Terralaboris asbl

Dans quelles conditions un meurtre commis pour des raisons privées peut-il constituer un accident du travail ?

Commentaire de C. trav. Mons, 11 février 2009, R.G. 20.713

Mis en ligne le jeudi 26 mars 2009


Cour du travail de Mons, 11 février 2009, R.G. 20.713

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 11 février 2009, la cour du travail de Mons confirme le jugement du Tribunal du travail de Charleroi du 25 avril 2007, déjà commenté, qui reconnaît un accident du travail dans le cas d’une personne assassinée par son conjoint sur les lieux du travail.

Les faits

Madame D. est occupée comme vendeuse par une SPRL P., qui exploite un magasin. Elle est chargée d’effectuer l’ouverture du magasin, travaillant seule dans celui-ci. Le magasin ouvre à partir de 10 heures.

En arrivant au travail le 13 août 2002, elle trouve son mari qui l’attend devant le magasin. Les époux étaient séparés. Depuis quelques jours, celui-ci insistait pour qu’il y ait reprise de la vie conjugale.

Les intéressés pénètrent dans le magasin. Madame D., confrontée une nouvelle fois à une demande de son époux de reprendre la vie commune, refuse et se dirige vers la réserve, à l’arrière du magasin.

C’est alors que son époux sort un couteau et que, apeurée, elle tente de s’enfuir mais est rattrapée dans le couloir qui mène à la réserve et est frappée de plusieurs coups mortels.

L’époux est poursuivi et condamné, par arrêt du 18 novembre 2004 de la Cour d’assises de Mons, du chef d’homicide volontaire sur la personne de son épouse, avec intention de donner la mort et avec préméditation.

L’entreprise d’assurances refuse quant à elle de reconnaître que les faits constituent un accident du travail, et ce eu égard au caractère passionnel du crime.

L’action est alors introduite afin qu’il soit statué sur la qualification des faits et sur l’indemnisation à réserver aux enfants du couple.

La décision du tribunal

Le Tribunal fait droit à la demande. Il estime en effet que l’exécution du contrat de travail a aggravé le risque de la survenance d’un acte violent dans la part de l’époux de la victime. En effet, pour le Tribunal, les faits se rattachent à des circonstances en lien avec l’exécution du contrat de travail, dès lors que la victime était, en raison de celui-ci, tenue d’ouvrir le magasin et d’y prester seule mais également de prester dans un bâtiment dont la configuration exiguà« ne lui a pas permis d’échapper à son époux.

La position des parties

L’entreprise d’assurances interjette appel du jugement, alléguant renverser la présomption selon laquelle l’accident survenu dans le cours de l’exécution du contrat est considéré comme survenu par le fait de cette exécution. Selon elle, la cause de l’accident est étrangère à l’exécution du contrat de travail. Elle précise encore que, pour que l’agression soit reconnue, elle doit concerner, même indirectement, l’exécution du contrat, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la dispute et l’agression relevant de la vie conjugale des intéressés.

Le représentant des ayants-droit demande la confirmation du jugement, soulignant que l’accident doit être retenu dès lors que le milieu de travail a rendu l’accident possible (le mari s’étant précisément rendu sur les lieux du travail parce qu’il savait qu’il y trouverait son épouse).

La décision de la Cour

La Cour commence par rappeler le mécanisme légal mis en place pour la reconnaissance de l’accident, étant qu’une fois que la victime établit l’existence d’un événement soudain survenu dans le cours de l’exécution du contrat et d’une lésion, elle bénéficie de deux présomptions (portant sur le lien causal entre l’accident et la lésion et sur le fait que l’accident est du à l’exécution du contrat). Concernant ce dernier point, la présomption peut être renversée si l’entreprise d’assurance prouve que l’accident n’est pas la réalisation d’un risque à laquelle la victime est exposée en raison soit de l’activité déployée dans le cadre du contrat, soit du milieu naturel, technique ou humain dans lequel elle est placée. Aussi, la Cour retient que le risque couvert est celui que le milieu du travail a rendu possible. Citant un arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 1980 (J.T.T., 1990, p. 53), elle rappelle par ailleurs que, lorsque le lien est possible, il importe peu que l’accident ait pu se produire à un autre endroit et/ou un autre moment.

En l’espèce, la Cour retient que, l’accident étant survenu dans le cours de l’exécution du contrat, c’est à l’entreprise d’assurances de prouver qu’il n’est pas survenu du fait de son exécution. Elle note que celle-ci se base exclusivement sur les motifs – privés – de l’agression,

Se fondant sur les déclarations du mari, recueillies dans le cadre de l’instruction pénale, la Cour considère cependant que l’agression a été rendue possible par les modalités de l’exécution du contrat et par les lieux : l’intéressée était tenue de se rendre dans le magasin (lieu du travail qui doit rester ouvert), où son époux pouvait venir la voir et qu’elle ne pouvait éviter sans perturber son travail. Par ailleurs, la configuration des lieux ne lui a pas permis d’échapper à son époux au moment de l’agression.

Pour la Cour, les circonstances du contrat ont, à tout le moins, aggravé le risque de la survenance d’une agression par l’époux, pour qui le magasin était pratiquement le seul endroit où trouver sa femme.

Intérêt de la décision

L’arrêt confirme le jugement du Tribunal du travail de Charleroi, retenant l’interprétation large qui prévaut en la matière : dès lors que l’accident n’aurait pas pu survenir sans la présence du travailleur sur les lieux du travail ou n’importe quelle circonstance en rapport avec l’exécution du contrat, le lien légal est établi.


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