Terralaboris asbl

Déposer un sac de ciment (geste habituel pour la victime, plafonneur) constitue un événement soudain

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 avril 2008, R.G. 47.153

Mis en ligne le mercredi 5 novembre 2008


Cour du travail de Bruxelles, 14 avril 2008, R.G. 47.153

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 14 avril 2008, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le fait de déposer à deux un sac de 50 kilos constitue un événement soudain, même s’il s’agit d’un geste habituel pour le travailleur. La Cour examine également la preuve des faits et retient les déclarations concordantes de l’intéressé et de son patron (qui portait le sac avec lui), celles-ci étant confirmées par les éléments du dossier.

Les faits

Monsieur S., occupé comme plafonneur au sein d’une société, est victime d’un accident du travail en date du 19 novembre 2001 : il a ressenti une douleur en déposant un sac de ciment d’une cinquantaine de kilos, qu’il déchargeait d’une camionnette avec son patron. Il s’agissait du 6e ou 7e sac déchargé.

Il est emmené, par le patron, au CHU Saint-Pierre, où des radios sont effectuées et un traitement conservateur administré. Un rendez-vous est pris pour le 22 en chirurgie orthopédique.

La déclaration d’accident du travail, rédigée le 21 novembre, contient une erreur quant au lieu de survenance de l’accident, certaines rubriques faisant état de Liège et d’autres de Bruxelles (avec rature). Elle précise les faits comme suit : « en soulevant un sac, il s’est fait mal au dos ».

Le 22 novembre, Monsieur S. se présente à la consultation en ambulance. Une hernie est diagnostiquée et opérée en décembre 2001.

Après enquête, l’entreprise d’assurance refuse les faits, arguant qu’il n’y aurait pas d’événement soudain distinct de l’exercice normal du travail.

L’intéressé introduit en conséquence une procédure judiciaire.

La décision du tribunal

Le Tribunal déclare la demande non fondée, estimant que, vu les contradictions de la déclaration, la preuve de la survenance des faits dans le cours d’exécution du travail n’est pas rapportée. Le Tribunal se fonde également sur des discordances dans les déclarations quant à l’événement épinglé (soulever ou poser le sac), de même que sur l’absence de toute circonstance spéciale (poids du sac, faux mouvement).

La position des parties en appel

Devant la Cour du travail, l’entreprise d’assurances avance diverses arguments, sensé sétablir l’absence de preuve des faits. Elle invoque par ailleurs que le geste est un geste banal, qui ne se distingue en rien du cours normal des prestations de travail pour un plafonneur et ne présente aucune particularité, notamment au niveau du poids du sac.

La décision de la Cour

La Cour du travail examine tout d’abord la question de la preuve des faits allégués par la victime. Elle retient l’existence de déclarations concordantes de la victime et de son patron, déclarations corroborées par les éléments du dossier. Elle se fonde à cet égard sur la déclaration patronale d’accident du travail (retenue comme cohérente avec les autres déclarations, même si non précise quant au fait et quant au lieu de survenance), le fait que l’erreur dans le lieu de l’accident a été expliquée d’une manière plausible par l’employeur (erreur du fait de l’existence d’une filiale du même chantier à Liège), le certificat médical de 1er constat (attestant de la réalité de l’incapacité le jour même des faits) et les rapports médicaux (qui attestent de la lésion).

Quant à la qualification des faits, la Cour rappelle que la position de l’entreprise d’assurances est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation.

Pour la Cour du travail, le fait de déposer un sac de ciment est un événement soudain, même si la victime fournissait ce genre d’effort quotidiennement et qu’elle confirme qu’il n’y a pas eu de faux mouvement ou de glissade du corps de la victime ou du sac lui-même. La Cour précise que l’effort accompli (déplacer les sacs de ciment) a agressé l’organisme de la victime et constitue ainsi, nonobstant son caractère habituel, un élément précisé, distinct, épinglé dans le cours de l’exécution du contrat.

Intérêt de la décision

Cette décision présente un double intérêt, quant à la preuve de l’événement soudain et quant à la qualification.

Sur le plan probatoire, il est intéressant de constater que la Cour retient la déclaration patronale d’accident du travail comme un élément corroborant les déclarations de la victime, et ce malgré son caractère imprécis et incomplet. La déclaration étant laconique quant au fait accidentel, mais cohérente avec les déclarations de la victime, elle peut être complétée, précisée, d’autant qu’elle a été rédigée par un employé de l’entreprise qui n’a pas été témoin des faits.

Quant à la qualification des faits, il est fréquent que les entreprises d’assurances argumentent que le geste épinglé est fréquent, banal, insignifiant ou encore posé habituellement par le travailleur. Dans cette thèse, il faut, s’il s’agit d’un geste fréquent, normal, habituel de la profession de la victime, des circonstances particulières pour que l’événement puisse être considéré comme soudain. Dans cet arrêt du 14 avril 2008, la Cour du travail censure clairement cette position, d’ailleurs tout à fait contraire à la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Rappelons que celle-ci censure systématiquement les décisions de fond conditionnant la reconnaissance d’un événement soudain à l’existence de circonstances inhabituelles dans l’exécution du contrat de travail.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be