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Chômage : Droit aux intérêts de retard lorsque les allocations de chômage n’ont pas été versées en raison d’un litige avec l’ONSS, aux termes duquel la décision de désassujettissement prise par celui-ci a été réformée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 août 2009, R.G. 51.469

Mis en ligne le mercredi 23 décembre 2009


Cour du travail de Bruxelles, 14 août 2009, R.G. n° 51.469

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 14 aout 2009, la Cour du travail de Bruxelles tranche la question du droit aux intérêts de retard sur les allocations de chômage non versées en raison d’une décision prise par l’ONSS de désassujettir le travailleur. La Cour est amenée à se prononcer sur l’existence d’une cause étrangère libérant l’ONEm de l’obligation de payer les intérêts. La Cour distingue deux périodes, soit avant et après l’entrée en vigueur de la Charte de l’assuré social (le litige en assujettissement ne pouvant plus être considéré comme une cause étrangère après l’entrée en vigueur de la Charte).

Les faits

Monsieur S. sollicite les allocations de chômage à partir du 11 juin 1993, suite à la faillite de l’entreprise qui l’occupait depuis 1992. Il est admis au bénéfice des allocations de chômage en date du 7 juin 1994 avec effet rétroactif à la date de la demande (11 juin 1993).

En 1995, l’ONSS décide de désassujettir Monsieur S. considérant que les prestations fournies pour la société faillie ne l’ont pas été dans le cadre d’un lien de subordination. L’ONSS informe l’ONEm de cette circonstance en mars 1995 entraînant, en date du 29 mars 1995, une décision de l’ONEm, estimant que les prestations de travail effectuées pour le compte de l’entreprise faillie ne répondaient pas au prescrit de l’article 35, § 1er, 2° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. En conséquence, l’intéressé ne justifiait plus du nombre de journées de travail nécessaires pour obtenir les allocations de chômage. L’ONEm décide d’exclure Monsieur S. du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er juin 1993 et de récupérer les allocations perçues.

Monsieur S. conteste cette décision par requête du 6 avril 1995. Parallèlement il assigne l’ONSS pour contester la décision de désassujettissement. Cette procédure à l’encontre de l’ONSS se clôture par un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles en date du 11 septembre 2003, rétablissant l’assujettissement.

A cette suite, l’ONEm prend une nouvelle décision, dite révision, en date du 11 janvier 2004, annulant les décisions de non-admissibilité aux allocations de chômage. Les arriérés d’allocations de chômage sont payés le 28 janvier 2004.

Monsieur S. réclame alors le paiement des intérêts sur les allocations et ceux-ci lui sont refusés par une nouvelle décision de l’ONEm du 8 juillet 2004. Pour l’ONEm, les allocations ne sont devenues exigibles qu’une fois prononcé l’arrêt de la Cour du travail du 11 septembre 2003 dans le litige ONSS. Monsieur S. réactive alors la procédure pendante en contestation de la décision de refus d’admissibilité de l’ONEm ; constatant que la demande principale est devenue sans objet, il réclame alors les intérêts légaux.

Rétroactes

Le tribunal du travail de Namur, statuant sur la demande de Monsieur S. vis-à-vis de l’ONEm, estime par jugement du 7 septembre 2006 que celui-ci n’a pas droit aux intérêts de retard. Monsieur S. interjette appel de cette décision et la Cour du travail de Liège reconnait le droit aux intérêts moratoires pour la période d’avril 1995 à décembre 2003 inclus, soit un montant de 26.269,83 €. L’ONEm se pourvoit en Cassation à l’encontre de cette décision, qui est cassée par un arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 2008. La cassation intervient sur la base d’une question de motivation, l’arrêt de la Cour du travail n’ayant pas répondu à l’un des moyens de l’ONEm, étant celui par lequel il estimait que le retard dans le paiement des allocations de chômage ne lui était pas imputable.

Dans l’intervalle, Monsieur S. a poursuivi l’exécution de l’arrêt, de sorte que l’ONEm a versé les intérêts de retard visés par l’arrêt de la Cour du travail de Liège (9 octobre 2007).

L’affaire est renvoyée devant la Cour du travail de Bruxelles. Devant celle-ci, l’ONEm introduit une demande reconventionnelle, sollicitant le remboursement des intérêts payés.

La position des parties devant la Cour du travail de Bruxelles

Devant la Cour du travail de Bruxelles, l’ONEm invoque qu’il y a lieu de distinguer deux périodes, l’une antérieure à l’entrée en vigueur de la Charte de l’assuré social (1er janvier 1997) et l’autre, postérieure.

Pour la première période, les normes légales applicables sont les articles 1147 et 1153 du Code civil. Pour l’ONEm, la dette d’allocations n’est devenue exigible qu’après le prononcé de l’arrêt dans le litige ONSS. Pour lui, ce litige constitue une cause étrangère au sens de l’article 1147 du Code civil.

Pour ce qui est de la seconde période, l’ONEm entend faire appliquer les articles 163bis et 145 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, invoquant qu’il y a eu révision du droit aux allocations de chômage, de sorte que les intérêts ne sont dus qu’à partir du premier jour du mois qui suit celui au cours duquel le chômeur a introduit un dossier complet concernant la révision. Vu que l’arrêt concernant le litige ONSS a été transmis le 16 septembre 2003, l’ONEM ne reconnaît de droit aux intérêts qu’à partir du 1er octobre 2003 et ce jusqu’au 9 octobre 2007. Il limite sa réclamation d’indu au surplus.

La position de la Cour du travail de Bruxelles

Pour examiner le droit aux intérêts de retard, la Cour du travail distingue deux périodes : l’une avant l’entrée en vigueur de la Charte de l’assuré social et l’autre après celle-ci. Concernant la première période, tout comme l’ONEm, la Cour considère que les dispositions applicables résident dans le Code civil, dont l’article 1153.

Sur cette disposition, la Cour rappelle l’arrêt rendu par la même Cour en date du 28 février 2008, selon lequel les intérêts moratoires peuvent être dus et calculés sur les prestations sociales arrivées à échéance et devenues exigibles au cours d’une procédure judiciaire. La décision judiciaire relative au droit est en effet un acte recognitif de ce droit, lequel est dès lors reconnu avec effet rétroactif. Aussi, sur la base de l’article 1153, les intérêts sont dus, même indépendamment de la faute, celle-ci étant présumée. La Cour rappelle encore que la cause étrangère est libératoire dès lors qu’elle constitue un obstacle insurmontable à l’exécution de l’obligation et qu’aucune faute du débiteur ne peut être relevée dans les circonstances ayant généré ledit obstacle (référence à l’article 1147 Code civil).

Elle reconnaît l’existence d’un tel obstacle dans la décision de l’ONSS. Dès lors qu’il y a désassujettissement, les journées de travail permettant l’admissibilité aux allocations de chômage ne répondent plus aux exigences de la réglementation. Le litige entre l’ONSS et Monsieur S. est par ailleurs étranger à l’ONEm et constitue dès lors un obstacle légal insurmontable. La faute de l’ONSS, d’ailleurs non démontrée par Monsieur S., est indifférente quant à l’appréciation de l’existence de pareille cause étrangère.

Pour ce qui est de la seconde période, une fois la Charte de l’assuré social entrée en vigueur (1er janvier 1997), les intérêts sont dus de plein droit et ne nécessitent plus une sommation préalable. La Cour rappelle par ailleurs les articles 10, 12 et 20 de la Charte, applicables à la question des intérêts.

Elle souligne ainsi que l’article 20 règle la question de la décision d’octroi prise avec un retard imputable à « une » institution de sécurité sociale. Dans ce cas, les intérêts sont dus à partir de l’expiration du délai visé à l’article 10 (délai dans lequel l’administration doit prendre une décision). La Charte protège donc l’assuré social contre tout retard de paiement imputable à une institution de sécurité sociale et non nécessairement celle qui doit octroyer les prestations. La Cour en déduit que, si la Charte ne déroge pas à l’article 1147 du Code civil, de sorte que l’institution de sécurité sociale peut encore invoquer l’existence d’une cause étrangère, ceci ne vaut pas lorsque la cause étrangère est un retard imputé à une autre institution de sécurité sociale. Vu la philosophie de la Charte, les implications financières ne peuvent pas être prises en considération d’autant que, pour la Cour, le législateur les a lui-même soupesées.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour constate que si les allocations de chômage n’ont plus été versées à partir de la connaissance, par l’ONEm, de la décision de désassujettissement, c’est en raison de la décision d’une autre institution de sécurité sociale que l’ONEm. Le retard est donc imputable à l’ONSS, soit une autre institution de sécurité sociale. Pour la Cour, en conséquence les intérêts moratoires sont dus à la date à laquelle les prestations auraient dû être payées.

La Cour confirme par ailleurs qu’il y a lieu d’appliquer les dispositions de la Charte et non les articles de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 relatifs aux intérêts, dès lors que ceux-ci sont moins favorables.

Enfin, sur la question de la prescription soulevée par le Ministère public, la Cour rappelle que la demande en justice de paiement des allocations (introduite par la requête devant le tribunal du travail de Namur du 6 avril 1995) a interrompu la prescription pour les demandes virtuellement comprises, c’est-à-dire en ce compris les intérêts moratoires. La Cour rappelle en effet que les intérêts constituent un accessoire indispensable à la demande principale.

En conséquence, les intérêts moratoires sont alloués à partir du 1er janvier 1997 (date d’entrée en vigueur de la Charte). La demande de remboursement de l’indu de l’ONEm est dès lors limitée aux intérêts payés pour la période d’avril 1995 à décembre 1996.

Concernant les intérêts réclamés par l’ONEm sur l’indu, la Cour rouvre les débats, de manière de permettre aux parties de s’expliquer sur l’incidence de la bonne foi quant à la débition des intérêts pour des prestations accordées indûment.

Intérêt de la décision

Cette décision résume les principes applicables en matière de paiement des intérêts sur les allocations de chômage non versées, examinant le régime applicable tant avant l’entrée en vigueur de la Charte de l’assuré social qu’après celle-ci. Elle se prononce par ailleurs sur les conditions dans lesquelles l’ONEm peut invoquer le bénéfice d’une cause étrangère, l’exonérant du paiement des intérêts de retard. Par ailleurs, en ce qui concerne les considérations générales sur les dispositions légales, l’arrêt rappelle que, en matière de paiement d’intérêts de retard, la réglementation chômage (A.R. du 25 novembre 1991) est moins favorable que la Charte de sorte que ses dispositions doivent être écartées au profit de celles contenues dans la Charte. Enfin, l’arrêt rappelle que la demande en paiement des allocations de chômage inclut virtuellement une demande d’intérêts moratoires, s’agissant d’un accessoire inséparable de la demande principale, argument qui permet d’écarter tout risque de prescription.


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