Terralaboris asbl

Illicéité de l’inclusion des pécules de vacances (et de la prime de fin d’année) dans la rémunération variable

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 31 mars 2009, R.G. 14.270/07

Mis en ligne le jeudi 3 septembre 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 31 mars 2009, R.G. n° 14.270/07

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un jugement particulièrement fouillé du 31 mars 2009, le tribunal du travail de Bruxelles rappelle la problématique liée à la question : les dispositions en cause sont-elles d’ordre public ou simplement impératives ?

Les faits

Un représentant de commerce signe, au cours de sa carrière, divers avenants à son contrat de travail, dans lesquels il est convenu que le montant des commissions inclura également le treizième mois ainsi que le pécule de vacances.

En 2006, l’employé démissionne et deux documents sont signés avec mention « pour accord ». L’un de ceux-ci est une convention par laquelle l’employeur renonce à l’application de la clause de non–concurrence et accepte de payer dans les plus brefs délais le solde des commissions dues après contrôle des dossiers. Les parties y ajoutent une renonciation, actant que tous leurs droits respectifs ont été respectés et qu’elles renoncent donc à toute poursuite éventuelle concernant le contrat de travail.

La société tombera ultérieurement en faillite et le travailleur va réclamer, via son organisation syndicale, par le biais d’une déclaration de créance, le paiement des pécules des vacances et primes de fin d’année depuis le début des prestations jusqu’à la rupture. Ces montants visent la rémunération variable. Les parties sont renvoyées devant le tribunal du travail par le tribunal de commerce, vu la contestation de la créance par le curateur, au vu de la convention signée.

La position du tribunal

En ce qui concerne la validité des clauses d’inclusion insérées successivement dans les avenants au contrat de travail, le tribunal considère qu’elles ont contrevenu aux dispositions légales en matière de vacances annuelles ainsi qu’aux dispositions de la convention collective de travail du 29 mai 1989 relative aux primes de fin d’année (C.P. 218). Pour le tribunal, il s’agit de dispositions impératives.

Par ailleurs, que le travailleur n’ait pas protesté en cours d’exécution du contrat de travail n’implique pas une renonciation tacite à se prévaloir des droits puisés à la fois dans les lois coordonnées sur les vacances annuelles et dans la C.C.T. du 29 mai 1989.

Quant à la convention signée en fin de contrat, qui s’analyse en une transaction, le tribunal considère d’une part qu’elle n’est pas entachée d’un vice de consentement, ainsi que le plaidait le demandeur, et d’autre part qu’elle n’est pas équivoque, puisque les parties ont clairement déclaré que tous leurs droits respectifs avaient été respectés et qu’elles ont inclus une renonciation.

Cependant, reste encore à savoir si cette convention est valable, au sens de l’article 1108 du Code civil, qui exige le consentement de la partie qui s’oblige, sa capacité de contracter, un objet certain qui forme la matière de l’engagement et une cause licite dans l’obligation.

Le tribunal rappelle la controverse sur le caractère de dispositions impératives ou d’ordre public des questions faisant l’objet de la renonciation. L’intérêt de la distinction entre normes de droit public et normes impératifs est évident : il est interdit, en toute circonstance et même après la rupture du contrat de travail, de renoncer au premières ; il est cependant permis de renoncer à la protection qu’offrent les secondes une fois disparue sa raison d’être qui est l’existence du lien de subordination.

Le tribunal rappelle dans une motivation particulièrement fouillée et documentée les éléments de la controverse relative aux transactions et conventions conclues à la fin des relations de travail, puisque les normes d’ordre public ne peuvent pas faire l’objet de celles-ci, à la différence des dispositions impératives, qui ne sont établies que pour la protection d’intérêts privés.

Le tribunal reprend dans le plus grand détail la controverse en jurisprudence relative aux critères de rattachement d’une norme à la catégorie de dispositions impératives ou de dispositions d’ordre public, et ce plus précisément en ce qui concerne les dispositions relatives aux pécules de vacances.

Le tribunal définit alors sa position sur cette question et se prononce en faveur du caractère d’ordre public de ces dispositions protectrices. Il motive longuement sa conclusion, en se référant aux liens entretenus avec la sécurité sociale, aux exigences de garantie de l’effectivité du droit social, aux exigences de cohérence de la législation et enfin à la dimension communautaire de la question.

Sur les liens avec la sécurité sociale, il relève que le régime du pécule de vacances des employés entretient des liens étroits avec la sécurité sociale, vu les cotisations sociales à verser. Il reprend à cet égard l’opinion de J.-F. NEVEN (J.-F. NEVEN, « Transactions et conventions conclues au moment de la fin des relations de travail », Ors., 1999, 225), pour qui les pécules de vacances résultent de dispositions d’ordre public.

C’est, par ailleurs, la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a particulièrement dans son arrêt du 16 novembre 1994 (J.T., 1995, 297) conféré aux dispositions légales relatives aux vacances annuelles le caractère de loi de police et de sûreté au motif qu’elles organisent la protection des travailleurs. Pour le tribunal elles visent également l’intérêt général, qui consiste d’une part à assurer la garantie du financement de la sécurité sociale et d’autre part à éviter des distorsions relatives aux règles destinées à assurer la libre concurrence des acteurs économiques.

Rappelant par ailleurs la doctrine de Mme JAMOULLE (M. JAMOULLE, « Le contrat de travail, tome I, n° 257, p. 326) selon laquelle le bloc formé par la plupart des lois sociales et les conventions collectives participent de l’ordre public de protection, le tribunal souligne que les dispositions légales en cause contribuent à l’organisation économique et sociale du pays. Doivent, en conséquence, être considérées comme d’ordre public les dispositions qui au sens de la jurisprudence communautaire répondent à des « raisons impérieuses d’intérêt général » (le tribunal s’étant référé, dans l’exposé des principes, notamment à l’arrêt Arblade de la Cour de Justice des Communautés européennes (ainsi qu’à l’ensemble de la jurisprudence en cause – arrêts Webb, Seco et Desquenne, Rush Portuguesa et Guyot).

Relevant enfin que la matière des vacances annuelles est soumise aux dispositions de la Directive C.E. n° 2003/88 sur l’aménagement du temps de travail et sur la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, qui a notamment condamné le régime anglais du « Rolled-up holliday pay » (qui consiste à inclure la rémunération du congé annuel dans le salaire horaire ou journalier), le tribunal conclut que l’enseignement de cet arrêt trouve à s’appliquer à la clause d’inclusion qui fait l’objet du litige, et ce même s’il ne s’agit en l’espèce que de l’inclusion du pécule dans une partie de la rémunération, étant la rémunération variable.

Intérêt de la décision

Cette décision est d’un intérêt considérable.

Elle est une mine de références, en droit belge et communautaire, sur les principes applicables.

Nul doute qu’elle sera utile à plus d’un praticien, le type de clauses visées étant relativement fréquent, surtout dans les contrats d’inspiration de droit anglo-saxon.


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