Terralaboris asbl

Petit rappel des règles en matière de prescription

Commentaire de C. trav. Mons, 20 mars 2008, R.G. 19.889

Mis en ligne le mercredi 5 novembre 2008


Cour du travail de Mons, 20 mars 2008, R.G. n° 19.889

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 20 mars 2008, la Cour du travail de Mons a statué, par arrêt en réouverture des débats ordonnée d’office, sur la prescription applicable à une récupération d’allocations familiales indues, pour la période du 1er juillet 1984 au 30 septembre 1988.

La position du litige

Le litige mû avec la Caisse d’allocations familiales fait suite à un désassujettissement par l’ONSS, suite à une enquête de son service inspection. D’autres décisions administratives dérivées intervinrent, notamment décisions de l’INAMI et de la mutuelle. Restait en cause la récupération d’allocations familiales dans le régime des travailleurs salariés pour la période considérée, soit du 1er juillet 1984 au 30 septembre 1988.

La position de la Cour du travail dans son arrêt du 19 juillet 2007

La Cour considéra, dans cet arrêt, que les éléments ci-dessus étaient des éléments de fait incontestables qui ne pouvaient être écartés, juridiquement. Elle posa également la question de la prescription, telle qu’organisée par l’article 120bis des lois coordonnées du 19 décembre 1939 sur les allocations familiales pour travailleurs salariés. La mouture de cet article, tel qu’applicable au litige, était que l’action en répétition des prestations de l’indu se prescrit par cinq ans à partir de la date à laquelle le paiement a été effectué, qu’outre les causes prévues au Code civil, cette prescription est interrompue par la réclamation des paiements indus notifiée au débiteur par lettre recommandée à la poste et que cet article n’est pas applicable en cas de manœuvres frauduleuses, déclarations fausses ou sciemment incomplètes.

En ce qui concerne les éléments de fait, la Cour constata l’absence d’actes de reconnaissance non équivoques émanant du débiteur (paiements, remboursements volontaires) de telle sorte que le premier acte interruptif était une lettre recommandée du 19 avril 1990.

Dans le cadre de l’examen de la prescription, la Cour se posa alors la question de savoir quelle conclusion dégager, vu une interruption à la date du 19 avril 1990 et le dépôt d’une requête le 13 décembre 1993. Elle considéra devoir examiner cette question au regard de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 janvier 2005 (C.A., 19 janvier 2005 – arrêt n° 13/2005) permettant le cas échéant d’appliquer un délai de prescription plus court, à savoir celui de l’article 30, § 1er, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, qui prévoit un délai de trois ans. En telle hypothèse, la prescription de l’action pourrait en effet exister.

En l’espèce, la Cour écarte l’hypothèse de manœuvres frauduleuses, de déclarations fausses ou sciemment incomplètes et relève que, au contraire, il y a eu erreur dans le chef de l’attributaire, qui s’était simplement méprise sur son statut « comme beaucoup d’assurés sociaux auraient pu le faire ». Même si les manœuvres frauduleuses ne sont pas définies dans la loi, celles-ci supposent, pour la Cour, conformément aux principes de droit commun, un agissement malhonnête, réalisé malicieusement en vue de tromper l’organisme assureur. Si l’on se tourne vers le principe général du droit « Fraus omnia corrumpit », la Cour relève que celui-ci suppose de même l’existence d’une fraude, laquelle implique une volonté malicieuse, une tromperie intentionnelle. En matière de sécurité sociale, ceci se traduit par le fait que l’assuré social doit avoir eu connaissance de ce que ses actes ou son abstention de déclaration avai(en)t pour conséquence de percevoir des prestations auxquelles il n’avait pas droit.

La Cour va, ensuite, considérer que l’on ne peut retenir le délai de cinq ans, vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle (Cour d’arbitrage à l’époque) et qu’il y a lieu de ramener ce délai à trois ans.

Elle souligne que le mécanisme de prescription est ici une matière d’ordre public et qu’il faut interpréter l’article 120bis de manière restrictive, c’est-à-dire de manière autonome sans renvoi aux dispositions du droit commun de la prescription du Code civil. Ceci, sauf si ce renvoi est expressément prévu et la Cour relève qu’il l’est pour l’application éventuelle des causes d’interruption du Code civil.

Or, en l’espèce, il n’y a aucune cause d’interruption correspondant à une des hypothèses prévues aux articles 2244 à 2250 du Code civil mais une cause de prescription qui correspond à ce que prévoit - exceptionnellement et précisément par dérogation au droit commun du Code civil – le texte même de l’article 120bis, à savoir un simple pli recommandé.

Sur les effets de l’interruption, la Cour rappelle que ceux-ci se limitent à la prise de cours d’un nouveau délai de prescription, de même durée que le premier. Trois exceptions existent ici, étant la novation, l’interruption d’une courte prescription (où la créance se prescrit, ensuite, par 30 ans) et une action « judicati ».

Rappelant l’enseignement du Professeur Hanotiau (Cours de droit réels, Vol. I, 3e Ed., 11e tirage 1988/1989, P.U.B., pp. 138 et s.), elle retient donc que le principe veut que la prescription peut être interrompue par une reconnaissance expresse ou tacite, à la condition qu’elle soit certaine et qui peut ne porter que sur le principe du droit.

Or, rien de tel n’a existé, en l’occurrence. Plus de trois années s’étant écoulées entre le courrier recommandé du 19 avril 1990 et le dépôt de la requête, il y a prescription pour le tout.

La Cour relève encore qu’il n’existe pas de principe général de droit selon lequel la prescription d’une action ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’exercer cette action par suite d’un empêchement de la loi (Cass., 30 juin 2006, RG n° C040573F) et que les causes de suspension du Code civil sont exclusivement à mettre en relation avec des exceptions légales, avec la condition de la personne contre laquelle on prescrit ou encore avec des créances dont la naissance naît d’une condition. Aucune de ces hypothèses n’est rencontrée en l’espèce.

Intérêt de la décision

Même si la Cour est amenée à statuer sur une période ancienne et que le texte légal a été modifié entre-temps, la décision rendue est importante, sur le rappel qu’elle contient des modes d’interruption de la prescription en matière d’allocations familiales ainsi que sur les effets de celle-ci.


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