Terralaboris asbl

Récupération de l’indu en cas d’absence de manœuvres frauduleuses

Commentaire de C. trav. Mons, 18 février 2009, R.G. 20.564

Mis en ligne le mardi 4 août 2009


Cour du travail de Mons, 18 février 2009, R.G. 20.564

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt du 18 février 2009, la Cour du travail de Mons a fixé les droits d’une assurée sociale confrontée à une demande de récupération d’indu. Comme l’avait rappelé la Cour de cassation en la même espèce, la Cour du travail reprend les conditions exigées pour constater la bonne foi ou les manœuvres frauduleuses. Elle revient également sur les conditions de l’article 100 § 2 et de l’article 101 de la loi coordonnée.

Les faits

Une dame C. constitua en 1989 une SCRL avec des membres de sa famille et devint administratrice-déléguée, assumant ainsi la gestion journalière de la société. Elle fut également engagée en qualité de travailleuse salariée à ¾ temps par celle-ci.

En 1992, elle fut reconnue en incapacité de travail.

Malgré cet état, il appert, suite à un contrôle effectué en 1998, qu’elle avait poursuivi son activité d’administratrice-déléguée et ce sans autorisation préalable. Elle fut donc considérée par le médecin-inspecteur principal de l’INAMI comme ayant repris un travail non autorisé au cours d’une période d’incapacité de travail, mettant ainsi fin à celle-ci. Elle pouvait, cependant selon lui, bénéficier des avantages de l’article 101 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 si elle en faisait la demande, son incapacité de travail étant réduite de 50% au moins sur le plan médical pour la période du 15 avril 1992 au 4 juin 1998. Le CMI estima, ensuite, qu’elle n’était plus incapable de travailler au sens de l’article 100.

L’intéressée remit un certificat de rechute en date du 18 août 1998. Celui-ci fut accepté par la médecin-conseil de la mutuelle. La fin de l’incapacité fut cependant décidée en date du 7 septembre 1998 par celui-ci. Se posa alors la question de savoir si elle ne pouvait bénéficier de l’article 101, question à laquelle le médecin-conseil répondit négativement, dans la mesure où l’activité décrite au sein du rapport d’enquête dressé par le contrôleur adjoint de l’INAMI était trop importante et ne pouvait justifier une réduction de 50% de la capacité de gain. Il notifia, dès lors, en date du 11 décembre 1998, une décision par laquelle il constatait une reprise d’une activité non autorisée à partir du 15 avril 1992.

Le 29 janvier 1999, l’UNMS notifia une décision de récupération d’indu de l’ordre de 35.000€.

La procédure

La procédure fut longue et complexe, les deux parties (organisme assureur et assurée sociale) ayant introduit divers recours, le premier aux fins d’obtenir la récupération de l’indu et la seconde aux fins de contester les décisions qui lui furent notifiées.

La décision du tribunal du travail

Le premier juge (tribunal du travail de Nivelles) considéra par jugement du 14 janvier 2003 que l’intéressée était de bonne foi et que seul un délai de deux ans pouvait trouver à s’appliquer pour la récupération de l’indu.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles

Dans un arrêt du 3 mars 2005, la Cour du travail de Bruxelles, saisie de l’appel de l’Organisme assureur – appel limité à l’existence de manoeuvres frauduleuses – retint l’existence de telles manœuvres et admit un délai de cinq ans.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation fut saisie à l’initiative de la dame C. et cassa, par arrêt du 4 décembre 2006, l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles sur le fond au motif que la Cour n’avait pas pu légalement déduire l’existence de manœuvres frauduleuses ayant provoqué l’octroi de prestations indues ni de la considération selon laquelle l’intéressée pouvait se renseigner quant à l’étendue de ses obligations à l’égard de son Organisme assureur ni de la constatation selon laquelle elle n’avait pas déclaré à celui-ci la poursuite d’une activité, ni encore d’aucun autre fait relevé par l’arrêt.

La position des parties devant la Cour du travail de Mons

Devant la Cour du travail de Mons, la mutuelle relevait que l’intéressée ne contestait plus l’exercice par ses soins d’une activité pendant la période couverte par les indemnités d’incapacité de travail, tout concordant, par ailleurs, pour retenir une activité régulière. Mais c’est sur les manœuvres frauduleuses que portait l’essentiel de l’argumentation de la mutuelle, celle-ci se fondant sur l’arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 1993 (Cass., 4 janvier 1993, R.G. 8091), selon lequel une omission de déclaration peut se révéler frauduleuse de telle sorte qu’il ne faut pas nécessairement poser des actes positifs (production de faux documents ou de fausses déclarations), une abstention pouvant suffire à condition de démontrer son caractère frauduleux. Ainsi, dans l’hypothèse d’une stratégie globale visant consciemment à cumuler des indemnités d’incapacité de travail et d’autres revenus professionnels ou encore si l’assuré sait qu’il sera sanctionné si ses activités sont découvertes.

Relevant les éléments de fait du dossier (le fait que l’intéressée a reconnu les faits sans contestation aucune), l’organisme assureur concluait qu’il y avait dans le chef de celle-ci une stratégie consistant à soutenir qu’elle ne savait rien, qu’elle avait été mal conseillée, …

L’intéressée faisait, quant à elle valoir sa bonne foi (absence de malice, absence de volonté de tromper ’délibérément et sciemment’ en vue de conserver le bénéfice d’indemnités d’incapacité de travail).

L’arrêt de la Cour du travail de Mons

La Cour du travail rappelle la définition de la cessation visée par l’article 100 § 1 de la loi coordonnée, étant qu’il faut avoir mis fin à toute activité professionnelle principale ou accessoire et même à une activité de type non professionnel pour laquelle le titulaire ne perçoit pas une rémunération ou un revenu en espèces mais ne fait que l’économie de dépenses, ce qui augmente indirectement son patrimoine. Le travail est toute activité à caractère productif effectuée dans le cadre de relations sociales, et ce même si elle est accomplie sans rémunération au titre de service d’amis (Cass. 18 mai 1992, Larcier Cass., 1992, n° 518). L’incapacité de travail est cependant maintenue en cas de reprise, mais à la condition d’être conforme aux articles 100 § 2 et 101 de la loi coordonnée. Ceci implique qu’elle doit avoir été immédiatement précédée d’une période d’incapacité de travail avec cessation complète d’activité. Le bénéfice des articles 100 § 2 et 101 ne peut être réclamé que si l’assuré social a d’abord été soumis au régime de l’article 100 § 1. Pour la Cour il en résulte que le médecin-conseil ne pouvait situer à une même date le début de l’incapacité reconnue et la reprise de travail autorisé. L’activité ayant incontestablement été orientée vers la production de biens et de services et ayant permis à l’intéressée de retirer un profit économique pour elle-même ou pour autrui, il y a activité au sens légal. Il importe dès lors peu que celle-ci ait un caractère accessoire ou non.

Quant à l’existence de manœuvres frauduleuses destinées à dissimuler l’activité de gérance, la Cour rappelle l’article 174 alinéa 1er, 5° et 6° de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, définissant les délais de prescription. Elle détaille ensuite longuement la doctrine en matière de dol et de fraude en sécurité sociale, rappelant que la fraude ne se présume pas, de telle sorte que la charge de la preuve de l’existence de manœuvres frauduleuses dans le chef de l’assuré social incombe à l’organisme de sécurité sociale. Or, la Cour de cassation a précisé dans son arrêt du 4 décembre 2006 que celle-ci ne pouvait être déduite du fait que l’intéressée aurait pu se renseigner ou de la circonstance qu’elle n’avait pas déclaré la poursuite de son activité.

Elle conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce manœuvres frauduleuses ni par le fait de poser des actes positifs ni par l’adoption d’une attitude passive révélant une intention de tromper l’organisme assureur en vue d’obtenir sciemment et délibérément un profit illicite. La Cour reprend, pour asseoir sa conviction, divers éléments de fait du dossier.

En conséquence, les indemnités d’incapacité perçues indûment peuvent être réclamées par la mutuelle mais ne vont couvrir qu’un délai de deux ans à compter de la fin du mois au cours duquel le paiement des indemnités a été effectué.

Intérêt de la décision

La décision reprend, dans la rigueur des principes, les notions de bonne foi et de manœuvres frauduleuses. Si celles-ci peuvent viser une attitude passive, cette attitude doit néanmoins révéler une volonté de tromper l’organisme assureur, ce qu’il appartiendra au juge du fond de décider souverainement.

Par ailleurs, l’arrêt contient un bref rappel des conditions d’application de l’article 100 § 2 et de l’article 101 de la loi coordonnée.


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