Terralaboris asbl

Une réorganisation invoquée comme étant le motif du licenciement doit être prouvée à suffisance de droit

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 15 juin 2009, R.G. 18.721/01

Mis en ligne le mardi 11 août 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 15 juin 2009, R.G. n° 18.721/01

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un jugement du 15 juin 2009, le tribunal du travail de Bruxelles, a considéré non avérée une réorganisation présentée comme étant le motif du licenciement dès lors que l’employeur ne dépose aucune pièce probante de la situation vantée.

Les faits

Un ouvrier est engagé en qualité de manœuvre pour une entreprise verrière. Il est occupé, contractuellement, au chargement et déchargement des camions à l’aide d’un pont roulant et/ou d’un clark.

Huit ans plus tard, la société déménage, et un an environ après ce déménagement, l’ouvrier est licencié moyennant paiement d’une indemnité compensatoire, au motif de réorganisation (C4). Le travailleur est remplacé, au moins pour partie.

Interpellée sur le motif du licenciement, la société fait valoir d’une part le déménagement et d’autre part l’installation de nouveaux systèmes informatiques ayant pour conséquence de repenser complètement la manière de travailler, avec des exigences plus élevées vis-à-vis du personnel.

L’ouvrier conteste ne pas avoir eu les compétences pour continuer à occuper la fonction. Il introduit un recours devant le tribunal du travail.

La position du tribunal

Le tribunal rappelle les principes guidant la matière, étant d’une part l’existence d’une présomption juris tantum de licenciement abusif d’autre part et la règle selon laquelle, en cas de doute, celui-ci doit profiter au travailleur.

En ce qui concerne les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, celles-ci doivent s’apprécier à la date du licenciement. L’office du juge est double : il s’agit de vérifier la réalité des nécessités de fonctionnement invoquées et de voir si le licenciement est réellement fondé sur ces nécessités. Il ne suffit, dès lors, pas d’invoquer une « restructuration » ou une « réorganisation » comme motif de licenciement. Celles-ci doivent être réelles et impliquer la nécessité de licencier le travailleur concerné. En cas de motif lié à l’aptitude, il faut vérifier les faits invoqués et voir s’ils ont fondé le licenciement.

En l’espèce, le tribunal énonce comme suit la position de parties :

  • L’employeur (qui a la charge de la preuve) renvoie à des rapports de gestion de l’année du déménagement et de l’année suivante, faisant état d’une importante réorganisation de la société ayant trouvé sa cause dans le déménagement lui-même. Dans le cadre de la compression qu’il qualifie de nécessaire de son personnel (qu’il dit établir en déposant des extraits du registre du personnel dont il ressort pour une certaine période un nombre de départs de 11 contre un nombre d’entrées en service de 5), le licenciement s’imposait et il est seul à pouvoir apprécier les besoins de son entreprise. Pour lui, le choix du travailleur à licencier s’est porté sur le moins apte à s’insérer dans l’entreprise après la restructuration. Il fait valoir l’introduction du système informatique, qui a impliqué une réorganisation du travail, étant que les bons de travail remis au magasinier ont changé au niveau du descriptif des produits et que le niveau de connaissance de la langue française dans le chef de l’ouvrier ne lui permettait pas de lire ces nouveaux bons. La fonction de celui-ci n’a pas disparu mais ses modalités d’exercice en ont profondément été modifiées.
  • L’ouvrier rétorque que la réorganisation n’est nullement établie, le déménagement en lui-même ne pouvant signifier qu’une modification dans l’organisation de l’entreprise (fonctions du personnel et du travailleur licencié, plus précisément) serait intervenue et que, par ailleurs, aucune preuve n’est apportée de la mise en place d’un nouveau système informatique avec changement concret de la fonction, réalisation par la société d’un « upgrading » du personnel, etc.

De ceci, le tribunal retient l’existence de perturbations étant d’une part transfert d’une partie de l’activité (découpe industrielle) vers Charleroi, déménagement et explosion d’un autre secteur (activité pose). Ces perturbations ne valent, cependant, pas réorganisation et n’impliquent pas en elles-mêmes une compression de personnel.

Quant aux entrées et sorties, le tribunal estime les explications données sans pertinence. Il retient, d’abord, le défaut de précision des chiffres (la date de début de la période prise en compte n’ayant même pas été communiquée), de telle sorte qu’il s’agit de données brutes du registre du personnel. Il estime par ailleurs qu’à supposer qu’ils traduisent effectivement une tendance, ils ne signifient pour autant une politique voulue de compression de personnel, celle-ci n’étant étayée par aucune pièce du dossier. Il constate par ailleurs que, pendant une période de sept mois, incluant la date de licenciement, il y a eu engagement de sept travailleurs et départ de cinq autres. Pour le tribunal, de tels chiffres sont loin de refléter la compression de personnel prétendument rendue nécessaire au moment du licenciement.

Les nécessités de fonctionnement ne sont dès lors nullement établies.

Enfin, rien n’est déposé, permettant de corroborer les affirmations de la société sur le nouveau système introduit et les difficultés prétendument rencontrées par l’ouvrier pour s’y adapter. Le motif lié à l’aptitude n’est dès lors pas établi.

Le tribunal va, ensuite, trancher deux aspects intéressants, liés à l’indemnité pour licenciement abusif.

En celui qui concerne, d’abord, la nature de l’indemnité, le tribunal retient qu’elle est une rémunération au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965, tout comme l’indemnité compensatoire de préavis. Il estime que la disposition protectrice de l’article 63 (qui implique une motivation à posteriori du licenciement et le contrôle judiciaire de celle-ci) tente d’instaurer une meilleure stabilité de l’emploi et qu’il est dès lors difficile d’admettre qu’elle réparerait un dommage purement moral. Tout comme l’indemnité compensatoire de préavis, il s’agit de la réparation forfaitaire d’un dommage spécifique, tant matériel que moral qui résulte du non respect de la règle.

Par ailleurs, le tribunal tranche, dans la foulée, la question de la base de calcul des intérêts sur l’indemnité, étant qu’à partir du moment où il s’agit d’une indemnité rémunératoire, l’intérêt est dû de plein droit à dater de son exigibilité, c’est-à-dire à dater du licenciement.

L’article 82 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises, qui a modifié l’article 10 de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération pose le principe que les intérêts sont calculés sur la rémunération brute. Cette modification étant entrée en vigueur le 1er juillet 2005 (voir les articles 69 et 70 de la loi du 8 juin 2008 portant des dispositions diverses), la nouvelle disposition est applicable uniquement à compter du 1er juillet 2005. Pour la période antérieure, des intérêts moratoires sot dus sur le montant net, après déduction des retenues. En l’espèce aucune cotisation de sécurité sociale n’est cependant due, vu l’article 14 de la loi du 27 juin 1969 revisant l’arrêté loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs salariés. En conséquence, des intérêts moratoires calculés au taux légal sont dus à compter de la rupture, après déduction des retenues fiscales obligatoires éventuelles et à compter du 1er juillet 2005 jusqu’au parfait paiement sur le brut.

Intérêt de la décision

La décision commentée rappelle l’exigence pour l’employeur qui licencie un ouvrier de pouvoir établir la réalité du motif invoqué, celle-ci devant être confirmée par tous éléments susceptibles d’emporter la conviction du tribunal, quant à l’existence du motif. En l’espèce, la société s’est fondée sur des éléments élaborés unilatéralement et aucunement susceptible de conduire à la reconnaissance de nécessités de fonctionnement ayant justifié le licenciement du travailleur concerné. Faisant également référence à des problèmes d’aptitude pour l’exécution de ses prestations, au même poste, mais après l’introduction de nouvelles technologies, la société est restée en défaut d’établir que cette inaptitude serait avérée. Aucun des deux angles d’approche du motif licite n’a dès lors été retenu.


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