Terralaboris asbl

Le renvoi vers les débiteurs d’aliments est une faculté dont dispose le CPAS

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 22 septembre 2009, R.G. 88.781/09

Mis en ligne le lundi 14 décembre 2009


Cour du travail de Liège, Section de Namur, 22 septembre 2009, R.G. n° 88.781/2009

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 22 septembre 2009, la Cour du travail de Liège (sect. Namur) reprend, à l’occasion d’une demande d’autonomisation, les principes de la loi du 26 mai 2002 relatifs au renvoi du demandeur d’aide vers les débiteurs d’aliments. La Cour considère également devoir aménager une situation d’attente.

Les faits

Reprenant des études à l’âge de 24 ans, M.F. quitte ses parents et va se domicilier à Gembloux, où il fréquente la faculté des sciences agronomiques. Il introduit une demande de revenu d’intégration auprès du CPAS, signalant vouloir prendre son indépendance. Il fait état de tensions familiales, qui sont contredites par les parents, avec qui le CPAS de Gembloux a un contact. Par décision du 20 octobre 2008, le CPAS refuse la demande et renvoie l’intéressé vers sa famille. Il constate l’absence de rupture familiale et l’existence de revenus suffisants dans le chef des parents, de telle sorte que c’est la solidarité familiale qui doit être mise en œuvre prioritairement.

La position du tribunal

Le tribunal du travail de Namur fait procéder à une enquête sociale complémentaire, au motif d’informations nouvelles reçues relatives à la situation familiale. Il prend également une décision, fondée sur l’article 19, alinéa 2 du Code judiciaire, étant un octroi provisoire en attendant que les démarches soient faites pour obtenir une contribution alimentaire de la part du père. Le CPAS interjette appel de ce jugement.

La position des parties en appel

Le CPAS considère qu’il faut actionner en premier lieu la solidarité familiale. Il estime que le tribunal du travail a violé le caractère de subsidiarité du revenu d’intégration.

Il fait également valoir un deuxième ordre de critique, relative à la manière dont les débats ont été orientés par le premier juge (questions posées, décision provisoire)

La position de la Cour

La Cour du travail commence par rappeler qu’en matière de sécurité sociale et encore plus particulièrement dans les régimes non contributifs, s’agissant de personnes aux moyens faibles voire inexistants, le juge doit veiller à obtenir un maximum d’éléments et statuer rapidement. L’instruction d’audience prend dès lors toute son importance et dans ce contexte l’éventualité de l’aménagement d’une situation d’attente fait partie du rôle actif du juge. La Cour relève à cet égard la doctrine (E. BOIGELOT, « Les débats succincts et les mesures avant dire droit » in Le procès civil accéléré (dir. J. ENGLEBERT, Larcier, 2007, p. 45). En outre, la Cour rappelle à l’attention du CPAS le libellé de l’article 756ter du Code judiciaire relatif au débat interactif qui peut être proposé par le tribunal, à l’audience des plaidoiries en lieu et place de celles-ci. En cas d’accord des parties, le juge dirige le débat et il a la possibilité d’orienter les parties sur des questions qu’il estime importantes ou pertinentes. En outre, même si les parties s’opposent au débat interactif, qui devrait remplacer les plaidoiries, ce débat peut néanmoins avoir lieu après celles-ci.

La Cour rappelle également qu’il est évident que le juge n’a pas eu besoin de ce nouvel article 756ter pour poser des questions à l’audience. Rentre dans la mission du juge le pouvoir d’aménager une situation d’attente même si elle n’a pas été demandée par les parties. Il en va d’autant plus ainsi de la question de l’exécution provisoire de ladite mesure d’attente, puisque celle-ci doit être sollicitée.

Quant au fond, la cour rappelle, à partir des articles 3 et 4 de la loi du 26 mai 2002, que le renvoi vers les débiteurs d’aliments est une faculté. Le CPAS doit procéder à l’enquête sociale et se positionner sur la question de savoir si les débiteurs d’aliments sont susceptibles financièrement de venir en aideau demandeur. L’enquête sociale doit poursuivre ce double objectif étant d’une part la capacité contributive et d’autre part les implications éventuelles sur le plan familial d’une action qui serait dirigée contre lesdits débiteurs.

La Cour admet par ailleurs que lorsque l’on se trouve sur le territoire de deux communes distinctes, l’enquête sociale peut être plus sommaire puisque les travailleurs sociaux du CPAS peuvent difficilement effectuer des investigations en dehors du territoire de leur commune. L’enquête sociale est cependant indispensable, et ce même si elle ne peut être conduite que de manière plus sommaire.

La Cour insiste sur le fait que dans le cadre de celle-ci le CPAS a un rôle actif : non seulement se pose la question du renvoi vers les débiteurs d’aliments (procédure dont il peut se charger lui-même puisqu’il dispose de ce droit en vertu de la loi) mais également celle du caractère adéquat de cette démarche puisqu’elle est susceptible d’entraîner une détérioration peut-être définitive des relations familiales. Il doit, dans ce contexte, inviter la personne à effectuer ladite démarche et ne peut refuser le revenu d’intégration automatiquement. Le contrôle de l’opportunité du renvoi vers les débiteurs d’aliments appartient également au juge, qui a une compétence de pleine juridiction, la Cour citant sa jurisprudence antérieure (C. trav. Liège, sect. Namur, 11 janv. 2007, RG 7929/05). Le juge peut également inviter le demandeur à faire la démarche et de même vis-à-vis du CPAS.

Dans l’attente d’une décision définitive, il lui appartient cependant de veiller à ce que le demandeur ne soit pas sans ressources et il peut décider d’avances récupérables sur les parts contributives éventuelles (la Cour citant doctrine et jurisprudence sur cette question).

Enfin, ce n’est que dans l’hypothèse où l’action n’est pas susceptible d’endommager de manière irrémédiable les relations entre les personnes et s’il s’avère également que les débiteurs d’aliments ont une capacité contributive supérieure au revenu d’intégration auquel le demandeur peut prétendre qu’une telle décision peut être prise. Dans les autres hypothèses, il y a lieu d’accorder le revenu d’intégration sous déduction de la part contributive à laquelle le demandeur pourrait prétendre, ainsi que de tout autre revenu dont il dispose.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour constate que, vu l’activité professionnelle du père et ses revenus, il est en mesure de subvenir aux besoins de son fils. Il est dès lors confirmé que le renvoi vers le débiteur d’aliments doit intervenir.

La Cour considère également devoir examiner l’aménagement d’une situation d’attente et ce à partir de l’article 19, alinéa 2 du Code judiciaire. Celui-ci permet en effet au juge d’ordonner avant dire droit une mesure préalable destinée à instruire la demande ou à régler provisoirement la situation des parties en litige. Il s’agit de vérifier essentiellement le caractère indiscutable ou à tout le moins non sérieusement contestable de la créance. La Cour considère ne pas devoir suivre la thèse selon laquelle il conviendrait également d’apprécier l’urgence, dans une telle situation. L’article 19, alinéa 2 du Code judiciaire permet, en effet, de prendre une telle mesure d’attente en dehors de tout caractère d’urgence de la cause, quoique cette circonstance puisse être un élément d’appréciation parmi d’autres.

La Cour retient encore, avec le Professeur de LEVAL (G. de LEVAL, Eléments de procédure civile, 2e édit., Larcier, 2005, p. 138, n° 94), que cette mesure d’instruction trouve à s’appliquer indépendamment de la difficulté de l’affaire et de l’urgence, sans condition de forme et même si la demande intervient après l’audience d’introduction (et même en degré d’appel). Enfin, le jugement qui prescrit une mesure d’instruction est exécutoire mais l’exécution provisoire doit être demandée dans l’hypothèse où la situation des parties est réglée provisoirement.

Le demandeur d’aide ne peut être abandonné à lui-même, sous prétexte que, comme illustré dans cette espèce, les débiteurs d’aliments peuvent intervenir mais sont uniquement susceptibles de le faire. La situation d’attente ainsi aménagée veillera à accorder des avances récupérables sur les parts contributives éventuelles. La Cour accorde dès lors l’équivalent du revenu d’intégration, pour partie sous forme d’avance sur la contribution alimentaire à venir.

Intérêt de la décision

Outre le rappel des possibilités offertes par la loi du 26 mai 2002 en ce qui concerne le renvoi vers les débiteurs d’aliments (étant l’article 4, § 1er, mais également – non visé en l’espèce – l’article 26 qui fixe les conditions de l’action en recouvrement dont dispose le CPAS), l’arrêt annoté met en exergue la possibilité, en application de l’article 19, alinéa 2 du Code judiciaire pour le juge d’aménager une situation d’attente. La Cour rappelle que la condition de l’urgence n’est pas présente, seule devant intervenir l’appréciation du caractère non sérieusement contestable de la créance.


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