Terralaboris asbl

Recommandation de mutation définitive : sanction du non-respect de l’obligation de reclassement

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 29 septembre 2008, R.G. 11.757/07

Mis en ligne le mercredi 7 janvier 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 29 septembre 2008, R.G. n° 11.757/07

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 29 septembre 2008, le tribunal du travail de Bruxelles refuse de reconnaître l’existence d’une force majeure, découlant d’une inaptitude définitive à la fonction, le seul élément étant l’avis du médecin du travail. Par contre, sur la base de celui-ci, il rejette la demande fondée sur l’article 63 de la loi du 3 juin 1978 (licenciement abusif). Enfin, statuant dans le cadre des articles 1134 et 1382 du Code civil, le tribunal reconnaît l’existence d’une faute, constituée par l’absence d’audition préalable et l’absence de respect de l’obligation de reclassement prévue par l’article 72 de l’arrêté royal du 28 mai 2003.

Les faits

Madame D. est occupée par l’Etat belge, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, contrat faisant suite à une série de contrats de remplacement.

La fonction prévue au contrat à durée indéterminée du 1er septembre 2003 est « collaboratrice de restaurant ».

L’intéressée est victime d’un accident du travail en date du 11 octobre 2005, entraînant un traumatisme du poignet et de la main gauches.

Le Medex consolide l’accident à 0% en date du 6 octobre 2006, estimant qu’il y a retour à l’état antérieur.

L’intéressée connaît par la suite une période d’incapacité du 7 octobre 2006 au 7 janvier 2007, laquelle n’est pas reconnue dans le cadre de l’accident du travail. Elle reprend le travail (fonctions habituelles) le 8 janvier 2007.

Le 7 février 2007, le conseiller en prévention-médecin du travail estime, sur le formulaire d’évaluation de santé, qu’il y a lieu de recommander une mutation définitive à un poste qui n’implique pas d’activités nécessitant une préhension de la main gauche, des gestes de torsion, une activité avec les bras en l’air ou des activités sur machine. Sur le formulaire, le conseiller en prévention ne coche ni la case « doit être mise en congé de maladie » ni celle « est inapte définitivement ».

Le 23 février 2007, l’intéressée sollicite de pouvoir travailler à mi-temps, demande qui reçoit un avis favorable de sa hiérarchie.

Une réunion a lieu le 28 février 2007. Madame D. soutient que, au cours de celle-ci, son licenciement lui a été annoncé, ce qui l’Etat belge contestera dans le cadre de la procédure, précisant qu’il s’agissait d’un entretien préalable à une décision de licenciement.

En tout état de cause, le contrat de travail est rompu le même jour (28 mars 2007). Dans celui-ci, l’Etat belge fait état de la fiche d’évaluation de santé ainsi que des recommandations y contenues et signale que les activités proscrites font partie du travail convenu. Il signale par ailleurs ne pas être dans la possibilité de confier une autre fonction répondant aux recommandations. Il est alors mis fin au contrat pour force majeure, la rupture intervenant sans préavis ni indemnité.

L’intéressée contestant la force majeure, une procédure est introduite devant le tribunal du travail. Elle réclame, dans le cadre de cette action, une indemnité compensatoire de préavis, l’indemnité pour licenciement abusif prévue par l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, ainsi qu’une certaine somme au titre de dommages et intérêts, fondée initialement sur le caractère abusif du licenciement, demande étendue en raison du non respect du principe général d’audition et se fondant sur la perte d’une chance de maintenir le contrat de travail si l’Etat belge avait respecté ses obligations.

La position du tribunal

En ce qui concerne la validité du constat de force majeure posé par l’Etat belge, le tribunal rappelle que seule l’impossibilité définitive d’effectuer les prestations de travail est constitutive d’une force majeure au sens de l’article 32, 5°, de la loi du 3 juillet 1978 : si une possibilité existe d’une poursuite des relations de travail, il n’y a pas de force majeure définitive.

En l’espèce, le tribunal constate que la force majeure est constituée par une incapacité physique d’exécuter le travail convenu, laquelle doit être définitive pour emporter la rupture du contrat. Il relève que le conseiller en prévention-médecin du travail n’a nullement indiqué une inaptitude définitive à la fonction mais s’est limité à formuler une recommandation. Au vu des éléments du dossier, le tribunal estime dès lors que la preuve de la force majeure n’est pas rapportée à suffisance par l’Etat belge, lequel est donc condamné au paiement de l’indemnité de rupture.

En ce qui concerne l’indemnité pour licenciement abusif revendiquée sur la base de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, le tribunal constate qu’eu égard à la recommandation du médecin du travail l’on ne peut contester que le licenciement a un lien avec l’aptitude au travail de l’intéressée. Le licenciement n’est dès lors pas abusif au regard de l’article 63.

Le tribunal examine en outre si le licenciement pouvait être considéré comme abusif sur pied des articles 1134 ou 1382 du Code civil, rappelant que l’article 63 n’est pas exclusif d’une demande d’indemnisation sur la base d’une autre disposition légale. L’employeur étant un employeur public, il est tenu au principe général du droit à être entendu. Cette règle s’applique quel que soit le motif du licenciement, fondé ou non sur le comportement de l’intéressé. Par ailleurs, l’audition préalable a pour but de permettre à l’administration de prendre une décision correcte et de limiter, par là, le risque d’erreur. Cette obligation n’a pas été reprochée.

Le tribunal relève par ailleurs que l’Etat belge ne prouve pas avoir respecté le prescrit de l’article 72 de l’arrêté royal du 28 mai 2003 (obligation de réaffectation sauf si cela n’est pas techniquement ou objectivement possible ou si cela ne peut être raisonnablement exigé pour des motifs dûment justifiés). Rappelant que la charge de la preuve de l’impossibilité de reclassement repose exclusivement sur l’employeur, le tribunal constate qu’en l’espèce, l’Etat belge se limite à affirmer – sans plus - que toutes les possibilités avaient été examinées et qu’il n’en n’existait pas d’autre.

Le tribunal retient dès lors une attitude fautive dans le chef de l’Etat belge, faute donnant lieu à réparation. Ce sera la perte d’une chance, le dommage subi étant essentiellement moral.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est double : d’une part le refus de la force majeure faute d’éléments de preuve de l’existence d’une inaptitude définitive à la fonction, et d’autre part les développements relatifs au caractère abusif du licenciement, sur pied des articles 1134 et 1382 du Code civil. Le tribunal retient au titre de faute l’absence d’audition préalable ainsi que la preuve du non respect de l’article 72 de l’arrêté royal du 28 mai 2003, organisant l’obligation de reclassement dans le chef de l’employeur.


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