficie, par ailleurs, d’allocations de chômage et le travailleur qui exerce deux activités lorsqu’il poursuit une activité complémentaire, fut ce en qualité d’indépendant. Elle demande à la Cour du travail de poser à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle.

Elle invoque enfin un enrichissement sans cause des organismes de sécurité sociale qui perçoivent les cotisations alors qu’ils sont déchargés de toute intervention.

La mutuelle fait valoir de son côté que l’article 100, §1er de la loi précitée oblige le travailleur à arrêter toute activité pour pouvoir être reconnu incapable de travailler.

Or, la notion d’activité couvre toute occupation orientée vers la production de biens et de services, permettant directement ou indirectement un profit économique, la poursuite de l’activité indépendante à titre complémentaire étant dès lors visée.

Pour la mutuelle, on peut difficilement envisager une incapacité « uniquement » pour les lundi et vendredi, la cessation d’activité ne jouant pas seulement pour les seuls jours durant lesquels le travail salarié est normalement exercé.

La position de la Cour du travail

La Cour du travail de Bruxelles rappelle tout d’abord que pour être incapable de travailler au sens de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, le travailleur doit avoir cessé toute activité en conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels dont il est reconnu qu’ils entraînent une réduction de sa capacité de gain d’au moins un tiers.

Par ailleurs, selon l’article 100, § 2 de la même loi, pour être reconnu incapable de travailler, le travailleur qui reprend un travail doit avoir été préalablement autorisé par le médecin conseil de la mutuelle et sur le plan médical, il doit conserver une réduction de sa capacité d’au moins 50 %.

Enfin, le travailleur qui effectue un travail sans autorisation préalable du médecin conseil, mais dont l’incapacité de gain est restée réduite d’au moins 50 % du point de vue médical, ne doit rembourser les indemnités qu’il a perçues que pour les jours où la période durant lesquels ou laquelle il a accompli ce travail sans autorisation. La règle est donc bien qu’en principe le titulaire doit faire une demande pour exercer une activité professionnelle au cours de l’incapacité, préalablement à toute reprise d’activité. Le médecin conseil doit en effet vérifier la nature, le volume et les conditions d’exercice de cette activité (article 230, § 2 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996).

Pour la Cour, en l’espèce, l’incapacité de travail dont Mme X est atteinte ne l’a pas empêchée de poursuivre son activité d’avocate. Mme X n’a donc pas cessé toute activité au sens de la législation et, de plus, a cumulé des indemnités avec des revenus de son activité indépendante. Par ailleurs, Mme X n’établit pas que sa capacité de gain est restée au réduite d’au moins 50 % du point de vue médical, ce qui aurait permis de limiter la récupération des indemnités éventuellement indûment payées.

La Cour considère aussi qu’il n’y a aucune lacune dans l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et que Mme X voudrait, en fait, introduire une nouvelle dérogation à la condition d’avoir cessé toute activité lorsqu’il s’agit de poursuivre une activité préexistante.

Or, la règle est bien la cessation de toute activité, comme condition de principe pour l’octroi d’indemnités d’incapacité de travail et les dérogations sont strictement énumérées avec des conditions à respecter. Aussi, la Cour rappelle-t-elle que le pouvoir judiciaire ne peut donc se substituer au pouvoir législatif en exerçant les compétences réservées à ce dernier et les juges ne peuvent pas se prononcer par voie de dispositions générales et règlementaires sur les causes qui leur sont soumises (article 6 du code judiciaire). Le juge ne peut donc pas se prévaloir sans plus du silence ou d’une lacune de la loi pour s’écarter de la règle imposée par le législateur.

Par contre, une lacune à la législation peut créer une discrimination et le juge doit donc vérifier si tel est le cas en l’espèce.

Par rapport aux catégories proposées par Mme X, la Cour du travail considère qu’il ne s’agit pas de catégories comparables (d’une part le travailleur qui exerce une activité en cumul avec ses allocations de chômage et d’autre part le travailleur qui exerce plusieurs activités et qui ne tombent en incapacité de travail que pour une de celles-ci).

Par ailleurs, la Cour considère que la thèse de Mme X repose sur une interprétation erronée des dispositions applicables. L’article 100 de la loi n’opère en effet pas de distinction entre d’une part le travailleur qui exerce une seule activité, qui tombe en incapacité de travail tout en souhaitant reprendre une activité partielle et d’autre part, le travailleur qui exerce plusieurs activités, qui tombe en incapacité et souhaite également poursuivre une activité partielle.

Dans les deux cas, pour pouvoir être indemnisé, le travailleur peut introduire une demande de dérogation à l’exigence d’avoir cessé toute activité. Dès lors, la possibilité pour un travailleur en incapacité de travail de poursuivre une activité partielle n’est pas exclue pour le travailleur qui exerce deux, voire plusieurs activités.

Enfin, la Cour considère qu’il n’y a pas d’enrichissement sans cause des organismes de sécurité sociale dans le cas d’espèce. Mme X cotise sur la base de son salaire et peut bénéficier des indemnités de sécurité sociale pour autant qu’elle réponde aux conditions fixées par la loi pour l’obtention de ses indemnités.

La Cour en conclut que Mme X n’ayant introduit aucune demande de dérogation et n’établissant pas qu’elle répondait au cours de la période litigieuse aux conditions d’indemnisation prévues par la législation, elle ne peut être reconnue incapable de travailler en sorte que c’est à bon droit que la mutuelle a pris la décision litigieuse.

L’intérêt de la décision

La condition de cessation de toute activité, pour être reconnu incapable de travailler au sens de l’article 100 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, ne prévoit aucune dérogation lorsqu’en réalité, le travailleur salarié poursuit parallèlement une autre activité pour laquelle son médecin considère qu’il n’est pas incapable de l’exercer. Les dérogations à la condition de cessation d’activité prévues dans la législation sont de stricte interprétation.

La situation eut été différente si l’assujetti social avait été victime de rechutes successives avec une interruption entre chaque incapacité de travail de moins de 14 jours. Dans ce cas, la législation prévoit qu’il est censé être resté en incapacité de travail sans discontinuer.

Tel n’était toutefois pas le cas en l’espèce, l’assujettie sociale voulant, en fait, isoler une incapacité pour une activité bien déterminée.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be