Terralaboris asbl

Quid en cas de remplacement du travailleur à temps plein par un ouvrier à temps partiel ?

Commentaire de Trib. trav. Charleroi, sect. Charleroi, 2 mars 2009, R.G. 08/1852/A

Mis en ligne le lundi 3 août 2009


Tribunal du travail de Charleroi, section de Charleroi, 2 mars 2009, R.G. 08/1852/A

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Un jugement du tribunal du travail de Charleroi du 2 mars 2009 rappelle très utilement les principes en cas de remplacement d’un travailleur à temps plein par un autre, engagé à mi-temps, l’employeur faisant état d’une restructuration de l’entreprise.

Les faits

Les faits concernent un petit établissement Horeca. Un « garçon » engagé à temps plein, tombe en incapacité de travail pendant dix jours en avril 2007. A son retour, l’employeur lui remet en main propre une lettre de rupture, lui annonçant son licenciement moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de prévis de 35 jours calendrier.

Le C4 qui sera délivré porte le motif « restructuration ».

Des discussions s’engagent avec l’organisation syndicale, qui obtiendra un complément de préavis d’une semaine, vu l’ancienneté du travailleur.

L’employeur réfute, cependant, le caractère abusif du licenciement en l’imputant à la chute du chiffre d’affaires, due à la situation de l’entreprise. Il fait valoir que suite à la chute du chiffre d’affaires (et d’autres facteurs) le commerce de son épouse a été remis et qu’elle est venue travailler avec lui. L’employeur signale ne plus avoir les moyens d’employer une personne à temps plein. Vu le refus du travailleur de prester à mi-temps, il déclare ne pas avoir eu d’autre choix que le licenciement.

Un complément de précision est demandé, par l’organisation syndicale, afin de pouvoir vérifier les éléments avancés, sur le plan économique. L’employeur ne répond pas et une action est introduite.

Position des parties

Le demandeur conteste la proposition d’engagement à mi-temps et fait valoir qu’à son retour d’incapacité de travail il avait été remplacé, remplacement qui avait entraîné son licenciement. Il considère que les effets de la loi anti-tabac ne pouvaient en rien influencer le commerce de son employeur (taverne offrant une petite restauration) et que la présomption légale n’est pas renversée.

Quant à l’employeur, il expose les conditions dans lesquelles son épouse avait cessé ses propres activités début de l’année 2007, l’ayant rejoint dans l’exploitation de sa taverne-restaurant, activité qui avait elle-même été réduite vu la législation « anti-tabac ». Pour le surplus il maintient les explications qu’il avait données précédemment, précisant que son épouse et lui-même sont à même d’effectuer à deux tout le travail nécessaire.

Position du tribunal

Après avoir rappelé le texte et la raison d’être de l’article 63, le tribunal rappelle l’exigence d’un lien de causalité entre les faits (comportement du travailleur ou nécessités de l’entreprise) et le licenciement. Dans l’hypothèse de nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise, le juge rappelle que l’employeur a la charge de la preuve des motifs invoqués, ce qui ne remet pas en cause son pouvoir d’opérer des choix, au lieux des intérêts de son entreprise, le juge n’ayant pas par ailleurs à s’immiscer dans cette gestion.

Le juge doit cependant examiner la réalité des motifs invoqués.

En l’espèce, le tribunal constate qu’il y a bien eu une restructuration de l’entreprise qui a justifié le licenciement, l’employeur établissant l’engagement d’un serveur, engagement ultérieur, à mi-temps (9 mai 2007 – licenciement 27 avril 2007).

Par ailleurs, la présence de l’épouse dans la taverne depuis le début de l’année (soit quatre mois avant le licenciement) est également avérée.

Le tribunal retient de ce qui précède que les besoins de l’entreprise en personnel étaient effectivement moindres et que le motif de restructuration était bien réel.

Sur la question de la proposition d’un emploi à temps partiel, le tribunal relève qu’il ne lui appartient pas de décider si le défendeur aurait dû garder le demandeur à mi-temps. Il considère avoir exercé son contrôle judiciaire en vérifiant la réalité du motif et le lien direct et nécessaire avec le licenciement.

Enfin, il retient que, dans ce contexte, rien ne permet de conclure que le licenciement est dû à l’incapacité de travail.

Le jugement contient en outre de longs développements sur ce qui est actuellement un contentieux régulier, étant la question des dépens. Le demandeur fait valoir qu’il a été contraint de lancer citation vu l’absence de preuve d’éléments susceptibles de renverser la présomption, alors que ceci avait été demandé expressément. Subsidiairement, il demande qu’il soit réservé à statuer dans l’attente d’arrêts de la Cour constitutionnelle et du Conseil d’Etat, ou de poser une question nouvelle à la Cour constitutionnelle. À titre plus subsidiaire il plaide l’illégalité de l’arrêté royal.

A ces arguments, le tribunal rappelle que la charge des frais et dépens est réglée par l’article 1017 al. 1er du Code judiciaire : ceux-ci sont à charge de la partie qui a succombé. L’article 1382 du Code civil peut cependant tenir en échec cette disposition puisqu’il permet de condamner à ceux-ci la partie par la faute de laquelle ceux-ci ont été causés. Le tribunal rappelle la doctrine du Prof. G. de Leval (Eléments de procédure civile, 2005, 453) ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 14 mai 2001, R.G. S000079F) et encore un arrêt de la Cour du travail de Mons du 10 novembre 1998 (RG 14624).

Il relève qu’en l’espèce aucun comportement fautif ne peut être reproché au défendeur, celui-ci ayant répondu à la demande d’explications du travailleur. En l’espèce, ses arguments de défense étaient connus avant que la citation ne soit lancée.

Le tribunal rappelle encore que le demandeur a usé de la voie la plus onéreuse, en recourant à la citation d’huissier vu qu’il aurait pu recourir à la requête contradictoire. Il doit, en conséquence, prendre en charge les frais de citation.

Pour ce qui est de l’indemnité de procédure, le tribunal rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 décembre 2008 (n° 182/2008) qui a rejeté les recours fondés sur le caractère discriminatoire de la loi. Il déclare cependant qu’avec l’accord des parties, il sursoit en attendant la décision du Conseil d’Etat sur l’arrêté royal du 26 octobre 2007. Affaire à suivre donc sur ce point.

L’intérêt de la décision

Dans un cas d’espèce touchant une petite entreprise, le tribunal du travail rappelle l’étendue de son contrôle judiciaire, étant la réalité des faits ainsi que le lien direct et nécessaire avec la mesure de licenciement invoqué comme motif.

Il admet, implicitement, par ailleurs que, à défaut pour le travailleur d’être informé valablement quant au motif de licenciement, les dépens qui seraient mis à sa charge s’il venait à perdre sa procédure, peuvent être considérés comme dépens exposés par la faute de la partie adverse. En l’occurrence, cependant, les informations données par l’employeur ont été considérées comme complètes.


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