Terralaboris asbl

Rappel des obligations de la Charte

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 avril 2008, R.G. 46.755

Mis en ligne le jeudi 6 novembre 2008


Cour du travail de Bruxelles, 30 avril 2008, R.G. n° 46.755

TERRA LABORIS Asbl – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 30 avril 2008, la Cour du travail de Bruxelles, saisie d’une question d’indexation de pension (OSSOM) d’une ressortissante de l’Union européenne, rappelle les conditions d’application des articles 17 et 19 de la Charte ainsi que le devoir d’initiative des institutions de sécurité sociale vis-à-vis des assurés sociaux.

Les faits

Une assurée sociale, de nationalité française, a épousé un belge en 1958. Le couple ayant vécu en Afrique, les cotisations sociales ont été payées dans le régime belge de sécurité sociale d’outre-mer.

Lors du décès de son mari, la demanderesse s’est alors présentée à l’OSSOM et, suite à plusieurs visites, elle signe un document intitulé « demande de pension de veuve ». Va alors surgir un problème d’identification de la résidence habituelle de l’intéressée, l’OSSOM concluant qu’elle n’est pas domiciliée en Belgique. L’Office lui adressera, alors, une décision en date du 8 août 1997, octroyant une pension de veuve d’un montant mensuel de l’ordre de 400€ calculée sur les cotisations sociales payées par son époux pendant sa durée d’occupation.

Cette pension n’est pas indexée, au motif que l’intéressée est ressortissante d’un Etat membre de l’Union européenne (de nationalité française) et qu’elle ne réside pas sur le territoire d’un de ces Etats. Cette décision ne fait pas l’objet d’un recours.

Après un bref séjour en Afrique, la demanderesse revient s’installer en France.
Après de nouveaux échanges d’informations administratives, le dossier révèle, en 2003, que la demanderesse y habite effectivement et qu’elle demande l’indexation de sa pension. Cette décision, relative à l’indexation, prend effet à partir du premier jour du mois suivant l’indication de la nouvelle adresse de la demanderesse.

Celle-ci va alors contester l’absence d’indexation pour le passé vu qu’elle a une incidence financière importante.

Devant le premier juge, l’OSSOM expose qu’il ne pouvait pas allouer l’indexation avec effet rétroactif parce que l’assurée sociale n’avait pas introduit de recours contre la première décision de 1997 et que, sur la base de l’article 19 de la Charte de l’assuré social, la nouvelle demande peut être déclarée fondée au vu d’éléments de preuve nouveaux, avec effet le premier jour du mois suivant celui au cours duquel la nouvelle demande a été introduite.

Position du premier juge

Le tribunal du travail a suivi la thèse de l’OSSOM et a débouté la demanderesse.

Position des parties en appel

L’OSSOM sollicite la confirmation du jugement pour les motifs que celui-ci a retenus et l’appelante demande sa réformation, afin d’obtenir la régularisation de ses droits à la pension (en ce compris le pécule de vacances) en tenant compte de l’indexation depuis le 19 juin 1997, date de la demande (soit la deuxième visite à l’OSSOM après le décès de son mari et date à laquelle le dossier a été ouvert).

Position de la Cour

Reprenant la législation applicable, la Cour relève qu’à l’époque où la demande a été introduite, l’indexation des pensions était applicable aux belges. Elle l’était également aux étrangers moyennant conditions, dont celle de résidence en Belgique ou bénéfice d’un accord de réciprocité. Seul le belge et l’étranger bénéficiant d’un tel accord recevaient dès lors l’indexation lorsqu’ils résidaient en dehors de l’Union européenne. La situation a été modifiée depuis le 1er juillet 2007, la différence de traitement entre belges et étrangers n’existant plus, à tout le moins à l’égard des ressortissants de l’Espace économique européen (loi du 20 juillet 2006, art. 231, M.B. 28 juillet 2006).

Vu cette situation, la Cour va devoir examiner les règles de la Charte de l’assuré social à l’hypothèse présente. Elle relève que la règle contenue dans l’article 17, alinéa 1er, étant l’obligation pour l’institution de sécurité sociale de prendre d’initiative une nouvelle décision en cas d’erreur de droit ou matérielle, prévoit que la nouvelle décision prise produit ses effets à la date à laquelle la décision rectifiée aurait dû prendre effet elle-même, et ce sans préjudice des dispositions légales et réglementaires en matière de prescription. Cette disposition doit être examinée conjointement avec l’article 19 de la Charte, étant qu’après une décision administrative concernant une demande d’octroi de prestations sociales, une nouvelle demande peut être introduite et ne peut être déclarée fondée qu’au vu d’éléments de preuve nouveaux qui n’avaient pas été soumis précédemment à l’institution de sécurité sociale. Cette nouvelle décision prendra effet le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel la nouvelle demande a été introduite.

Dès lors, si l’on veut conclure à l’application de l’article 17, il faut savoir si la décision initiale est entachée ou non d’une erreur de droit ou de fait.

En ce qui concerne l’erreur de droit, la Cour relève que, si elle existe, l’OSSOM devait procéder à la revision avec effet rétroactif, en application de cette disposition. Il ne s’agit en effet pas d’un « élément de preuve nouveau » au sens de l’article 19 de la Charte, qui ne trouve ainsi pas à s’appliquer. L’erreur de droit peut résider dans le fait que un traité de réciprocité en matière de pensions OSSOM (et notamment indexation) peut exister, question qui emporte d’en régler une autre, étant de savoir en particulier si les traités européens en matière de sécurité sociale constituent un tel traité.

En outre, si à l’époque des faits une différence de traitement existait et en particulier entre belges et ressortissants de l’Union européenne, ceci ne constitue-t-il pas une discrimination au sens des articles 10, 11 et 91 de la Constitution d’abord, des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne et à la citoyenneté européenne ensuite et enfin à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme combiné à l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention ?

La Cour cite ici une abondante doctrine relative à la légalité de la condition de résidence pour le paiement des prestations de sécurité sociale, ainsi que l’arrêt 8/99 du 28 janvier 1999 de la Cour constitutionnelle (arrêt fermement critiqué par certains auteurs) et les arrêts Gaygusuz, Koua Poirrez et Stec de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêts des 16 septembre 1996, 30 septembre 2003 et 6 juillet 2005 – 12 avril 2006, respectivement).

La Cour va rouvrir les débats, signalant également que, s’il y a éventualité de discrimination à l’égard de la Constitution, elle pourrait devoir interroger la Cour constitutionnelle.

En outre, elle aborde différents points du cas d’espèce, afin de tenter d’identifier déjà une erreur de fait, signalant que, si une telle erreur existait, l’OSSOM devait également procéder à la revision avec effet rétroactif, en application de l’article 17, alinéa 1er. Ceci ne constituerait, en effet, pas non plus un élément de preuve nouveau au sens de article 19.

Aussi, la réouverture des débats portera également sur cette question, la Cour insistant notamment sur les problèmes d’adresse, récurrents dans le dossier. Elle rappelle qu’il faut être d’autant plus prudent sur ces questions que l’adresse du pensionné étranger entraine des conséquences qu’elle qualifie d’extraordinaires (privation de l’indexation, c’est-à-dire en l’espèce de près de la moitié de la pension), qui pourraient être discriminatoires. L’OSSOM devait dès lors, pour la Cour, pouvoir être amené à interroger spécialement le pensionné sur son domicile sans se contenter d’une adresse postale ou de celle figurant sur un ancien document d’identité.

Intérêt de la décision

La décision de la Cour du travail de Bruxelles ci-dessus rappelle très utilement les principes de la Charte de l’assuré social, en matière d’effet rétroactif ou non d’une nouvelle décision prise par l’institution de sécurité sociale. En l’espèce, elle pose d’ores et déjà la question du devoir d’initiative d’une telle institution, et ce dans un cas où les conséquences de sa décision ont des effets déterminants sur le montant de la prestation de sécurité sociale.


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