Terralaboris asbl

Conséquences de la mauvaise information donnée par le ’Service info pensions’ dans l’évaluation de pension

Commentaire de Trib. trav. Oudenaarde, 16 avril 2009, R.G. 08/230/A/III

Mis en ligne le lundi 3 août 2009


Tribunal du travail de Oudenaarde, 16 avril 2009, R.G. 08/230/A/III

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 16 avril 2009, le tribunal du travail de Oudenaarde a retenu que la faute commise lors de l’information donnée en ce qui concerne l’évaluation de pension doit donner lieu à réparation.

Les faits

Une chômeuse, née en 1945, demande en 2004, alors qu’elle en chômage complet, une évaluation de pension lorsqu’elle atteindra l’âge de 65 ans. Un mois plus tard, l’Office National des Pensions lui annonce un paiement de l’ordre de 785 € par mois. La lettre contenant ladite information précise qu’il s’agit d’une évaluation et qu’elle n’ouvre pas le droit à la pension elle-même. En mai 2007, l’Office, ré interpellé par l’intéressée, lui annonce une deuxième estimation, d’un montant supérieur, soit d’environ 885 €.

Sur la base de celle-ci, l’intéressée prend sa pension à partir de juillet 2007 et perçoit la pension annoncée dans la deuxième estimation.

En octobre 2007, elle demande à l’ONP de revoir sa décision, rétroactivement, soit à partir du 1er juillet 2005, ce que l’Office refuse au motif que la revision n’est pas possible.

Position des parties devant le tribunal

La demanderesse fait valoir qu’elle avait atteint l’âge de 60 ans le 10 juin 2005, raison de sa première demande d’évaluation en décembre 2004. Sur la base de l’information obtenue, elle avait conclu que, cette pension étant inférieure à son allocation de chômage, il n’était pas de son intérêt de la demander. Elle poursuit qu’il est apparu ultérieurement qu’elle avait droit à un minimum de pension pour une carrière complète, celui-ci aboutissant à un montant plus élevé que l’allocation de chômage. Elle conclut à la responsabilité de l’institution de sécurité sociale suite à l’information erronée donnée. Pour elle, il y a manquement à l’article 3 de la Charte. Le fait qu’il s’agisse d’une évaluation ne peut dispenser l’Office de son obligation de respecter cette disposition. Elle sollicite, en conséquence, réparation en nature à savoir l’octroi de sa pension de retraite avec effet rétroactif au 1er juillet 2005. A titre subsidiaire, elle demande la différence entre les allocations de chômage et la pension de retraite.

L’Office conteste la compétence matérielle du tribunal du travail, s’agissant d’une action basée sur l’article 1382 du Code judiciaire et donc, pour lui, de la compétence du tribunal de première instance. À titre subsidiaire, il fait valoir qu’il n’a pas fourni une information erronée et il insiste sur le fait qu’il s’agit d’une évaluation, devant servir d’indication. Pour lui, la demanderesse aurait dû introduire une demande de pension au sens légal. Il fait encore valoir que la date de prise de cours de la pension ne peut pas rétroagir avant le premier jour du mois suivant celui où la demande a été introduite (argumentation au principal) et ce d’autant qu’il conteste avoir commis une faute (argumentation développée à titre subsidiaire).

Position du tribunal

Le tribunal considère que la compétence matérielle des cours et tribunaux est à apprécier au moment de l’introduction de la demande (le tribunal rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation, étant essentiellement Cass., 9 janvier 1989, Arr. Cass. 1988-1989, p. 549 et Cass. 22 octobre 1981, Arr. Cass. 1981-1982, p. 282). Reprenant d’autres arrêts (Cass. 13 octobre 1997, Arr. Cass. 1997, p. 401 et Cass. 8 septembre 1978, R.W. 1978-1979, p. 960, note J. Laenens), il poursuit que la compétence matérielle est déterminée en fonction de l’objet de la demande tel qu’il ressort de l’acte introductif. En l’espèce, l’objet de la demande vise la décision de l’Office National des Pensions, dont la demanderesse sollicite qu’elle soit annulée. Celle-ci a demandé que son droit à une pension soit reconnu à partir du 1er juillet 2005 (révision), demande qui a été rejetée par l’Office dans la décision administrative contestée.

Il en découle que le tribunal est compétent en application de l’article 580, 2° du Code judiciaire s’agissant d’une contestation relative au droit à une pension de travailleur salarié. Le fait que la réparation en nature soit demandée, du fait de la perte de la pension due à une appréciation fautive n’est pas susceptible de modifier la chose. Le tribunal rappelle également la jurisprudence selon laquelle les juridictions du travail sont également compétentes pour les questions de responsabilité des institutions de sécurité sociale dans le cadre de l’exercice de leurs missions à l’égard des assurés sociaux (Tribunal d’arrondissement de Mons, 27 juin 2008, Chron. Dr. soc. 2008, p. 156).

En ce qui concerne le fond, le tribunal examine les éléments de l’espèce, dont il ressort que l’Office disposait (ou devait disposer) de tous les renseignements relatifs au passé professionnel de l’intéressée au moment de sa première demande.

Le montant de la pension minimum est, en effet, un élément connu de l’Office des pensions et il constitue un élément essentiel dans le calcul de la pension, devant permettre à l’assuré social de prendre sa décision en connaissance de cause. Le tribunal rappelle le 2e alinéa de l’article 3 de la Charte, selon lequel l’information doit être suffisamment précise et complète pour permettre à l’assuré social d’exercer ses droits et ses obligations.

Par ailleurs, l’arrêté royal du 12 décembre 1997 (art. 4 et 6) qui a exécuté l’article 4, 3e alinéa de l’arrêté royal du 25 avril 1997 instituant le service ’Info pensions’ est intervenu en application de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions. Il dispose que pour la partie de la carrière pour laquelle les données relatives aux services et aux revenus à prendre en considération ne sont pas disponibles au moment où il est procédé à l’estimation du droit à la pension, il est tenu compte des hypothèses précisées dans la réponse (art. 4) et que l’estimation fournie doit mentionner le montant annuel brut de la pension visé dans la demande (art. 6). En conséquence, le calcul préalable à la demande de pension doit être suffisamment précis pour permettre à l’assuré social de décider en connaissance de cause. La faute de l’Office est, en l’occurrence, établie.

En ce qui concerne la réparation, le tribunal relève qu’il ne peut ordonner la prise de cours rétroactive de la pension à la date du 1er juillet 2005 et que, sur ce point la décision administrative doit être confirmée. En outre, l’intéressée ayant perçu des allocations de chômage pendant cette période, celles-ci ne peuvent être cumulées avec la pension. Cependant, le tribunal considère que, tout en ne pouvant réclamer le paiement complet de la différence entre le montant de la pension et les allocations de chômage, elle a cependant perdu une chance de pouvoir prendre sa pension de retraite à partir du 1er juillet 2005. Le tribunal considère en effet qu’il ne peut être déterminé, avec une certitude absolue, si celle-ci aurait été prise, à supposer que l’information correcte ait été donnée.

Reprenant encore la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 4 mars 1975, Pas., 1975, I, p. 682), le tribunal estime qu’il peut décider souverainement de la réparation de la faute, sur la base de la perte de chance. En l’occurrence, il estime que la réparation doit intervenir ex aequo et bono et il accorde un montant forfaitaire de 750€.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est de reconnaître à l’évaluation de pension communiquée par le service Info pensions la nature d’information au sens de la Charte de l’assuré social.

Toute faute qui serait commise dans l’information donnée peut, en conséquence, faire l’objet des sanctions pour information erronée.


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