Terralaboris asbl

Le motif de réorganisation – étendue du contrôle judiciaire

Commentaire de Trib. trav. Charleroi, sect. Charleroi, 2 février 2009, R.G. 07/184.653/A

Mis en ligne le lundi 3 août 2009


Tribunal du travail de Charleroi, section de Charleroi), 2 février 2009, RG n° 07/184.653/A

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un jugement du 2 février 2009, le tribunal du travail de Charleroi retient qu’est abusif un licenciement annoncé au motif de réorganisation, dès lors que l’ensemble des éléments produits par l’entreprise ne démontre en rien l’existence d’une telle réorganisation nécessitant le licenciement.

Les faits

Le 24 octobre 2005, une société met un terme à un contrat de travail d’ouvrier, moyennant paiement d’une indemnité de 56 jours. L’intéressé est, alors, occupé depuis plus de 26 ans dans l’entreprise et exerce des fonctions d’ouvrier spécialisé. Cinq jours avant le licenciement, son organisation syndicale a contesté auprès de l’employeur à propos de quelques points relatifs à l’exécution du contrat (temps de récupération, paiement d’une prime d’ancienneté).

L’employeur donne comme motif du chômage sur le document C4, une « réorganisation de l’entreprise ».

Le travailleur lance citation en paiement de sommes, dont une indemnité pour licenciement abusif, sur pied de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

La position des parties

L’employeur donne divers motifs au licenciement, étant d’abord de nombreuses absences en 2004 et 2005, absences qui auraient perturbé l’organisation du travail. Selon lui, le travailleur aurait été en incapacité de travail pendant de nombreux jours et sa motivation au travail aurait disparu. Mais la société donne aussi un autre motif, étant que, vu l’importance du chômage économique, elle aurait réorienté son activité, essentiellement par une modification de la structure de sa clientèle, qu’elle dit axée désormais sur le secteur hospitalier. Elle explique avoir, ainsi, été amenée à faire de plus en plus appel à des sous-traitants plutôt qu’à du personnel propre, soulignant également que cette réorientation ne touche pas les ouvriers super qualifiés (ce que n’était pas le demandeur, qui n’aurait pas souhaité suivre des formations à cet égard). Pour elle, ce sont les besoins de main d’œuvre de l’entreprise qui constituent le motif licite au sens de l’article 63. Elle réserve encore quelques considérations à l’argument relatif aux réclamations, qui auraient pu donner au licenciement un caractère de représailles, rejetant celui-ci au motif qu’il ne lui était pas connu au moment du licenciement et que l’enjeu financier de la prime réclamée ne valait pas le risque d’une procédure en licenciement abusif.

Quant au travailleur, il conteste la réorganisation, telle que reprise sur le C4, au motif d’une part qu’elle n’est pas établie et que, de l’autre, il a été le seul à perdre son emploi.

Il maintient par ailleurs que le licenciement est intervenu en représailles et conteste à la fois le motif d’aptitude médicale et celui d’aptitude professionnelle (étant le seul à pouvoir manipuler certains engins dans l’entreprise).

La position du tribunal

Après avoir rappelé les principes qui guident le contrôle judiciaire du licenciement de l’ouvrier, dont l’obligation pour le juge de constater le lien de causalité nécessaire entre le motif invoqué et le licenciement, le tribunal va, en l’espèce, faire porter son contrôle sur le contenu réel du motif, étant les besoins en main d’œuvre de l’entreprise.

Dans le cadre de celui-ci, le juge examine les éléments soumis par l’employeur qui porte sur cinq années (2002 à 2007) : chiffre d’affaires, nombre d’heures prestées, nombre d’ouvriers, nombre de jours de chômage et coût des sous-traitants. Ceux-ci sont comparés aux résultats d’exploitation pour plusieurs de ces années (2004 à 2007) qui comprennent en outre un détail du chiffre d’affaires et des frais de sous-traitance.

Il en ressort pour le tribunal, que pendant les six années visées, la société a connu une croissance très importante de son chiffre d’affaires de même qu’une forte augmentation des dépenses en sous-traitance. Parallèlement le nombre de travailleurs diminue (11 à 7 en 2002, 6 à 5 en 2005 et 5 à 3 en 2007). Cependant, pour le tribunal, ces éléments ne sont pas fiables, n’étant pas les documents officiels que l’on aurait pu s’attendre à rencontrer dans le dossier, ainsi les documents ONSS.

Il n’en demeure pas moins que les documents soumis éclairent certes sur l’évolution du mode de fonctionnement de l’entreprise mais qu’ils ne démontrent pas pour le tribunal, l’existence d’une réorganisation nécessitant le licenciement de l’ouvrier.

Il et également ajouté que pendant l’année en cause, l’entreprise connaît une croissance exceptionnelle (chiffre d’affaires plus que doublé) et que malgré des coûts de sous-traitance qui explosent (plus que quadruplés), le nombre d’heures prestées par les travailleurs salariés augmentent néanmoins (augmentation de plus d’un tiers).

Ces éléments sont donc impuissants à révéler l’existence d’un motif qui devait conduire au licenciement du demandeur.

Le tribunal va encore constater que s’il y a des jours d’incapacité à partir de 2003, il faut encore constater que l’intéressé prenait également des congés sans solde, le tribunal ajoutant que ceci aurait dû convenir à l’employeur, qui invoquait précisément une réduction e ses besoins en main d’œuvre.

Les absences ne peuvent dès lors pas raisonnablement être le motif du licenciement, non plus que sa moindre qualification (vu sa très longue expérience et ses connaissances).

Il semble surabondant, pour le tribunal, d’examiner si l’on se trouve en présence d’un licenciement – représailles, puisque le motif n’est pas établi.

Enfin, le tribunal statue sur la nature de l’indemnité, à laquelle il reconnaît un caractère rémunératoire, au même titre que l’indemnité de préavis, et ce au motif qu’elle entend remplacer celle-ci, qui est celle dont bénéficie l’employé. Le tribunal se fonde notamment sur la jurisprudence et la Cour de du travail de Bruxelles (C. Trav. Bruxelles, 27/08/2007, Chron. Dr. soc. 2008, 259). Il en découle d’une part des conséquences en ce qui concerne les retenues sociales et fiscales et d’autre part des règles spécifiques quant au calcul des intérêts, qui doivent suivre l’article 10 de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération complété par l’article 82 de la loi du 26 juin 2002. Le droit a l’indemnité étant né après le 1er juillet 2005 (A.R. du 3/07/2005 et art. 69 et 70 de la loi du 8/06/2008 portant des dispositions diverses I), les intérêts sont à calculer sur le brut.

Intérêt de la décision

Ce jugement du tribunal du travail de Charleroi illustre une nouvelle fois l’étendue du contrôle judiciaire sur les éléments d’ordre économique liés au fonctionnement de l’entreprise. Il donne en outre l’occasion de rappeler que les éléments à communiquer par l’employeur aux fins de démontrer l’existence du motif invoqué doivent être des éléments fiables, étant tous documents en matière de législation sociale, permettant une vérification objective des données de fait alléguées.

Un autre intérêt de cette décision est, malgré l’existence de périodes d’incapacité de travail les rois dernières années d’occupation (successivement 10, 55 et 20) de relever que celles-ci ne peuvent être le motif du licenciement, la société ne s’étant jamais plainte de ces absences, de telle sorte qu’elles paraissent, pour le tribunal, sans lien avec le licenciement.

Enfin, contrairement à d’autres décisions, le jugement annoté admet le caractère rémunératoire de l’indemnité.


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