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Chute et événement soudain

Note sous C. trav. Mons, 22 janvier 2003, Chron. D.S., 2004, p. 213

Mis en ligne le samedi 15 décembre 2007


S. REMOUCHAMPS

Note sous C. trav. Mons, 22 janvier 2003, Chron. D.S., 2004, p. 213

Un travailleur, clarkiste chez Caterpillar, se tord la cheville en marchant sur un sol plat, égal et exempt de défectuosité. Il tombe au sol et, incapable de se relever, il est transporté à l’infirmerie puis, par ambulance, à l’hôpital. Il y reste hospitalisé pendant quelques jours, pour une fracture du pied.

L’accident du travail est reconnu par le premier juge, lequel désigne un médecin expert.

L’entreprise d’assurance – en l’espèce la Winterthur – interjette appel, faisant valoir que la victime n’apporte pas la preuve de l’existence d’un événement soudain à l’origine de la chute. A titre subsidiaire, elle sollicite que l’expert désigné se voit confier la mission de dire si la chute résulte de la lésion ou si la lésion est la cause de la chute.

Il ressort des considérations de l’arrêt que l’événement soudain épinglé par le travailleur est la chute (« …par citation (…), Monsieur E.A. a entendu voir déclarer comme accident du travail, la chute survenue le 21 avril 1995, alors qu’il était occupé par la S.A. Caterpillar Belgium … »).
La Cour du travail de Mons estime qu’il n’y a pas accident du travail au sens de la législation dans la mesure où « … il ressort des déclarations de l’intéressé que la chute ou le fait qu’il se soit tordu le pied n’a pas été provoqué par un événement soudain et distinct de l’exécution normale du contrat de travail (pas de défectuosité, pas de trou, pas de palette) ».
Ce faisant, la Cour du travail de Mons exige que l’événement soudain épinglé par la victime (en l’espèce la chute) soit causé par un événement devant présenter les caractéristiques d’être soudain et distinct de l’exécution normale de la tâche journalière.

Cette exigence, pour le moins surprenante, est illégale.

En effet, aucune disposition légale n’impose à la victime d’établir la cause de l’événement soudain épinglé par elle et, a fortiori, que cette cause serait un événement soudain et distinct de l’exécution du contrat de travail. Au contraire, appelée à statuer la question de la cause de l’événement soudain, la Cour de cassation a rappelé que la cause de l’événement soudain n’intervient pas dans la définition de cette notion. La Cour suprême a effet décidé que « un accident du travail, au sens de l’article 7 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, requiert notamment l’existence d’un événement soudain qui produit une lésion ; que suivant l’article 9 de cette même loi, la lésion dont l’existence est établie par la victime ou ses ayants droit est présumée, jusqu’à preuve contraire, trouver son origine dans un accident, lorsqu’ils prouvent, en outre, l’existence d’un événement soudain ; Attendu qu’il ressort, il est vrai, des articles 7 et 9 précités, que la lésion ne peut être due uniquement à l’état physiologique de la victime, mais que ces dispositions légales ne requièrent pas que la cause ou une des causes de l’événement soudain soit extérieure à l’organisme de la victime ; que notamment, une chute ne cesse pas d’être un événement soudain, au sens des articles précités, parce qu’elle a été causée par un défaut de l’organisme de la victime ; » (Cass., 7 janvier 1991, J.T.T., 1991, p. 78 ; R.G.A.R., 1994, p. 12265 ; R.D.S., 1991, p. 23). En l’espèce, la cour du Travail de Gand avait estimé que la chute sur le chemin du travail avait été causée par l’état d’épuisement de la victime, lequel était uniquement dû à l’évolution interne et progressive de son organisme. La Cour estimait donc que la chute (événement soudain épinglé) résultait uniquement de l’état physiologique de la victime, qui n’était pas influencé par une cause externe, de sorte que la chute ne constituait pas un événement soudain au sens de la loi.

En l’espèce, l’événement soudain est la chute. Il n’y avait dès lors pas lieu d’examiner à quoi était due cette chute puisque quelle que soit sa cause (dont la défaillance de l’organisme de la victime), elle constitue néanmoins un événement soudain (Voy. Cass., 29 avril 2002, J.T.T., 2002, p. 361). La cour de travail de Mons ne pouvait dès lors refuser la chute à titre d’événement soudain au motif que la victime n’a pu épingler de cause – extérieure – à la chute.

Par ailleurs, la cour du travail de Mons, dans cet arrêt, viole les principes rappelés à maintes reprises par la Cour de cassation, en exigeant que l’événement soudain se distingue de l’exécution normale du travail (Voy. pour les arrêts les plus récents : Cass., 14 février 2000, J.T.T., 2000, p. 466 ; Cass., 3 avril 2000, R.D.S., 2001, 185 : Cass., 23 septembre 2002, J.T.T., 2003, p. 21, Cass., 13 octobre 2003, R.G. S020048F). Ainsi, dans son arrêt du 14 février 2000, en ne censurant pas la cour du travail, la Cour de cassation considère qu’il n’est pas requis, pour que le juge constate l’existence de l’événement soudain, qu’existent des circonstances particulières ou des efforts particuliers ayant soumis l’organisme à une agression. Dans ses arrêts des 3 avril 2000 et 23 septembre 2002, la Cour suprême précise par ailleurs qu’exiger une agression, une brusque réaction, un faux mouvement, un coup ou une chute équivaut à exiger l’existence d’un élément particulier distinct de l’exécution du contrat de travail, critère qui n’existe pas dans la loi.


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