Terralaboris asbl

Requalification par le juge du statut d’indépendant

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 octobre 2008, R.G. 46.380

Mis en ligne le lundi 15 juin 2009


Cour du travail de Bruxelles, 8 octobre 2008, R.G. n° 46.380

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt du 8 octobre 2008, la Cour du travail de Bruxelles, analysant d’une part les conditions dans lesquelles un travailleur s’est vu octroyer le statut d’indépendant et d’autre part l’existence d’une autorité exercée sur lui, conclut à l’incompatibilité entre la qualification d’indépendant et la réalité des relations de travail.

Les faits

Trois membres d’une famille (le fils et ses deux parents) constituent une sprl en 1987. Le fils libère la plus grande partie de parts et est nommé gérant. La sprl exploite un restaurant.

Suite à un contrôle de gendarmerie, le cuisinier (de nationalité polonaise) qui y travaille est assujetti à la sécurité sociale en qualité de travailleur salarié. Il devient dès lors salarié cuisinier à temps plein. Dix ans plus tard, lors d’une assemblée générale de la société, il est admis comme associé. Le registre des associés acte le transfert de parts sociales pour un montant de l’ordre de 3.500€. Le changement de statut a entraîné l’assujettissement du cuisinier au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants et il est constaté que la société s’est occupée de payer les charges sociales et fiscales, payant en outre à celui-ci, douze mois par an, par virement, environ 575€ nets en sus du logement et de la nourriture. Le cuisinier est également domicilié au restaurant.

Dans le cadre de l’enquête ouverte par l’ONSS, le cuisinier confirme qu’il partage le travail du gérant. Il s’avère cependant qu’il s’occupe davantage de la cuisine, de la réception des fournisseurs et de l’entretien. Il n’a cependant pas d’horaire et travaille en fonction des nécessités du restaurant. Il est acté qu’il ne s’est jamais trouvé en incapacité de travail et que, quant à ses vacances, celles-ci sont prises pendant la période de fermeture du restaurant.

Ni le gérant ni le nouvel associé ne parviennent à apporter la preuve du paiement du prix de cession des parts, arguant que celui-ci s’est fait de la main à la main.

En 2001, la démission du cuisinier est actée. Il signe (à une date indéterminée) que ses parts ont été rachetées, sans toutefois qu’il y ait de précisions quant au nombre de parts, au prix du rachat, ou encore quant à l’identité de l’acheteur.

Enfin, deux ans après, le restaurant est fermé.

L’ONSS conclut son enquête par une obligation d’assujettissement de la société au régime général de sécurité sociale des travailleurs salariés. Il réclame le paiement de cotisations sociales pour treize trimestres.

Position du tribunal du travail

Le tribunal du travail déboute l’ONSS de sa demande de paiement de cotisations sociales, par jugement du 7 décembre 2004.

Position des parties en appel

L’ONSS, appelant, demande à la Cour de dire pour droit que le cuisinier devait être assujetti au régime de sécurité sociale des travailleurs salariés et qu’il y a lieu en conséquence de condamner la société au paiement des cotisations sociales pour les trimestres en cause.

La société sollicite la confirmation du jugement puisqu’il a suivi sa thèse quant à l’existence de relations de travail indépendantes.

Position de la Cour

La Cour va d’abord rappeler que l’ONSS a le pouvoir de décider d’office de l’existence ou de l’inexistence d’un contrat de travail, en application des articles 5, 9, 22 et 40 de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs salariés. Pour conclure à l’existence de celui-ci, il y a lieu de se référer aux articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 et de déterminer, dès lors, l’existence des trois éléments constitutifs, étant le travail, la rémunération et l’autorité.

La Cour relève que seule l’autorité de l’employeur, étant le lien de subordination dans lequel les prestations de travail sont effectuées, est propre au contrat de travail, ce qui le distingue de la collaboration indépendante ou du contrat d’entreprise.

Si une qualification est donnée aux relations de travail, celle-ci s’impose aux parties et aux tiers, dont l’ONSS, mais elle peut être écartée lorsque les dispositions du contrat ou encore la volonté des parties telle qu’elle est révélée notamment par l’exécution de celui-ci, sont incompatibles avec la qualification qui a été donnée.

En l’espèce, la Cour va retenir de toute une série d’indices de fait (majorité des parts détenues par les membres de la famille, nombre très restreint de parts en possession du cuisinier, paiement des cotisations sociales par la société, absence de participation du cuisinier à des décisions d’associé significatives, …) qu’il n’est pas établi que les parties ont accepté les conséquences de la qualification de travailleur indépendant, ce qui ressort encore du fait de l’absence de preuve du paiement des parts sociales ou encore de la réalité de leur rachat – dernière opération pour laquelle aucune précision n’existe au dossier.

La Cour en conclut que les parties ont apparemment adopté une qualification de relation de travail indépendante mais qu’il n’est pas établi que toutes les conséquences de celle-ci se soient avérées. Par ailleurs, elle relève l’existence d’indices d’autorité, en la personne du gérant (le fils), éléments qui ressortent des déclarations rédigées dans le cadre de l’enquête de l’ONSS (le gérant « s’occupait de tout »). Elle relève encore que le cuisinier n’avait pas la signature et qu’il était, en fin de compte, cantonné dans des responsabilités d’ordre technique, relatives à la bonne exécution du restaurant. En outre, la Cour relève qu’il n’était pas libre de déterminer ses horaires, particulièrement, quant aux vacances – qui coà¯ncidaient avec les périodes de fermeture du restaurant – et que ces dates étaient déterminées par le gérant, puisqu’il « s’occupait de tout ».

D’autres circonstances viennent encore corroborer cette appréciation étant la nature du travail du cuisinier, restée constante tout au long de l’occupation. De même pour la rémunération, restée identique et qui n’a pas été complétée par une distribution de bénéfices, malgré l’augmentation du chiffre d’affaires.

L’ensemble de ces éléments fait apparaître, pour la Cour, l’exercice d’une autorité de l’employeur, de telle sorte qu’elle fait droit à l’appel de l’ONSS.

Intérêt de la décision

Le cas d’espèce examiné par la Cour du travail dans l’arrêt annoté contenait de très nombreux indices d’autorité, les conditions de travail de l’intéressé étant identiques, dans une première période où il avait été occupé comme travailleur salarié, et ultérieurement lorsqu’il obtint la qualité d’associé actif, dans des conditions peu précises – ce que la Cour ne manque d’ailleurs pas de souligner.


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