Terralaboris asbl

La demande en justice d’un assuré social domicilié en région flamande peut-elle être introduite et instruite en français ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 septembre 2009, R.G. 49.790

Mis en ligne le jeudi 10 décembre 2009


Cour du travail de Bruxelles, 9 septembre 2009, R.G. n° 49.790

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un arrêt du 9 septembre 2009, la Cour du travail de Bruxelles admet qu’une demande en justice contre une décision de l’INAMI peut être formée en français par un assuré social domicilié en dehors de l’agglomération bruxelloise.

Les faits

Monsieur V., domicilié dans une commune flamande sise en dehors de l’agglomération bruxelloise introduit devant le tribunal du travail une demande en vue de faire mettre à néant une décision de l’INAMI mettant fin à son incapacité de travail.

La demande est introduite en français.

Position du tribunal

Par jugement du 15 mars 2007, le tribunal du travail dit pour droit que la requête pouvait être introduite en français et que la cause se poursuivra dans cette langue conformément à l’article 4 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire.

Position des parties en appel

L’INAMI interjette appel, faisant valoir la nullité de la requête, sur la base de l’article 3, alinéa 2 de la loi du 15 juin 1935.

Position de la Cour

La Cour reprend les dispositions applicables, rappelant la compétence du tribunal du travail, en vertu de l’article 580, 2° du Code judiciaire pour toutes contestations relatives aux droits et obligations des travailleurs salariés résultant de lois et règlements en matière d’assurance obligatoire maladie-invalidité.

En vertu de l’article 628, 4° du même Code, lorsqu’il s’agit d’une telle contestation, le juge compétent est le juge du domicile de l’assuré social. La Cour rappelle le caractère impératif de cet article, admis par l’ensemble de la doctrine, et relève qu’il a pour effet de protéger des intérêts privés, les articles 627 à 629 du Code judiciaire ayant pour but d’éviter, selon le rapport VAN REEPINGHEN (Rapport sur la réforme judiciaire, Bruylant, 1967, pp. 401-402, cité par l’arrêt), l’inconvénient dommageable sinon les abus qui pourraient résulter notamment de contrats d’adhésion.

La Cour relève que rien ne s’oppose cependant à ce que, en connaissance de cause et après la naissance du litige, les parties conviennent d’y déroger, et ce dans l’intérêt commun, notamment en comparaissant volontairement devant une juridiction déterminée. Le juge ne peut soulever d’office l’exception, puisqu’il s’agit de la protection d’intérêts privés.

Pour la Cour, le législateur a également voulu centraliser les contentieux du travail (art. 627, 9°) et des accidents du travail, des maladies professionnelles et de la sécurité sociale (art. 628, 14°). Pour le contentieux du travail, c’est le lieu d’exercice réel de la profession du travailleur, ce lieu étant choisi dans un but de simplification mais également de spécialisation du juge d’après le genre d’activité propre à la région et la Cour, qui cite ici encore le rapport VAN REEPINGHEN (p. 402), souligne en note que ce dernier objectif pourrait être dépassé aujourd’hui.

Cet objectif d’organisation judiciaire est atteint par le choix d’une règle impérative et non d’ordre public. Pour la Cour, en choisissant la compétence territoriale dans les articles 627 et 629 du Code judiciaire, soumis à l’article 630 et non aux articles 631 et suivants du Code judiciaire (qui ne sont pas soumis à l’article 630, sont d’ordre public et obligent le juge vérifier sa compétence d’office), le législateur a fait un choix, permettant ainsi à la partie protégée de renoncer à l’article 628, 14°.

Et la Cour poursuit que cet article est impératif en faveur du seul assuré social. C’est en effet lui et non l’institution de sécurité sociale que le législateur a voulu protéger de conséquences dommageables et d’abus. La Cour invoque un jugement du tribunal de commerce de Hasselt (Comm. Hasselt, 16 sept. 1998, R.W., 1999-00, p. 545) dans lequel il s’agissait d’un bénéficiaire de l’article 628, 10° du Code judiciaire, étant le souscripteur d’assurance.

En conséquence, l’assuré social peut renoncer au bénéfice de l’article 628, 14° du Code judiciaire au profit des règles de droit commun.

Pour la Cour, après la naissance du litige, l’on peut ainsi porter l’action devant le juge du siège du défendeur conformément à la règle générale de l’article 624, 1° du Code judiciaire. Elle relève que, dans le jugement précité, le choix est reconnu, pour un souscripteur d’assurance, de renoncer à la protection impérative de l’article 628, 10°, celui-ci pouvant porter l’action devant le tribunal dont relève le lieu où l’obligation a été contractée (art. 624, 2°).

Comme toute renonciation, celle-ci peut intervenir de manière tacite mais ne peut avoir lieu par anticipation. Elle peut également résulter notamment de la comparution des parties devant une juridiction déterminée.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour conclut que l’assuré social a voulu renoncer à l’article 628, 14° du Code judiciaire au profit de l’article 624, 1°. Il a ainsi voulu renoncer à saisir le juge de son domicile (commune flamande sise en dehors de l’agglomération bruxelloise), étant le tribunal du travail de Bruxelles devant lequel la procédure devait, dans cette hypothèse, nécessairement se dérouler en néerlandais conformément à l’article 3, alinéa 2 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire. Le juge qu’il a saisi est celui du siège de l’INAMI (Bruxelles), étant le tribunal du travail de Bruxelles, devant lequel la langue de la procédure peut être celle de son choix, ainsi que le prévoit l’article 4, § 1er de la loi du 15 juin 1935.

La Cour retire l’expression d’une telle volonté de divers éléments du dossier (requête introductive rédigée en langue française, lettre adressée demandant de fixer la cause devant la 9e chambre du tribunal du travail, étant la chambre qui connaît des contestations relatives aux matières AMI dans les procédures en langue française, choix encore confirmé dans les conclusions d’appel).

Ayant saisi le tribunal du travail de Bruxelles sur la base de l’article 624, 1° du Code judiciaire, en raison du lieu du siège de l’INAMI, le demandeur a introduit régulièrement son action, puisque ce lieu est sis à Bruxelles et non dans une commune flamande sise en dehors de l’agglomération bruxelloise et, en conséquence, conformément à l’article 4, § 1er de la loi du 15 juin 1935, l’acte introductif d’instance pouvait être rédigé en français. L’article 4, § 1er, alinéa 2 prévoit, par ailleurs, dans ce cas que la procédure est suivie en français.

Enfin, la Cour souligne que les dispositions visées ci-dessus de la loi du 15 juin 1935 concernent la langue de l’acte introductif d’instance, en fonction du lieu qui détermine la compétence territoriale du tribunal. Or, ce lieu n’est pas désigné par la loi, mais par le Code judiciaire.

En exerçant son choix parmi les possibilités qu’offre le Code judiciaire et en faisant porter celui-ci sur un lieu en raison duquel la compétence territoriale du tribunal est déterminée, le demandeur ne détourne pas la loi. Il ne fraude pas davantage. Il agit, dans l’exercice de ce choix, en dehors du champ d’application de la loi sur l’emploi des langues. Rien ne permet de considérer ce choix comme illicite.

Intérêt de la décision

La décision commentée s’inscrit dans un courant de jurisprudence récent sur la question. Quoique domicilié dans une commune flamande sise en dehors de l’agglomération bruxelloise, un assuré social peut introduire sa procédure en langue française, ainsi que l’admet la Cour. La procédure sera, ainsi, suivie dans cette langue.


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