Terralaboris asbl

Montant du minimum garanti de pension : y a-t-il lieu de globaliser la pension de retraite et la pension d’épouse divorcée afin d’en fixer le montant ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 avril 2008, R.G. 45.970

Mis en ligne le jeudi 6 novembre 2008


Cour du travail de Bruxelles, 16 avril 2008, R.G. n° 45.970

Terra Laboris Asbl – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 16 avril 2008, la Cour du travail de Bruxelles se penche sur la nature de la pension de conjoint divorcé au regard de la notion de pension de retraite à prendre en compte pour la détermination du minimum garanti de pension.

Les faits

Madame Q. est née en 1939. Son premier mari décéda en 1961. Elle bénéficia d’une pension de survie jusqu’au 1er juin 1971, pension dont le paiement fut arrêté du fait de son remariage. Elle divorça, ultérieurement, de son second époux. Elle introduisit une demande de pension de retraite en 1998, justifiant d’une carrière de 38/41es.

L’intéressée contesta une première décision de l’ONP lui octroyant une pension en vertu de laquelle l’ensemble des avantages lui accordés s’élevaient à un montant de l’ordre de 9.375€ par an.

Une seconde décision intervint (décision rectificative) ramenant ce montant à environ 7.810€ par an. Aucun recours ne fut introduit contre cette seconde décision.

Le recours contre la première décision de l’ONP étant particulièrement laconique (l’intéressée signalant qu’elle n’était « pas d’accord »), diverses contestations surgirent en cours de procédure.

Position du tribunal

Le tribunal a considéré n’être saisi que de la première décision, décision dont il confirma par ailleurs les termes. L’ONP ayant procédé à la réduction de la pension de survie de la requérante en application de l’article 52 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 (qui contient une règle de cumul entre une pension de survie en vertu du régime de pension de travailleur salarié et une ou plusieurs pensions de retraite ou tout autre avantage en tenant lieu à concurrence de 110% du montant de la pension de survie), le tribunal confirma la position de l’ONP en ce qui concerne la réduction.

Madame Q. interjeta appel de cette décision.

Position des parties en appel

Outre, la question de l’étendue de la saisine, Madame Q. souleva la question de la légalité de la décision pise par l’Office de globaliser la pension de retraite d’épouse divorcée et de la pension de retraite personnelle dont elle bénéficiait, et ce afin de fixer le minimum garanti. Pour elle, aucune disposition ne permet cette globalisation. Elle faisait valoir que ses droits s’étaient cristallisés en 1961 au moment du décès de son premier mari et qu’à cette époque il n’existait aucun cumul entre les pensions en cause. Celui-ci fut introduit par l’arrêté royal du 21 décembre 1967, dont l’intéressée rappelait qu’en vertu de son article 91, son entrée en vigueur intervient à partir du 1er novembre 1967, sans effet rétroactif.

Elle invoquait d’autres arguments, dont le principe du respect des droits acquis des bénéficiaires d’allocations sociales et celui de la sécurité juridique.

L’Office faisait quant à lui valoir que la seconde décision (contre laquelle aucun recours n’avait été introduit) est une décision rectificative, une erreur matérielle étant intervenue dans la première décision. L’Office soulignait que le résultat de cette erreur n’influait pas sur le montant octroyé et concluait au défaut d’intérêt de l’examen de la première décision (puisqu’il l’avait annulée) et à l’impossibilité pour la Cour de se prononcer sur la décision rectificative (faute de recours introduit devant le tribunal).

En ce qui concerne le fond, l’Office faisait valoir que le montant minimum garanti été fixé par la loi du 8 août 1980 relative aux propositions budgétaires 1979 – 1980 modifiée par la loi de redressement du 10 février 1981 relative aux pensions du secteur social et complétée par divers arrêtés royaux. L’ensemble de ces dispositions vise le montant de la « pension de retraite ». Par ce terme, il faut entendre la pension de retraite personnelle mais aussi la pension de retraite de conjoint divorcé, et l’Office de se référer à l’intitulé des textes applicables.

Pour lui, c’est donc bien le montant de la pension de retraite personnelle cumulée avec celui de la pension de retraite de conjoint divorcé qui constitue le montant de la pension de retraite et doit être élevé au montant du minimum garanti.

En ce qui concerne la question de la rétroactivité, ainsi que celle des droits acquis, il relevait que la pension de retraite de Madame Q. a pris cours le 1er février 1999 et qu’il avait appliqué les dispositions en vigueur à cette date. Il rappelait un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (18 mars 2004, R.G. n° 36.395) qui a rappelé que les décisions de l’ONP sont purement récognitives de droits en telle sorte qu’aucun droit n’est créé dans le chef du pensionné. L’Office ne faisait que « figer » les droits de celui-ci, la Cour de cassation ayant d’ailleurs précisé qu’un acte récognitif ne crée aucun droit subjectif dans le chef de l’intéressée et qu’il se borne à constater que celui-ci remplit certaines conditions et en tire les conséquences nécessaires. L’acte administratif n’attribue dès lors pas un avantage à l’intéressé et cet acte peut en tout temps être retiré.

L’avis du Ministère public

L’arrêt de la Cour reprend l’intégralité de l’avis du Ministère public, répondant aux quatre questions essentielles posées par le dossier.

En ce qui concerne la saisine, le Ministère public conclut à l’absence de saisine de la Cour sur la seconde décision et à la confirmation du jugement sur ce point.

Quant au montant minimum garanti de pension, il reprend l’historique du droit à la pension de retraite d’une femme (âge, carrière exigée) et conclut à ce que la fraction de carrière pour Madame Q. est de 38/41es. Ceci dépasse largement les 2/3 d’une carrière complète. Cette circonstance amène à ce que, en vertu de l’article 33 de la loi de redressement du 10 février 1991, l’on doive conclure que la pension de retraite ne peut être inférieure à un montant minimum. Pour le calcul de celui-ci, il n’est pas tenu compte (en vertu de l’arrêté royal d’exécution du 17 février 1981) de certaines périodes. Pour l’avocat général, Madame Q. n’a pas complètement tort d’affirmer que la pension d’épouse divorcée ne peut être « globalisée » avec sa pension de retraite personnelle. Il aboutit toutefois à une conclusion différente de l’appelante, étant que, en l’espèce, les périodes pendant lesquelles son second mari a exercé une activité de travailleur salarié ne peuvent être prises en considération pour fixer le numérateur de la fraction de carrière. Il conclura également que, en l’espèce, cette précision est sans importance sur les montants.

L’avis du Ministère public prend cependant toute son importance sur la question juridique posée de la réduction de la pension de survie, en application de l’article 52 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 puisque c’est en application de cette disposition que le plafond de cumul a été fixé. Refaisant l’historique des dispositions applicables, l’Avocat général relève qu’il existait depuis un arrêté royal du 28 mai 1958 (portant statut du Fonds National de retraite des ouvriers mineurs en matière d’organisation du régime de pension de retraite et de veuve – applicable en l’espèce) des dispositions régissant le cumul d’une pension de survie et d’une pension de retraite.

Il retient par ailleurs que, remariée en 1971, Madame Q. a perdu son droit au paiement d’une pension de survie du chef de son premier mariage et que ce droit aurait pu renaître, certes, après le divorce d’avec son second mari, ce qui intervint en 1994. A l’époque, était en vigueur l’arrêté royal du 24 octobre 1967, de telle sorte qu’il y a lieu d’appliquer les règles de limitation de cumul.

La dernière question en suspens, concernant une demande dommages et intérêts formulée par Madame Q. est de peu d’intérêt.

Position de la Cour

La position de la Cour est très succincte, puisque celle-ci se borne à s’appuyer en tous points sur l’avis de l’Avocat général. La Cour relève toutefois expressément que les dispositions relatives au minimum garanti de pension (étant les lois du 8 août 1980 et 10 février 1981) utilisent le terme « montant de la pension de retraite ». Ce terme vise, pour la Cour, aussi bien la pension de retraite professionnelle que la pension de conjoint divorcé, laquelle est considérée par la loi comme une pension de retraite. Elle relève enfin que cette pension de conjoint divorcé présente toutes les caractéristiques propres aux pensions de retraite, notamment les conditions d’âge, de cessation d’activité professionnelle, de résidence en Belgique si le bénéficiaire est de nationalité étrangère et d’absence de bénéfice d’indemnités sociales.

Intérêt de la décision

Cette décision aborde diverses problématiques dont – essentiellement – celle de la globalisation des deux pensions en vue de déterminer le minimum garanti de pension à allouer dans le régime des travailleurs salariés et donne une lecture cohérente aux dispositions légales qui visent le montant de la pension de retraite à prendre en compte.


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