Terralaboris asbl

Décharger une cuvelle d’une camionnette constitue un événement soudain même s’il s’agit d’une activité habituelle pour la victime

Commentaire de C. trav. Mons, 5 mai 2008, R.G. 20.302

Mis en ligne le lundi 5 janvier 2009


Cour du travail de Mons, 5 mai 2008, R.G. 20.302

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 5 mai 2008, la Cour du travail de Mons rappelle que le déchargement d’une cuvelle remplie de sable constitue un événement soudain, le geste ou l’effort épinglé ne devant pas présenter un caractère anormal pour recevoir la qualification d’événement.

Les faits

Monsieur C. est occupé comme ouvrier maçon par une société X. Le vendredi 6 décembre 1996, il preste avec des collègues sur un chantier. L’après-midi, il décharge, avec son chef d’équipe, une cuvelle d’une camionnette remplie de sable. Etant mal positionné pour réaliser l’effort, il se blesse, ressentant une douleur lombaire.

Il termine sa journée de travail mais est incapable de prendre le travail le lundi suivant, en raison de douleurs dorsales aiguà« s. Il est mis en incapacité par son médecin traitant, qui prescrit différents examens. Un scanner réalisé fin décembre 1996 montre une discopathie, de même qu’une protrusion discale.

Quoique l’accident soit survenu sur le chantier, en présence du chef d’équipe et que l’employeur a été avisé de l’incapacité dès le 9 décembre, la déclaration d’accident du travail ne sera rédigée qu’en date du 10 janvier 1997, l’employeur précisant que les faits ne lui ont été déclarés qu’à cette date.

Les faits sont refusés par l’entreprise d’assurances, aux motifs que la preuve que les lésions constatées sont imputables à un événement accidentel, extérieur à l’organisme de la victime, ne serait pas rapportée.

Monsieur C. introduisit dès lors la procédure. Par jugement du 21 janvier 1999, le Tribunal du travail débouta l’intéressé de sa demande, estimant que la preuve des faits n’était pas rapportée. Le Tribunal se fondait essentiellement sur l’existence de prétendues divergences entre les déclarations de l’intéressé et celles de ses collègues de travail.

Monsieur C. introduisit un appel à l’encontre du jugement. Par arrêt du 8 mars 2000, la Cour du travail de Liège estima que les faits étaient établis et constitutifs d’événement soudain. Elle désigna un médecin-expert, aux fins d’évaluer les séquelles de l’accident.

Celui-ci déposa son rapport en avril 2001, concluant à l’imputabilité des lésions de la colonne lombo-sacrée à l’accident du travail. La Cour du travail de Liège entérina ce rapport par un nouvel arrêt du 8 mai 2002. Elle se prononça ainsi sur l’imputabilité des lésions à l’accident, de même que sur les périodes d’incapacité temporaire de travail. Elle confia enfin à l’expert un complément de mission, aux fins de fixer la consolidation et de proposer un taux d’incapacité permanente de travail.

Ultérieurement à cet arrêt, l’entreprise d’assurances introduisit, le 13 juillet 2004, un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt prononcé le 8 mars 2000, soit à l’encontre du premier arrêt admettant l’existence de l’événement soudain.

La Cour de cassation cassa l’arrêt, pour des motifs de procédure et sans relation aucune avec le fond du dossier ou avec la notion d’événement soudain.

L’affaire fut renvoyée à la Cour du travail de Mons, appelée à statuer comme juridiction d’appel du jugement prononcé en janvier 1999 par le Tribunal du travail de Verviers.

La position des parties devant la Cour du travail de Mons

L’entreprise d’assurances conteste la preuve des faits. Elle fait valoir la tardiveté de la déclaration d’accident, de même que l’existence de contradictions entre les déclarations de l’intéressé et celles de certains de ses collègues de travail. Elle s’appuie également sur le caractère banal du geste vu la profession de l’intéressé. Elle invoque encore que l’intéressé n’a consulté que le lundi et que le 1er certificat d’incapacité mentionne « maladie ». Elle fait encore valoir l’existence de lésions dégénératives et plaide que la lésion résulte d’un processus dégénératif.

Monsieur C. demande quant à lui à la Cour de reconnaître l’événement soudain (étant le fait d’avoir déchargé avec un collègue une cuvelle de sable), dont la preuve résulte de sa déclaration, corroborée par le témoignage d’un témoin visuel direct.

La décision de la Cour

La Cour commence par un rappel complet des principes en matière d’événement soudain, tant sur la qualification que sur le mode de preuve. Pour la Cour, la déclaration de la victime peut constituer une preuve si elle s’inscrit dans un ensemble de faits cohérents et concordants, c’est-à-dire qu’elle est corroborée par d’autres éléments du dossier. Elle précise encore que les déclarations doivent être concordantes mais qu’il est admis que la victime puisse préciser les faits, la déclaration d’accident ne devant pas être complète. La Cour rappelle par ailleurs le droit de rectification dans le chef de la victime dès lors que la déclaration patronale n’a pas pu être contrôlée par elle.

Sur le fond, la Cour constate que l’opération épinglée par l’intéressé au titre d’événement soudain est suffisamment établie par ses propres déclarations et le témoignage du témoin direct des faits (la cuvette ayant été déchargée à deux). La Cour rejette l’argument selon lequel les déclarations, plus vagues, des autres collègues contrediraient celles de la victime. La Cour relève en effet qu’ils n’étaient pas témoins directs des faits et que les faits sont anciens.

La Cour considère que les faits sont circonscrits dans le temps et dans l’espace (temps de l’exécution du contrat) et qu’ils sont susceptibles de causer la lésion.

Elle rappelle enfin que la position de l’assureur sur la qualification ne peut être retenue, dès lors qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, il est indifférent que le fait soit normal ou non.

Enfin, quant au lien causal, la Cour estime nécessaire d’interroger un expert-médecin, ne pouvant trancher elle-même sur la seule base des radiographies déposées. Il est à noter que la mission demande à l’expert de se prononcer sur l’inexistence d’un lien causal, selon un libellé fort respectueux de la présomption légal et de son mode de renversement.

Intérêt de la décision

Cette décision illustre que, quoique la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’événement soudain soit constante depuis plus de 10 ans sur la question de l’événement soudain, les entreprises d’assurances n’ont pas fini de « faire de la résistance ». L’arrêt contient un utile rappel des principes.

Cette affaire est également l’occasion de souligner, dans le cas d’un accident difficilement contestable, étant un geste de travail survenu en présence d’un témoin direct, le long laps de temps entre celui-ci et l’indemnisation de la victime, dans les cas de contestation de l’accident du travail au prétexte du caractère « habituel » du geste du travail en cause.


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