Terralaboris asbl

Incidence des arrêts de la Cour constitutionnelle

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 août 2009, R.G. 48.956

Mis en ligne le mardi 29 décembre 2009


Cour du travail de Bruxelles, 14 août 2009, R.G. n° 48.956

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 14 août 2009, la Cour du travail de Bruxelles se prononce sur la règle de prescription applicable à la cotisation spéciale de sécurité sociale due pour l’exercice fiscal 1983 (revenus 1982). Reprenant les différents arrêts de la Cour constitutionnelle rendus en la matière, la Cour constate que le délai de prescription est dépassé (étant supérieur à cinq ans). La Cour se prononce par ailleurs sur l’incidence d’une reconnaissance de la dette comme acte interruptif.

Les faits

Monsieur D. et Madame G., exerçant tous deux la profession de médecin, se séparent en 1982. Le statut dans lequel ils ont exercé leur profession n’est pas clairement déterminé, ceux-ci invoquant tant un assujettissement au régime de la sécurité sociale des travailleurs salariés qu’à celui des travailleurs indépendants.

L’administration fiscale cumule les revenus des deux intéressés, fixant le revenu imposable globalement à plus de 3.000.000 BEF.

Eu égard à cette circonstance, une cotisation spéciale de sécurité sociale à charge des personnes assujetties à un régime de sécurité sociale est due. L’ONEm, qui est le destinataire de cette cotisation spéciale et doit en assurer le recouvrement, adressa le 24 octobre 1984, au couple, une feuille de calcul, fixant la cotisation spéciale de sécurité sociale à 25% du revenu imposable dépassant 3.000.000 BEF. Vu l’absence de versements anticipés, les intérêts de retard ont été calculés, conformément à la réglementation applicable (fixant le taux d’intérêt à 1,25 puis 0,80% par mois de retard en cas de non versement provisionnel avant le 1er décembre de l’année précédant l’exercice d’imposition).

Les intéressés ont introduit une réclamation fiscale pour ce qui est des revenus 1982, demandant à être imposés séparément (de sorte que leurs revenus séparés n’atteignaient plus le seuil de 3.000.000 BEF). Le recours a été rejeté par l’administration ainsi que par la Cour d’appel de Bruxelles, saisie ultérieurement.

Aucun paiement n’intervenant quant à la cotisation spéciale, l’ONEm introduit, par citation du 1er février 2002, une demande visant la condamnation des deux intéressés au paiement de la cotisation, celle-ci étant ventilée entre eux en fonction de leurs revenus. Monsieur D. a alors écrit à l’ONEm l’informant que lui-même et son ex-épouse paieraient la cotisation due, dès lors que la ventilation serait établie.

Par ailleurs, dans le cadre de la procédure, le conseil des parties a mentionné que la cotisation sociale était effectivement due, limitant ainsi la contestation à la question des intérêts de retard.

Les intéressés ont ensuite changé de conseil, lequel a, ultérieurement, soulevé la question de la prescription. Ils ont par ailleurs, par le biais de leurs conclusions, invoqué que l’acte de renonciation n’est pas compris dans le mandat ad litem de l’avocat, un mandat spécial étant exigé. Or, un tel mandat n’a jamais donné. Il y a donc eu désaveu du contenu des conclusions rédigées par leur ancien conseil sur le fait que la cotisation sociale serait due.

La position de la Cour

La Cour commence par rappeler les dispositions et le régime applicables à la cotisation de sécurité spéciale due pour l’exercice fiscal 1983, tel que contenu dans les articles 60 à 73 de la loi du 23 décembre 1983 portant des dispositions fiscales et budgétaires.

En ce que concerne la question de la prescription, la Cour constate que la loi du 28 décembre 1983 ne contient aucune règle relative à la prescription des actions en paiement de la cotisation spéciale. La Cour constate par ailleurs que les dispositions relatives à la prescription contenues dans les textes relatifs à la sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants (loi du 24 juin 1968 et A.R. n° 38 du 27 juillet 1967) ne s’appliquent pas dès lors qu’elles ne visent pas la cotisation spéciale de sécurité sociale.

La Cour constate dès lors qu’aucun délai de prescription spécifique n’est prévu par le législateur, de sorte que ce serait le délai de prescription de droit commun qui s’appliquerait à ce recouvrement, et ce alors même que le recouvrement des autres cotisations de sécurité sociale, tant dans le régime salarié que dans le régime indépendant, est prescrit dans un délai de trois ou cinq ans. La Cour du travail rappelle encore que cette situation a été jugée discriminatoire par la Cour constitutionnelle (arrêt 71/2004 du 5 mai 2004 et arrêt 104/2009 du 9 juin 2009). Dans ces arrêts la Haute Cour se prononce tant sur l’ancien délai de prescription de trente ans que sur le délai de dix ans applicable depuis le 1er juillet 1998 (2262bis du Code civil).

Pour la Cour du travail les arrêts rendus par la Cour constitutionnelle l’obligent à écarter toute interprétation qui viserait à appliquer à l’action en recouvrement de la cotisation spéciale de sécurité sociale un délai de prescription supérieur à celui du délai applicable au recouvrement des cotisations ordinaires de sécurité sociale. La Cour se réfère à un arrêt précédent, de la même chambre (2 avril 2009, RG 49.754).

Dès lors, le délai de prescription applicable à l’action en recouvrement ne peut excéder cinq ans, soit le plus long des délais de prescription applicables. Indépendamment de la question de savoir si c’est le délai de trois ou de cinq ans qui doit être appliqué, la Cour constate que la dette est prescrite, dès lors que le premier acte interruptif « de droit commun » à prendre en considération est la citation du 1er février 2002. La Cour rappelle en effet que les dispositions en matière de prescription, en ce compris l’interruption, prévues par les réglementations relatives aux cotisations de sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ne s’appliquent pas.

La Cour rappelle par ailleurs que le point de départ du délai de prescription est le jour où la créance est exigible soit, dans le présent cas d’espèce, le 30 novembre 1984, c’est-à-dire la date à laquelle le solde devait être acquitté eu égard à la feuille de calcul adressée par l’ONEm aux intéressés en date du 24 octobre 1984. La Cour confirme ainsi que le délai de prescription de l’action en recouvrement de la cotisation spéciale de sécurité sociale court à partir de l’expiration du délai de paiement.

Quant à la contestation des intéressés du revenu imposable, elle n’affecte ni l’exigibilité de la cotisation ni le point de départ du délai de prescription.

La Cour examine ensuite l’incidence des lettres adressées par Monsieur D. ainsi que du contenu des conclusions établies leur avocat.

Quant à la question des conclusions signées par l’avocat, la Cour refuse d’y voir une renonciation à la prescription acquise ou encore une reconnaissance de dette, dès lors que de tels actes dépassent le mandat confié à l’avocat par l’article 440 du Code judiciaire. La Cour relève que les intéressés ont désavoué leur premier avocat et que l’ONEm ne prouve pas l’existence d’un mandat spécial dans le chef de celui-ci. Quant à la lettre du 7 février 2002 adressée par Monsieur D. à la suite de la citation, la Cour estime qu’elle ne permet pas de prouver qu’il y a eu mandat conféré à l’avocat pour renoncer à la prescription ou pour reconnaître la dette dans le cadre de la procédure judiciaire. La Cour rappelle encore que pour désavouer la reconnaissance, l’aveu ou l’acquiescement, ou de manière plus large l’acte quelconque qui excèderait les limites du mandat at litem, il suffit aux parties de le demander. La Cour relève encore que les intéressés n’ont pas pu donner à l’avocat un mandat quant à la prescription, puisqu’ils l’ignoraient, à tout le moins jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 5 mai 2004.

Enfin, la Cour considère que, à supposer même qu’il y ait eu reconnaissance de dette, celle-ci n’a pas pour effet d’interrompre la prescription. La Cour se fonde à cet égard sur le fait que la reconnaissance de dette n’est pas une renonciation à la prescription acquise au sens de l’article 2020 du Code civil et qu’aucune interruption de la prescription n’a pu intervenir dès lors que les actes interruptifs invoqués sont postérieurs au moment où la prescription était acquise. Enfin, elle rappelle que la reconnaissance de dette n’est pas susceptible d’interrompre une prescription d’ordre public, telle que celle en matière de cotisations spéciales de sécurité sociale.

La Cour rejette dès lors l’existence d’une renonciation ou une interruption à la prescription et confirme le caractère prescrit de l’action mue par l’ONEm.

Intérêt de la décision

Cette décision résume les principes applicables en matière de prescription de la cotisation spéciale de sécurité sociale. Vu l’absence de délai spécifique, l’arrêt trace les balises en matière de prescription, à savoir que le délai doit être un délai identique et non supérieur à celui retenu pour les cotisations « normales » de sécurité sociale, que ce soit dans le régime salarié ou le régime indépendant.

L’arrêt contient par ailleurs des développements forts intéressants sur la question de la renonciation à la
prescription ou encore sur l’effet interruptif d’une reconnaissance de dette, rappelant par ailleurs qu’il ne peut y avoir interruption d’une prescription d’ordre public. Cette dernière règle est dégagée comme valant pour toute prescription d’ordre public, l’arrêt citant comme exemple la prescription de l’impôt et des prestations de sécurité sociale. Il contient par ailleurs de nombreuses références jurisprudentielle quant à ce.


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