Terralaboris asbl

Guérison sans séquelles : preuve de la notification de la décision

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 avril 2007, R.G. 37.220

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du travail de Bruxelles, 30 avril 2007, R.G. n° 37.220

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 30 avril 2007, la 5e chambre de la cour du travail de Bruxelles a rappelé que, en cas de défaut de preuve suffisante de la notification d’une décision de guérison sans séquelles, cette décision, produite par l’entreprise d’assurances, ne peut sortir ses effets, sur le plan de la prescription.

Les faits

L’intéressée fut victime d’un accident du travail le 11 mars 1993. Elle était caissière dans une grande surface à Molenbeek et fut victime d’un hold-up.

La déclaration d’accident fut transmise le 19 mars à l’entreprise d’assurances et celle-ci accepta l’accident, de même que la période d’incapacité temporaire qui s’ensuivit, d’une durée d’environ trois semaines. L’intéressée reprit le travail le 6 avril 1993. L’entreprise d’assurances notifia une décision de guérison sans séquelles le 16 juin 1993. C’est celle-ci qui fait l’objet de la contestation judiciaire. La travailleuse fait en effet valoir qu’elle a été en incapacité de travail pendant plusieurs périodes en 1994, qu’elle est encore retombée en incapacité en 1995, pour plusieurs mois, cette nouvelle période étant imputée, par son médecin traitant, à l’accident. Pendant celle-ci, l’entreprise d’assurances écrit à l’intéressée, faisant des réserves, au motif d’informations insuffisantes et, le 26 juin 1995, la convoque pour un examen médical chez son médecin conseil. Suite à cet examen, elle lui écrira le 1er septembre 1995 confirmant sa décision de guérison sans séquelles à la date du 16 juin 1993.

L’intéressée prend conseil et un courrier est envoyé à l’entreprise d’assurances le 6 février 1997, demandant copie de la lettre du 16 juin 1993, dont l’intéressée dit ne pas se souvenir qu’elle l’aurait reçue.

Le 7 juillet 1997, citation est lancée, demandant la désignation d’un expert afin de donner un avis sur les séquelles de l’accident.

La position du tribunal

Le premier juge a considéré la demande prescrite.

La position des parties devant la Cour

L’appelante considère, sur la prescription, que le délai prévu à l’article 69 de la loi a commencé à courir le 16 mars et que celle-ci a été interrompue le 26 juin 1995 par la lettre de l’entreprise d’assurances convoquant la travailleuse pour un examen médical, convocation sans réserve. Pour celle-ci, il y avait reconnaissance de son droit au sens de l’article 2244 du Code civil.

Elle ajoute que le délai prévu à l’article 72 de la loi, délai de révision, n’a commencé à courir que le 1er septembre 1995, étant la date à laquelle l’entreprise d’assurances a refusé la nouvelle période d’incapacité de travail. Elle affirme ne pas avoir pris connaissance de la décision du 16 juin 1993, notifiant une guérison sans séquelles.

Sur le fond, elle produit des éléments permettant d’établir l’aggravation de son état par rapport à ce qui avait été constaté précédemment.

L’entreprise d’assurances soutient, quant à elle, qu’il y a prescription, vu que, en vertu de l’article 70 de la loi, il ne peut y avoir interruption de celle-ci que par des paiements, ceux-ci étant en l’occurrence intervenus jusqu’au 6 avril 1993. La prescription est ainsi acquise depuis le 6 avril 1996. Pour l’entreprise d’assurances, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que la prescription d’une demande en paiement des indemnités concernant des périodes successives d’incapacité de travail dues au même accident commence à courir à partir du jour de la première de ces incapacités. Elle souligne également que, depuis l’arrêt de la Cour suprême du 13 mai 2002 (Bull. Ass. 2002, p. 340), le délai de trois ans prévu à l’article 72, alinéa 2 de la loi n’est pas un délai de prescription mais un délai préfixe et que celui-ci a commencé à courir le 16 juin 1993, date de la notification de la décision de guérison sans séquelles.

Pour l’entreprise d’assurances, c’est à tort que la travailleuse fait courir le délai de trois ans (qualifié à tort par elle de délai de révision) à partir du 1er septembre 1995. La lettre adressée par elle-même, à cette date, ne peut pas être considérée comme un acte interruptif. Rappelant de la jurisprudence de juges du fond, l’entreprise d’assurances fait valoir que la lettre par laquelle il est notifié que les indemnités sont refusées ne peut pas être considérée comme une reconnaissance en matière de prescription.

La position de la Cour

La Cour rappelle les principes régissant la combinaison des articles 69, 72, alinéa 1er et 72, alinéa 2 de la loi.

Elle reprend ensuite l’article 2 de l’arrêté royal du 16 décembre 1987 pris en exécution de l’article 24, § 1er de la loi (applicable à l’époque et remplacé actuellement par un arrêté royal du 9 octobre 2003 – M.B. du 21 novembre 2003). Il s’agit de la disposition relative à la notification d’une décision de guérison sans séquelles lorsque l’incapacité de travail temporaire dure plus de sept jours. En vertu de cette disposition telle qu’elle était en vigueur à l’époque, cette décision doit être communiquée par lettre séparée et la date mentionnée sur cette lettre vaut comme date de départ du délai prévu à l’article 72 de la loi.

La Cour relève que, en l’espèce, la charge de la preuve repose sur l’entreprise d’assurances, en ce qui concerne l’envoi de cette décision, étant qu’elle a porté celle-ci à la connaissance de l’intéressée par un courrier séparé.

La Cour va conclure que cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce. Ni le fait que l’entreprise d’assurances aurait envoyé d’autres courriers à l’intéressée, ni le fait que la travailleuse, après avoir pris conseil, fit valoir qu’elle n’avait pas reçu le courrier du 16 juin 1993, ni encore l’attestation de son propre médecin ne suffisent, isolément ou ensemble, à établir que l’entreprise d’assurances aurait communiqué à l’appelante, par courrier séparé, sa décision de guérison sans séquelles.

Ce n’est que par sa lettre du 1er septembre 1995 que cette décision est confirmée (selon les termes de l’entreprise d’assurances) et que, de ce fait, l’appelante a pu être valablement informée. C’est à partir de cette date que le délai de trois ans a débuté.

Le recours n’est dès lors pas prescrit.

La Cour va, en conséquence, désigner un expert quant au fond.

Intérêt de la décision

L’intérêt de cette décision est de rappeler, une fois encore, les difficultés liées à l’absence d’exigence de notification d’une décision par courrier recommandé, dès lors que celle-ci fait courir un délai. Dans cette hypothèse, la preuve de la notification incombe à l’institution de sécurité sociale.


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